Le magazine Fortune a demandé à 8 experts de donner leur sentiment sur la situation actuelle et leurs prévisions pour 2009. Extraits.
Fortune, 11 décembre 2008 - extraits
Nouriel Roubini
Nous traversons une récession très sévère qui va se poursuivre tout au long de l’année 2009. C’est la pire récession aux USA depuis 50 ans. Elle a été déclenchée par l’éclatement d’une énorme bulle du crédit créée par l’effet de levier. On ne peut revenir en arrière et le point bas est encore loin. Cette bulle était nourrie d’excès dans tous les segments, des subprimes aux crédits de 1ère qualité, des crédits révolving aux prêts étudiants, des obligations émises par les entreprises à celles des municipalités.
Cette bulle se dégonfle en ce moment même, et massivement. Au point où nous en sommes, il ne s’agit plus seulement d’une récession américaine. Toutes les économies des pays développés sont au début d’un atterrissage brutal. Et les marchés émergents, à commencer par la Chine, connaissent un ralentissement sévère. Nous sommes donc face à une récession mondiale, et elle empire.
Les choses vont devenir horribles pour les américains moyens. La croissance du PIB sera négative jusqu’à la fin 2009. Et la reprise, en 2010 ou 2011, s’il y en a une, sera si faible, avec un taux de croissance de 1 à 1,5%, qu’elle sera ressentie comme une période de récession. Je pense que le taux de chômage va atteindre 9% en 2010. La valeur du parc immobilier a déjà chuté de 25%. A mon avis, le prix des biens va encore baisser de 15% avant d’atteindre le plus bas en 2010.
Robert Shiller, enseignant à Yale
Nous ne sommes très éloignés du niveau de chômage des années 1930, mais il existe cependant de nombreuses similitudes entre la situation actuelle et la Grande Dépression, et nous assistons à des évènements jamais observés depuis lors. Premièrement, l’ampleur des mouvements à la hausse et la baisse de la bourse. La valeur réelle de l’indice S&P 500, corrigée de l’inflation, a presque triplé entre 1995 et 2000, et en novembre 2008, elle a baissé de 60% par rapport au sommet atteint en 2000.
La seule séquence comparable est celle des années 1920, lorsque le cours des actions avait été multiplié par 3 entre 1924 et 1929, avant de perdre 80% de 1929 à 1932. Deuxièmement, nous avons la plus grande bulle immobilière depuis la dépression. Troisièmement, nous avons eu des taux d’intérêts à 0%. Nous avons même vu par instant des taux d’intérêts négatifs sur le court terme. Ce n’est pas arrivé depuis 1941. Il y a eu une période entre 1938 et 1941 où les taux avoisinaient le zéro et étaient parfois négatifs, mais cela ne s’est jamais produit depuis.
Et la liste s’allonge. Les statistiques ne remontent pas jusqu’à l’époque de la dépression, mais l’indice de confiance des consommateurs est vraisemblablement au plus bas depuis cette date. La volatilité des marchés boursiers, mesurée en terme de variations quotidiennes, est la plus forte depuis la dépression. En octobre 2008, on a enregistré la plus forte baisse de l’indice des prix de la consommation en un mois depuis avril 1938. Il y a également le fait que cette situation soit mondiale, comme c’était le cas durant la dépression.
Je veux croire que nous nous en sortirons mieux cette fois-ci, mais je reste préoccupé car nous sommes vulnérables. L’une des leçons de la dépression, c’est que les choses peuvent se détériorer longtemps. Mais ce qui m’inquiète à l’heure actuelle, c’est que la confiance a été ébranlée, et qu’elle est difficile à restaurer. Quoi que nous fassions, nous sommes face à un phénomène psychologique. La Fed peut toujours baisser les taux d’intérêt et acheter des titres, mais cela ne fonctionnera que si les gens y croient à nouveau. Et c’est un peu plus difficile à obtenir.
Meredith Whitney, analyste financière
Ce que le gouvernement a fait jusqu’à présent, avec le TARP, le renflouement de Citigroup, etc.., c’est arrêter l’hémorragie. Mais cela n’a pas fondamentalement transformé le paysage. Il y a certes eu des masses de capital injectées dans le système, mais ce qui me préoccupe c’est que cela n’a fait que boucher les trous. Cela ne va pas restaurer la liquidité dont le système a désespérément besoin.
Quand le gouvernement annonce ces plans, les investisseurs se réjouissent et se remettent à espérer. Mais les détails restent décevants. Bien que j’apprécie le fait que le gouvernement reconnaisse ses erreurs en disant « nous nous sommes trompés, essayons autre chose, » ces changements de stratégie n’ont rien résolu. Jusqu’à présent nous avons eu le TARP 1.0 [1], TARP 2.0, TARP 3.0 et je suis certaine qu’il y aura une version 4.0, 5.0 et 6.0. Il le faudra, car les entreprises ne peuvent lever les fonds dont elles ont besoin, ce qui signifie que ces capitaux devront être fournis par le gouvernement.