L'affaire Dreyfus dans l'Eure : Claude Cornu, passionné et passionnant

Publié le 14 décembre 2008 par Gezale

Claude Cornu avait été présenté au public par Bernard Bodinier, président de la SED. (photos JCH)
L'affaire Dreyfus dans l'Eure, tel était le thème de la conférence donnée, samedi, par Claude Cornu, ancien professeur agrégé de lettres classiques au lycée des Fontenelles, docteur en histoire, membre de la Société d'études de Louviers et de sa région. Les auditeurs sont venus nombreux (notre photo) pour apprendre comment les habitants de l'Eure avaient réagi localement à une affaire dont les conséquences se font sentir encore aujourd'hui. Qu'il s'agisse de notre réflexion sur la raison d'Etat, sur le sentiment patriotique et nos rapports à l'Armée française ou de notre réflexion sur le courage de l'engagement finalement victorieux alors même que les chances de faire triompher la vérité étaient, a priori, nulles. Il y fallut des hommes et des femmes exceptionnels comme Emile Zola, le frère de Dreyfus, Mathieu, sa femme, lucie, Le sénateur Scheurer-Kestner, le lieutenant-colonel Picquart, et aussi une presse courageuse, celle qui ne crie pas avec les loups.
Claude Cornu ayant eu la délicate attention de distribuer à tous les présents une chronologie succinte de l'affaire, chacun comprit bien pourquoi les deux années décisives (1898 et 1899) ont d'abord retenu son attention. En 1898, Emile Zola est accusé de diffamation après la parution de son «J'accuse» dans le journal L'Aurore. En 1899 a lieu le second procès de Rennes avec ce verdict contradictoire : Dreyfus est reconnu coupable d'intelligence avec l'ennemi avec circonstances atténuantes. le 19 septembre, le président Loubet le gracie. Dix ans après (en 1908 donc) les cendres du grand écrivain dreyfusard sont transférées au Panthéon. Pour célébrer ce centième anniversaire, l'émérite conférencier tenait à partager ses recherches. Elles paraîtront bientôt d'ailleurs sous forme d'un ouvrage édité par «la revue d'études normandes».
Claude Cornu est un homme passionné, il est donc passionnant. Il aime L'Histoire, les événements (grands et petits) les détails, les faits. Il aime les analyser, les disséquer avec une précision toute chirurgicale n'excluant ni l'humour, ni un certain lyrisme concret. Pour sa conférence, Claude Cornu a fréquenté la Bibliothèque nationale, les Archives de l'Eure, il a compulsé les journaux locaux (pas tous mais presque) et nationaux de l'époque, il a cherché à comprendre pourquoi, finalement, le département de l'Eure, essentiellement peuplé de ruraux à cette époque était demeuré étrangement étranger à cette «trahison» du capitaine Dreyfus dont l'innocence mit quelques années avant d'être, enfin, reconnue.
Pendant ces deux années décisives, la France et Paris ont vécu au rythme de l'affaire. Les grandes villes aussi. Mais dans l'Eure, il n'y eut ni troubles, ni agitation, ni manifestations. 27 Eurois ont tout de même apporté leur obole à la souscription en faveur d'un monument à ériger à la mémoire du colonel Henry (1) Les journaux locaux (L'Industriel de Louviers, le Courrier du Neubourg, pour ne citer qu'eux) ont consacré des pages entières à l'affaire mais l'absence de communauté juive dans l'Eure (et donc de cible) l'absence également de groupes structurés contre ou en faveur de Dreyfus (ceux qui étaient dreyfusards se sont longtemps tu) a limité l'impact de l'affaire à des péripéties électorales telle cette élection législative partielle de Louviers en 1899 durant laquelle un candidat venu de la Meuse (et ancien député de Louviers) dut faire face à quelques interrogations sur ses liens (réels ou supposés) avec la famille de Dreyfus et sur son attitude en faveur (ou non) d'une révision du procès…
On retrouva pourtant dans les articles de presse antidreyusards tous les ingrédients de l'antisémitisme : la xénophobie, la soi-disante influence du «syndicat» sur la politique, l'économie, les arts…et quand l'innocence de Dreyfus fut reconnue et admise, la haine ne s'éteignit pas du jour au lendemain. On préféra invoquer une certaine lassitude à l'égard d'une affaire qui finalement n'avait que trop duré : «maintenant au travail» titraient les journaux !
Il fallait citer, comme l'a fait Claude Cornu, Charles Péguy mais j'ai choisi une autre citation que la sienne, très belle aussi, écrite par Péguy à l'occasion de la réhabilitation officielle de Deryfus : « Le 20 juillet 1906 fut une belle journée de réparation pour la France et la République. [...] l'une des oeuvres de relèvement les plus extraordinaires dont le monde ait été témoin, une de ces oeuvres qui retentissent jusque dans l'avenir le plus lointain, parce qu'elle aura marqué un tournant dans l'histoire de l'humanité, une étape grandiose vers une ère de progrès immense pour les idées de liberté, de justice et de solidarité sociale.»
(1) Le lieutenant-colonel Henry reconnaît le 30 août 1898, qu'il a forgé une lettre en 1896 pour étoffer le dossier Dreyfus (c'est le «faux»Henry). Arrêté, il se suicide le lendemain dans sa prison.
Claude Cornu, très applaudi, a d'ores et déjà donné rendez-vous aux membres de la SED et aux passionnés d'histoire. Le 24 janvier prochain, à 16 heures, dans la salle Pierre Mendès France de l'hôtel de ville, Charles Ridel, auteur des «Embusqués»…de la grande guerre (édition Armand Colin) évoquera une autre page de l'histoire de la France, celle de la guerre 1914-1918.