C’était en hiver 2003, je débarquais pour la première fois sur les terres de cette belle Bretagne aux paysages variés, je me retrouve alors dans la peau de ce voyageur solitaire si bien décrit par le feu Samba DIOP mawdoo nalaankoobe, célèbre poète de leele, musique du terroir et ancrée dans le subconscient des peules des rives.
J’atterrissais à Quimper, ville de lumière bâtie sur les hauteurs du mont Frugy et dont l’ombre vient caresser les rives de la rivière l’Odet.
Lors de mes promenades du soir sur le long de l’Odet, j’entends les échos des vents du Fuuta Tooro, messagers des odeurs de ma terre natale me rappeler une autre rivière des terres peules, nommée Loodo, que Baaba MAAL a su chanter avec force. Est-ce simplement une juste coïncidence des noms ou faut-il fouiller dans l’exil des hommes pour trouver la réponse dans cette curieuse ressemblance ?
La Bretagne, ce morceau de la France née de la complicité entre des vents furieux qui balayent les abîmes des océans et de la générosité de la nature pressée par la sueur des hommes et des femmes qui dépendent des largesses de la terre et de l’eau.
Que dire de la pointe du raz qui symbolise la résistance de la roche côtière face aux assauts incessants des vagues mortelles d’une mer déchaînée. Dans la brume qui surplombe les écumes de la mer on perçoit l’île de sein miraculée des ravages de l’océan, qui continue de tendre son regard vers le célèbre phare « Ar-Men », ce spectacle grandiose me ramène sur les pas de Thiourouyal, cette falaise argileuse fendant la profondeur du fleuve Sénégal tel un arc dont les cordes s’enracinent terriblement aux pieds de Haayre Damme.
En arpentant les chemins serpentés de la pointe de la torche, je me sens bercé par les écumes des mousses qui caressent le sable des plages, avec mon regard rivé sur cette colonie d’oiseaux marins survolant au dessus des bateaux de pêche, telles des nuées des mutums et des boolumbe se régalant des anndoonde en pleine migration fluviale.
Sur cette terre lointaine au parfum de mon Fuuta natal, qui reste parsemée des rivières dont les eaux douces et argentées viennent s’échouer sur les falaises des granites roses, tout me rappelle de mes merveilleuses racines peules, que dire de cette ferme nichée en pleine forêt, aux environs de la ville de Pondaven, où j’allais tous les weekends me ravitailler en lait frais ou fermenté, à travers ce lieu semblable aux campements des bergers peuls en pleine savane africaine. Je respirais le parfum de l’aube d’un Gurel Fulbe qui se réveille sous la douceur des meuglements des vaches, mon émotion est d’autant plus grande qu’en plein pays breton, je me revois accompagnée par ma grand-mère maternelle Djeïnaba Samba Souada SOW pour conduire le bétail vers Wasorde du village.
Qu’elle est belle cette forêt bretonne drapée dans son costume vert et qui laisse trahir des aridités inimaginables, l’exemple des monts d’arée est frappant, on dirait le reflet des hauteurs des collines noires de Jooke tendant leurs ombres à celle de haayre Mbaara.
Ma traversée de la rivière de l’Aulne avec ses eaux ocres à l’image d’un Fallémé vomissant des eaux boueuses de la pluie, me fait penser à la description magistrale de Guelaye Ali FALL sur Wennding, là où les affluents d’eau se rejoignent pour finalement emprunter un itinéraire différent. Ma surprise fut grande à Douarnenez, cette ville jonchée sur les rives de la mer et dont la multitude des bateaux de pêche rappelle qu’on est en milieu pêcheur, d’ailleurs on les appelait les mauritaniens, car ils partaient pêcher les langoustes sur les côtes mauritaniennes avant les indépendances. L’île de batz avec ses jardins tropicaux et ses moutons qui pâturent à travers cette eau salée parsemée des herbes rampantes par endroit offre un spectacle similaire à celui des bergers peuls accompagnants leurs bétails vers les points d’eau à l’orée du crépuscule, ah quels sont délicieuses ces galettes noires, spécialité de l’île, on dirait des buudi gawri.
Dans l’obscurité des nuits d’été, le rythme de la musique celte en plein festival de Cornouaille vient réveiller en moi le son de ces musiciens peuls appelés kélé mongnôdjé, dont les instruments résonnent dans les clairières des savanes tropicales pour louer la vie du brave et généreux berger peul. Cette harmonie bretonne née de l’attachement aux traditions et des valeurs bretonnes est étrangement similaire au fonctionnement de la société peule, on y retrouve la même fierté, la même hégémonie, le même orgueil, les mêmes valeurs et le même attachement au mystique, que dire du Diwaan, la langue bretonne dont certaine consonance converge vers l’étymologie peule.
La femme bretonne pour ne pas dire la coiffure de la bigoudène, elle cultive autant que la femme peule le sacre des tresses et de la chevelure dont la beauté reste admirée par tous.
Ah la ville de Morlaix aux allures de Baababe, carrefour des voyages et abreuvoir de la nature, elle offre un décor similaire à celui de Jowol, autrefois traversé par le célèbre Yejja dont les eaux viennent rafraichir le sable historique de Bilbasi. Les bretons ont choisi de vivre entre la clameur des mortels vents marins défiant les dernières résistances de cette nature sublime et encore sauvage par endroit, et leur quotidien reste partagé entre celui du modeste berger et à celui du pêcheur bravant les limites de la vie. La générosité, la sincérité et le courage des bretons ressemblent typiquement aux qualificatifs du peul.
Oumar Moussa N’DIAYE