About the French colonisation, a book published in 1972 by an historian shows the movement. If English people wanted Empire for commerce, French people preferred to conquer for political prestige and missionary reasons. Economy was the last. It is the reason why decolonisation has been more painful in France than in other countries.
La colonisation française active, militaire, économique, scolaire, avec conquête et occupation des territoires, création d’un réseau de soins, d’écoles et de transports, a duré un siècle. Il ne s’agit pas de “justifier” ni “d’excuser” - mais de “comprendre”. C’est la thèse que défend Raoul Girardet dans ce livre, paru en 1972 chez un éditeur « de droite » car le sujet n’était pas à la mode. Depuis, il l’est revenu, mais pour d’autres raisons que le patriotisme des pays décolonisés : pour affirmer une identité communautaire en opposition à celle des Français de la République. Il est donc utile et intéressant de relire ce livre, travail initialement universitaire, avec tout le recul, l’analyse d’archives et l’érudition qui s’attache à la science historienne.
Coloniser n’a pas été un mouvement de masse mais une série d’initiatives dispersées, promues par certains milieux, qui ont forcé l’opinion jusqu’à l’apogée de l’Exposition Coloniale à Paris en 1931. La décolonisation fut douloureuse mais, au fond un soulagement du « fardeau de l’homme blanc ». Aller s’occuper des autres était peut-être chrétien, mais répugnait au monde des affaires. Commercer, oui, s’établir, non. Flaubert en témoigne dans son Dictionnaire des idées reçues : « Colonies (nos) – s’attrister quand on en parle. » C’est bien l’absence d’une politique volontaire qui s’affirme pour se lancer dans les conquêtes. La décision du gouvernement de Charles X de s’emparer d’Alger n’était pas d’acquérir des territoires à exploiter mais d’éradiquer la piraterie qui terrorisait le commerce en Méditerranée et réduisait nombre de passagers en esclavage, en « barbarie ». La guerre était une décision de prestige pour la monarchie. Les hommes politiques libéraux y étaient hostiles par principe : la conquête coloniale coûte cher car il faut entretenir l’armée et nombre de petits fonctionnaires ; elle ne profite pas globalement à la métropole et n’enrichit que quelques négociants. Le gourou du libéralisme économique, Jean-Baptiste Say cité par Girardet, ne voit pas les choses autrement : « tout peuple commerçant doit désirer qu’ils soient tous indépendants pour qu’ils deviennent plus industrieux et plus riches. » La conquête coloniale n’est donc soutenue que par les militaires d’Afrique, les marins et quelques gros négociants des ports. S’y ajoutent quelques explorateurs et géographes, quelques écrivains exotiques (Jules Verne) et les Saint-Simoniens, précurseurs des socialistes, qui veulent régenter les sociétés pour les plier à la discipline du Progrès.
Une doctrine militante de la colonisation ne voit le jour en France qu’à la fin du Second Empire. Elle vante l’unité économique globale nécessaire à l’harmonie sociale, la grandeur de la France et son rayonnement dans le monde, enfin la possibilité d’augmenter la production en trouvant ainsi de nouveaux débouchés. Le perfectionnement intellectuel, sanitaire et moral des indigènes est second : aller conquérir, bâtir et éduquer servira bien plus à la régénération morale des Français après la défaite de 1870, l’amputation du territoire, et la dépression économique de 1873. Le discours à la Chambre de Jules Ferry sur la politique coloniale, en 1885, le résume à loisir. De 1880 à 1895, sous la IIIème République naissante, les possessions françaises passent ainsi de 1 à 9,5 millions de km². Après 1890 naissent divers comités, comme celui du Maroc, puis l’Union Coloniale qui fait lobby avec ses conférences, ses dîners mensuels, son Congrès à Marseille en 1906 et ses cours libres en Sorbonne. L’Ecole Coloniale naît en 1889 et un Ministère des Colonies est instauré en 1894. Tandis que la politique coloniale anglaise est inspirée par les commerçants et les industriels, la politique coloniale française est politique et militaire. L’idéologie de la République est jacobine, centralisatrice et assimilatrice, au contraire du modèle anglais de self-government.
