On sentait bien que, en Arabie saoudite, les temps étaient mûrs pour la petite révolution culturelle que représente, pour ce pays, l’ouverture de salles de cinéma (voir par exemple ce billet publié en mars dernier). A l’occasion de la fête du Sacrifice - un des temps forts de la consommation culturelle dans le monde arabe avec, en particulier, la sortie de nombreux films -, le public saoudien a pu enfin voir un film « en vrai », sans faire des centaines de kilomètres pour profiter des salles existant dans les pays environnants.
Il s’agit en fait d’une réouverture car il existait des cinémas en Arabie saoudite, il y a bientôt quarante ans, avant que ne soit prise la décision de les fermer, sous la pression des milieux conservateurs (religieux), ce que l’article publié dans Al-Hayat se contente d’évoquer à demi-mots. L’information est toutefois jugée suffisamment importante pour qu’elle figure parmi les titres de l’édition du dimanche 14 décembre, avec la reproduction de l’affiche du film qui a l’honneur d’ouvrir une nouvelle page du cinéma saoudien.
En réalité, ce n’est pas si étonnant car le quotidien appartient - entre autres vastes investissements, notamment dans les médias - au prince Waleed ben Talal, lequel est également le propriétaire de Rotana, énorme société de production musicale et cinématographique qui a produit - pour deux millions de dollars - la comédie dont la vedette principale est Fayez al-Maliki (فايز المالكي).
Le succès est garanti car l’acteur s’est rendu célèbre sur les petits écrans en incarnant le personnage de Menahi, un bédouin naïf aux prises avec la société moderne, ce qui fait se tordre de rire le public local ! (Le film est également distribué au Bahreïn, au Koweït, à Qatar et en Egypte.)
Pour autant, les médias « libéraux » se gardent bien de tout triomphalisme pour ne pas effaroucher le camp conservateur. Le film n’est projeté que quelques jours, seulement à Jeddah et à Taef dans l’ouest du pays, tout près de La Mecque, et les responsables n’hésitent pas à souligner que cette modeste entreprise commerciale n’est qu’un premier pas sur un long chemin qui, selon la formule consacrée, devra tenir compte de « la particularité de notre société, de ses habitudes et de ses coutumes ».
Mais les spectateurs interrogés par le journal - en majorité des jeunes mais également des familles, les uns et les autres séparés, naturellement - ne s’y trompent pas : l’événement est important. Comme le dit l’un d’entre eux, avec cette initiative, qui succède en fait à l’organisation de plus en plus fréquente de festivals eux-mêmes de plus en plus ambitieux, un gros obstacle a été surmonté et l’on peut désormais penser que l’interdit qui pèse sur le cinéma est en passe de tomber, comme avant lui ceux qui pesaient sur les télévisions par satellite ou les téléphones portables dotés de caméras.(En suivant ce lien, on peut voir quelques courts reportages sur la projection.)