Mon professeur de philosophie, qui nous a habitués à ses interminables élucubrations et le récit de sa vie, a cité l’autre jour ce bon vieux Ronsard, récitant les premiers vers de ce poème apparemment connu de n’importe quel écolier. Aucun des lycéens de ma classe n’avait entendu parler de ces floraux mots d’amour.
Ce même professeur, accoutumé à mélanger allégrement toutes les disciplines, en est également venu à nous parler, lors d’un autre de ses cours, de sa rencontre avec l’écrivain Michel Tournier. Mes camarades eurent le sourire aux lèvres, ravis d’être cette fois-ci amplement capables de gloser sur l’œuvre de l’auteur cité, puisqu’ils étaient actuellement contraints, par notre professeur de français, de lire son fameux Vendredi ou les limbes du Pacifique.
Amoureux de l’anecdote, notre professeur de philosophie nous rapporta celle qui le frappa dans le discours de Tournier. En effet, ce dernier, se baladant dans les Cévennes, était tombé sur un berger qu’il avait suivi jusqu’à sa cabane. Dans l’humble bicoque, l’écrivain découvrit une collection de livres vertigineuses. Ceux-ci débordaient de tous les recoins de l’habitation. Tournier, en larmes, dit au berger qu’il devait être immensément heureux d’avoir lu tant de livres. Mais celui-ci répondit par cette luminuse sentence : « Non, je ne suis pas heureux car, au cours de ma vie, j’aurai seulement lu les livres que je souhaitais lire ».
Evidemment, les livres que souhaite lire le lycéen lambda (attention au vice de la généralisation !) sont, avec un peu de chance, les lourds tomes de la saga de Mrs Rowling ou d’autres romans récemment portés à l’écran. Il est donc important qu’à l’école, on demande aux élèves de lire des livres qu’ils n’auraient probablement jamais ouverts et qui, surtout, auront la vertu de leur ouvrir les yeux sur une quelconque thématique ou autre valeur.
Mais, même si ces lectures parviendront à éveiller quelque peu leurs jeunes lecteurs, ou en tout cas certains d’entre eux, il n’est pas sûr qu’ils utilisent à bon escient ces connaissances acquises au fil des pages. Et l’on est encore moins assuré qu’ils prendront goût à la lecture et qu’ils ouvriront désormais volontiers un roman, champ de possibles imaginaires infini et déconsidéré, trop souvent négligé pour d’autres occupations plus électroniques.
Le mois dernier, un article affirmait que les jeunes lisaient et, s’il ne s’agissait guère de classiques, les ados lisaient tout de même. Parle-t-on des mêmes jeunes ? Ceux de ma contrée semblent plus enclins à consommer l’art de manière passive ; films et musique leur semblent plus accessibles par l’implication bien moindre qu’ils demandent. L’« excuse » est souvent l’inculture totale dans le domaine. Sous prétexte qu’ils n’y connaissent rien, ils préfèrent ne pas s’y intéresser.
Il est plus que désolant que les « entrées en lecture » se fassent par l’axe malsain des romanciers amateurs-best-sellers. Le maléfique Styx Levy-Musso-Gavalda ne conduit pas les âmes innocentes à la connaissance littéraire, mais, souvent, au plaisir de la lecture. N’est-ce pas ce qu’on demande ? Les personnes initiées lisent, c’est au moins ça, non ? Cependant, un autre débat s’ouvre quant à la qualité littéraire de ce genre de livres. Vous avez dit subjectif ? Oui, un autre débat, et pas des moindres…