S’installe alors la justification morale que l’on connaît, déclinée en idéologie politique. Les intérêts particuliers de la France ne peuvent être dissociés de l’intérêt général de l’humanité ; le désir d’épanouissement de l’homme, à l’œuvre dans l’école publique, est étendu au développement de l’Empire outre-mer. La Raison révélée luttera contre les oppressions superstitieuses et tribales. On croyait alors (faussement) à une hiérarchie des races et c’était du « devoir des aînés » de protéger et d’éduquer les « petits ». Ce dynamisme, qui est l’une des dérives des Lumières, a été adopté avec enthousiasme par le parti Radical dès 1902. Les Conservateurs, qui y sont venus en 1905 désiraient plutôt la puissance et y ont vu la destinée de la France. Les socialistes parlaient initialement de « flibusterie coloniale » (Jules Guesde) visant à parer à la surproduction tout en enrichissant une ploutocratie financière. Jaurès répudiait la force mais est resté tenté par la diffusion du Progrès.
L’apogée du colonialisme est fixé par l’auteur en 1931. La Grande Guerre a montré le rôle considérable des colonies dans la victoire (1 million d’hommes mobilisés, 200 000 tués). Le maréchal Lyautey concilie dans l’opinion éclairée le prestige du soldat et celui du bâtisseur. Le commerce colonial, qui représentait 13% du total du commerce en 1913, en représente 27% en 1933. La société se convertit grâce à la Croisière Noire des voitures Citroën 1925 puis la Croisière Jaune 1933 (précurseurs de l’agitation médiatique à la Nicolas Hulot). Les romans sahariens de Pierre Benoît et de Joseph Peyré enfièvrent les imaginations.
Dans l’entre-deux guerres apparaissent les premiers mouvements revendicatifs dans les colonies : le Destour en 1920 en Tunisie, les Oulémas en 1935 en Algérie, le terrorisme en 1930 au Tonkin. Léninistes comme sociaux-démocrates (tels André Gide) sont d’accord pour l’égalité des droits et pour le droit à disposer d’eux-mêmes des peuples de couleur. « Le préjugé de civilisation se délite », selon Lucien Romier, en 1925. L’ethnologie naissante affirme le pluralisme des cultures et le processus d’acculturation de l’idéologie du Progrès. Les romans sahariens de Joseph Peyré et de Frison-Roche convertissent plutôt le blanc à la vie indigène.
La décolonisation prendra 12 ans, de 1950 à 1962. Lâcher l’Empire est un arrachement car il a été l’ultime refuge de la souveraineté française durant le nazisme. Les Anglais sont partis de leurs colonies mais la lutte nouvelle contre ‘le communisme en un seul pays’ sert de prétexte à conserver la mainmise française en Asie et en Afrique. L’anticolonialisme réunit quatre courants différents selon Girardet : l’antillais (Césaire, Fanon), le révolutionnaire (Sartre), l’humaniste (la revue Esprit) et l’intérêt national (Aron, de Gaulle). Si les colonies n’ont pas coûté cher jusqu’en 1930, selon les travaux de l’historien Jacques Marseille, l’après Seconde Guerre mondiale a en revanche coûté à la France deux fois les crédits qu’elle recevait des Etats-Unis pour sa reconstruction.
Au total, Raoul Girardet replace la colonisation dans son mouvement. Il permet de la saisir comme phénomène global :
• politique pour créer un empire face à la Prusse et à l’Angleterre, menaçantes ;
• missionnaire pour porter haut partout la langue, les mœurs, le génie et le drapeau de la France, avec le devoir moral d’éduquer les populations indigènes ;
• économique, mais en dernier, pour échanger la production de ciment, de cotonnades et de machines contre du vin, du cacao et de l’huile.
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, La Table Ronde 1972, réédité en Poche Pluriel en 2005.
Un débat passionnant sur France Culture avec Philippe Meyer, Max Gallo, Yves Michaud, Jean-Louis Bourlanges et Daniel Lefeuvre, Professeur d’histoire contemporaine à Paris VIII à réécouter ici et à podcaster jusqu’au samedi 11 août.