Existe en nous cette grande arrière-pensée
inexprimable, au plus proche d’une brièveté mentale, où le langage est geste,
vision. L’écriture est alors une expérience du rythme qui demande une énergie
considérable car en-dehors de son temps de traduction, tout est déjà perdu,
enfui. Il s’agit de traduire les accents sonores de cette langue fondamentale.
Non pas de décrire ou croire nommer les choses, mais créer avec les mots un
état du corps équivalent à celui du moment où le langage nous traverse.
Je crois que j’écris parce que j’ai pressenti ce continent muet, quelque chose d’insondable, d’inexprimable et qui m’arrive dans la vitesse du langage à fleur de peau. Au moment où l’intuition de la vie est ressentie la plus forte, tout le langage semble faire défaut. Mais c’est alors que naissent les mots si nous avons la patience de croire et d’attendre. Au plus proche de la permanence d’un cœur où revivent les mots simples qui délivrent. Tous nous sommes hantés par cette présence-absence.
Patrick Laupin, les Visages et les Voix, Le Chemin de la Grande-Combe, La rumeur libre, 2008, p. 23