Je me revois encore dandiner mon grand corps dégingandé et mon ferme et musculeux séant de 20 ans sur la piste de la boîte dans laquelle nous finissions immanquablement nos soirées, dans un désoeuvrement total. On connaissait un peu le DJ — tout le monde dans une boîte connaît un peu le Dj, mais quand on a 20 ans, on en est fier, c'est comme ça — et il consentait à passer de temps à autre notre morceau-fétiche sur ses puissantes enceintes, morceau qu'il nous tardait tant d'écouter et qui nous plongeait dans un océan de béatitude. La version longue. Le maxi-45t. Près de 8 minutes. Le bonheur, les yeux fermés; quand on les rouvrait, un festival de couleurs et de lumières nous assaillait. Ouverts, fermés, ouverts, fermés...ouh la ! Vite ! Retrouver l'équilibre et la bonne cadence, se recaler sur ce groove parfait, ondoyant et soyeux.
"Slave to the Rhythm", c'est d'abord un son. Enorme. Une basse ronde, qui roule et tonne, et vous saisit au plexus dès les premières secondes, sans plus jamais vous lâcher. Des guitares ivres de funk, modèle Fender Clean, enrobées d'un soupçon de chorus. Un groove du feu de Dieu, mêlant l'organique au synthétique. Des cuivres puissants, subtil mélange entre vraie section et Brass Synths. Justement, des synthés. En pagaille, mais assez discrets car mêlés à un orchestre symphonique. Un mix extraordinaire. Le Wall of Sound de Phil Spector, mais dans sa version 80's. Clean. Chirurgical. "Everything in its right place".
L'oeuvre de Trevor Horn. Connu pour quelques bagatelles. Trois fois rien... Vous remettez le chanteur aux grandes lunettes dans les Buggles ? Video Killed The Radio Star, première vidéo au titre prémonitoire diffusé par MTV ? Trevor Horn. Vous vous souvenez de l'orgie sonore de "Relax" de Frankie Goes to Hollywood, de l'urgence froide et métallique d'"Owner of a Lonely Heart" du groupe Yes (il est ici au chant, mais sans culs-de-bouteille, dans un clip à la tonalité kafkaïenne). Vous vous remémorez la grâce et la délicatesse de Seal dans "Crazy" (le chanteur à la belle voix, mais à la moche peau), de la New-Wave raffinée de Propanganda ? Trevor Horn. Le fil conducteur de toutes ces productions ? Des basses énormes, une production léchée (trop ?), un son sec et tranchant, une ampleur sonore façon cinémascope. On aime ou on n'aime pas cette typicité 80's, mais ça sonne, bon Dieu, ça sonne.
Mais que serait ce titre sans la voix de salope de cette panthère noire de Grace Jones, se livrant sur ses auditeurs à quelque jeu sado-maso dont elle avait le secret ? Douceur et morgue. Arrogance et suavité. Je l'imaginais au micro, le corps luisant, comme sur cette photo de Mondino — qui modela si bien son image —, telle Bagheera susurrant des mots doux et acides. Comme j'aurais aimé être Mowgli dans ces moments-là... Oups ! J'allais oublier la voix sépulcrale de Ian McShane, le méchant de Deadwood — d'où sort-il celui-là, du clip de Thriller ou quoi ? —. Inoubliable une fois entendue.
"Slave to The Rhythm" constitue selon moi le mètre-étalon d'une certaine production de qualité des années 80, arrogante mais accessible, prétentieuse mais délicate, suffisante mais intelligible. Du grand art.
P.s. Au dernières nouvelles, Trevor Horn aurait été demandé par Michael Jackson pour travailler sur son prochain album, prévu pour fin 2007. L'album du renouveau pour Bambi ?
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"Slave To The Rhythm" version Live, dans un concert-hommage à Trevor Horn
Article Wikipedia sur Trevor Horn