Eloge de la lenteur...

Publié le 13 décembre 2008 par Stephanebigeard

De votre propre aveu, vous avez longtemps été un «accro de la vitesse», et vous voici devenu le nouvel apôtre de la lenteur. Pourquoi un tel revirement?
Une révélation !
Il y a quatre ans, j'attendais un avion à l'aéroport de Rome en lisant un journal, quand mes yeux sont tombés sur un article qui vantait les mérites de contes pour enfants présentés en version condensée.
Imaginez Hans Christian Andersen passé au crible du management !
A l'époque, j'étais sans cesse débordé et je me battais chaque soir avec mon fils de 2 ans, qui me réclamait des histoires toujours plus longues alors que je ne pensais qu'à finir ce qui me restait à faire: lire mes mails, terminer un article...
Je le confesse, l'idée d'écourter ce moment m'a d'abord enchanté.
Je me demandais même dans quels délais Amazon allait m'expédier le volume quand, tout à coup, j'ai pris conscience de l'ineptie de la situation
.
Ce fut le déclic?
Absolument.
Je me suis demandé si je n'étais pas en train de devenir fou !
Et, dans l'avion, je commençais déjà à me poser les questions qui sont aujourd'hui au cœur de mon livre :
pourquoi sommes-nous si pressés ?
Comment guérir de cette obsession du temps ?
Est-ce possible, et seulement désirable, d'aller moins vite ?
Selon vous, nous sommes tous contaminés...
En Occident, personne, ou presque, n'échappe au virus.
Je suis journaliste, je voyage souvent et j'écoute beaucoup les gens : tous se plaignent de manquer de temps.
Sans doute parce que nous vivons dans une culture de consommation et que nous brûlons d'accumuler autant de biens et d'expériences que possible.
Nous voulons faire une carrière honorable, nous occuper de nos enfants, sortir avec nos amis, pratiquer un sport, aller au cinéma, jouir d'une vie sexuelle harmonieuse...
Il en résulte un constant décalage entre ce que nous attendons de la vie et ce que nous en obtenons, lequel nourrit le sentiment que nous n'avons jamais assez de temps.
Du coup, la tentation d'aller plus vite, de courir contre la montre devient irrésistible.
Nous sommes devenus des drogués de l'activité.
Selon une étude menée en 2003 auprès de 5 000 travailleurs britanniques, 60% des personnes interrogées déclaraient ne pas envisager de prendre toutes leurs vacances.
Et savez-vous qu'en moyenne les Américains délaissent chaque année un cinquième de leurs congés ?

Mais il y a aussi une jubilation à vivre vite...
Dans une nouvelle baptisée La Lenteur, Milan Kundera parle de la vitesse comme d'une extase.
Bien sûr, la rapidité est très stimulante, très excitante.
Comprenons-nous, ce livre n'est pas une déclaration de guerre à la vitesse.
Le problème est que notre amour de la vitesse, notre obsession d'en faire toujours plus en moins de temps a passé les bornes.
Elle s'est transformée en dépendance.
Nous ne savons plus lever le pied, changer de rythme.
Aujourd'hui, nous privilégions la quantité au détriment de la qualité.

Quelle est la solution?
Il s'agit de trouver un meilleur équilibre entre activité et repos, travail et temps libre.
Chercher à vivre ce que les musiciens appellent tempo giusto, la bonne cadence, en allant vite lorsque notre activité l'exige et en se ménageant des pauses dès qu'on le peut.
Cette philosophie, très simple, est en train de gagner du terrain un peu partout dans le monde.
Sur le plan individuel, les gens sont de plus en plus nombreux à réfléchir sur leur rapport au temps et son impact sur leur qualité de vie.


