On l’a d’abord connue par
ses lectures, Edith Azam, et elle a souvent raconté comment elle a été repérée
par Julien Blaine au festival de Lodève, où elle disait, off, ses textes…. Edith, c’est une voix, c’est une façon de projeter
la poésie, c’est un souffle, c’est une ligne tendue, c’est très impressionnant
et ceux qui l’ont entendue
n’oublient plus cette expérience.
Mais il ne faut pas cantonner Edith Azam à cette présence scénique, car elle
publie régulièrement des livres singuliers où se déploie une écriture
personnelle, marquée par cette forme d’urgence que l’on ressent si bien en l’écoutant.
Voici donc, après amor barricade amor, ce nouveau livre, Rupture, publié aux éditions Dernier Télégramme. Une
soixantaine de poèmes ponctués par quatre adresses à « Mon cher Julien »,
comme quatre ponctuations, quatre étais aussi dans le travail de poésie.
Choc de ce nouveau livre où
l’œuvre semble gagner en maturité. Le cœur-onomatopée, les rythmes vitaux
physiques et psychiques (ce cœur qui bat, très concrètement et les cycles de
l’angoisse), cœur et peur, sous-tendent le texte, le portent, le halent, chacun
selon une ligne tendue. C’est très sombre, mais c’est un sombre qui n’est pas dépressif,
c’est un sombre dynamique, porteur, allant, rageur parfois même. Les poèmes se composent
à partir de la panique et de l’affolement : l’écriture comme défibrillateur (l’expression est de Claude
Chambard), le cœur cogne, patapoum,
il « choque ». Il s’agit de « vivre tambour battant le
crépitement des artères et l’Étincelle-Cœur. »
Mais ce qui frappe particulièrement ici, c’est l’étonnante variété mise en œuvre
dans les poèmes, chacun semblant inventer la forme qui lui convient, suivre la
voie qui lui est propre. Variété des formes (avec des emprunts à la poésie
sonore, à la poésie visuelle) mais aussi variété de tons, depuis des poèmes
presque philosophiques jusqu’aux poèmes-cris. Autant de variantes autour de l’appel repris sur différents modes. Il s’agit
d’ « essayer de trouver comment lancer l’appel - /L’appel contre le temps
figé ». Il y a, très prégnant, comme un corps à corps avec ce qui se fige,
ce qui se prend en glace, ce qui est impénétrable. D’où le recours incessant à
la faille et à l’entaille : « oser la faille du langage » dit-elle.
On peut aller plus loin encore et lui reconnaître cette force : oser la faille tout court, la faille de soi,
la faille du clivage, la faille qui bée entre soi et tout autre, habiter cette
faille, poème par poème au risque de la faillite, s’arranger pour qu’il faille,
que ça aille dans la faille, pour mettre le langage en faille réglée,
« je, avec la faille. »
La faille c’est aussi l’entaille (omniprésence du champ sémantique de la
coupure, du couteau), l’incision incisive
pratiquée à même la chair, à même le réel, dans le souci d’y aller voir, de
l’ouvrir en faille, voir ce qui parle, ce qui bée, ce qui grouille.
Il semble y avoir là une œuvre en construction, en progrès, une œuvre qui s’ancre dans les lectures publiques et les
performances mais qui s’approfondit aussi dans la recherche d’une écriture au
plus près de cette faille centrale, au plus près de « la brèche insoutenable
qui n’a jamais rien soutenu et où se place le langage ». Une œuvre qui
grandit non seulement en volume mais aussi en intensité et en profondeur. Une œuvre
à suivre, nécessairement.
rupture
Dernier Télégramme, 2008
14 € - Sur le site Place des Libraires et le
site de l’éditeur
Voir aussi un extrait de ce livre dans l’anthologie permanente de Poezibao ce mardi 16 décembre 2008