Romuald était en train de se faire larguer les amarres par une fille au long court qui avait des cheveux et des yeux qui en disaient mi-longs. Sans prévenir et sur un coup de tête en forme de brushing condescendant, la belle claqua la porte de leur petit nid douillet en emportant deux, trois babioles sans queues ni têtes, quelques souvenirs en noir & blanc et le beurre qu’ils avaient pour habitude de mettre dans les épinards. Romuald resta coi comme une taie d’oreiller qui aurait passé une nuit un peu trop blanche et s’écroula vers l’avant en regardant la demoiselle partir l’air de rien, les deux mains ventousées sur le visage, avec une aisance dramatique de circonstance plutôt bien vue.
La porte se refermait à peine sur cette histoire d’amour que le monde de Romuald s’écroulait illico comme un château de cartes Visa Premier, Master Gold et Infinity.
Romuald était au fond de son lit, seul comme un animal blessé et au bord d’un gouffre qui aurait donné le vertige au funambule de la publicité Afflelou.
Romuald appuya sur la touche play de sa boite à musique pour passer et penser à autre chose.
Il s’écroula la tête la première dans le traversin à plumes, l’oreille en éveil et le moral dans les chaussettes Burlington.
Les B’52’s chantaient à tue tête en criant dans la chaîne hifi qui résonnait à fond les 99 Luft Ballons dans cette chambre un peu étriquée et légèrement déprimée.
Par intermittence, Robert Smith des CURE, balançait quelques riffs de guitare angoissants, d’une beauté sans nom, et l’album « Mellow Gold » de BECK jouait « Loser » en boucle avec la classe d’un amoureux transit.
José des STUCK frappa à la porte de Romuald en sonnant à l’interphone.
Romuald s’était endormi. Beck l’avait achevé. La fatigue continuait à jouer de la basse en imitant la messe dominicale sur un air de musique de chambre qui n’aurait pas eu le pot escompté.
José insista.
« Ouohoho , tu dors ? », dit José en pensant « Ouais », machinalement.
Aucune réponse.
José et Romuald s’étaient rencontrés il y a quelque temps pour la bonne cause.
Ils étaient complémentaires et leurs idéaux musicaux réciproques.
Romuald était un écorché vif. José aussi.
Compositeur et producteur, Romuald avait voulu faire participer ses potes à son nouveau projet.
YOU !, son nouveau groupe, était le fruit de cette révolte et José par amitié avait posé sa voix sur la plupart des morceaux au hasard de ses inspirations du moment.
Après un 1er single, intitulé « Ouohoho » qui résonne encore comme le cri d’une bête piqué au vif par une nonchalance et une désinvolture déconcertante, You ! sortira son 1er EP le 28 janvier prochain.
Romuald ouvrit les yeux sur la basse enivrante de Seventeen Second.
José hurlait comme un oran-outang dans l’interphone.
« Ouohoho… tu es là ? »
Romuald se leva en titubant, l’air hagard.
« José ? »
« Ouais ! », répondit ce dernier.
« I hate you ! »
« Cool ! », dit José en pogotant comme un cabri.
Le 1er concert Parisien de YOU ! aura lieu au SHOWCASE le 19 décembre prochain.
" I Hate You " (vidéo Bech's)