Les entreprises sont-elles réceptives à ce type de démarche ?
Les rythmes de travail sont évidemment les principaux enjeux des apôtres de la lenteur. Et, là aussi, les choses changent.
Dans de nombreux pays d'Europe, le monde de l'entreprise a déjà beaucoup évolué.
Les Français vivent au rythme des 35 heures (même si ce choix pose question), les Néerlandais à celui des 38 heures et les Allemands ont vu leur temps de travail diminuer d'environ 15% depuis 1980.
Mais le mouvement touche aussi le Japon et même les Etats-Unis, qui comptabilisent aujourd'hui le plus grand nombre d'heures travaillées par an.
Des aménagements se mettent en place, sous la pression des salariés mais aussi à l'initiative des sociétés, inquiètes des effets du stress sur leur personnel.
La chaîne d'hôtels Marriott, par exemple, a décidé de lutter contre le «présentéisme» en proposant à ses salariés de quitter l'entreprise une fois leur tâche terminée, et cela quelle que soit l'heure.

Autre témoin de cette révolution, la journée annuelle d'action baptisée "Take Back Your Time" (Regagnez votre temps), instaurée dans une dizaine d'Etats américains.
Durant la dernière édition, les organisateurs ont notamment écrit une proposition de loi prévoyant un minimum de trois semaines de congés et une semaine de maladie payés.
La journée, largement relayée par les médias, est aussi l'occasion de nombreux séminaires rappelant les dangers du surmenage et informant sur les différentes façons d'organiser son temps et de décompresser.

La sieste commence aussi à faire son retour...
Absolument.
Au Portugal, une Association des amis de la sieste vient de se créer.
En Espagne, un réseau national de cafés-salons propose de faire une petite pause à toute heure de la journée.
Au Japon, le Club de la paresse, qui prône un mode de vie plus calme et moins agressif pour l'environnement, a ouvert un café à Tokyo proposant de la nourriture bio, des concerts à la bougie, des tables espacées pour permettre aux gens de se détendre et un espace repos.
Ce club, largement médiatisé, a contribué à mettre la paresse à la mode au Japon, comme en témoigne aussi le succès de l'ouvrage de l'anthropologue Keibo Oiwa : Vive la lenteur !
Son enquête sur les différentes campagnes internationales en faveur de la lenteur en est déjà à sa vingtième réédition!

Depuis sa parution, en avril 2004, votre livre a déjà été traduit en 23 langues. Vous sentez-vous partie prenante au mouvement?
Une chose est sûre, la révolution lente est aujourd'hui en marche et si mon livre accentue la prise de conscience générale, j'en suis très heureux.
Depuis sa parution, je suis très souvent invité à des séminaires pour évoquer les différentes expériences observées au cours de cette enquête.
J'avais d'abord imaginé que je serais seulement sollicité par des associations marginales, adeptes de yoga ou de gym douce.
Au contraire.
Ce sont les cadres et les chefs d'entreprise hyperactifs qui sont les plus intéressés.

Et, pour vous, qu'est-ce que cette prise de conscience a changé ?
Jadis, j'adorais la vitesse, mais je vivais dans une prison de vitesse.
Je ne savais pas m'arrêter, je cherchais à remplir chaque moment.
Aujourd'hui, ma vie est transformée.
Je joue toujours au hockey sur glace, qui est le sport le plus rapide du monde ;
j'aime toujours travailler dans les médias, écrire vite;
j'adore Londres, qui est une ville volcanique, d'une énergie incroyable.
Mais, d'un autre côté, j'organise ma vie différemment, j'établis des priorités.
Je fais des pauses, je pratique chaque jour dix minutes de méditation.
J'ai renoncé à regarder la télévision pour passer davantage de moments avec ma femme et mes enfants.
Nous avons retrouvé le plaisir de dîner chaque soir en famille.
Mes relations affectives, amicales sont plus harmonieuses.
En fait, j'ai trouvé mon point d'équilibre, ma «tortue intérieure».

Et vous quelle pourrait être votre "tortue intérieure" ???

Allez, au plaisir de vous lire...calmement !!!