Ces innombrables macrocomes et microcosmes
(apparaissent) en moi, dans l'infini.
Je suis non duel, invisible,
toujours apparent, plein de cette joie qu'est la conscience. 247
Celui qui a atteint l'état de Shiva
par la reconnaissance du Soi,
ne fait jamais d'effort
pour atteindre ou abandonner (quoi que ce soit).
Quand le Troisième oeil s'est ouvert sur la non-dualité,
il tisse lui aussi l'oeuvre quintuple en se riant. 248
["l'oeuvre quintuple": les cinq actes que Shiva accomplit a chaque instant, à savoir création, subistence, destruction, occultation et grâce]
Alors même que notre propre Essence
est manifeste en cet instant même,
elle semble absente :
telle est la Mâyâ, l'Ensorceleuse,
qui sans cesse manifeste la dualité. 249
Ce que je suis, je le suis toujours.
Je n'ai pas d'autre forme.
Je n'ai jamais été (autre chose), je ne serais jamais (autre chose).
Je ne deviens rien d'autre. 250
Je suis Shiva, félicité sans failles.
Le corps qui apparaît en ce moment n'est pas réel.
De fait, ce corps est, depuis toujours, détruit à chaque instant.
Il n'était pas avant (la naissance), il n'existera pas de nouveau après (la mort). 251
[Dans ce vers, l'auteur contredit Abhinavagupta, selon qui toute apparence est réelle (satyarûpa). Il semble ici adopter un discours de type bouddhiste ou védântique ("tout est illusion"). Il faut dire qu'avant de découvrir le shivaïsme du Cachemire, Râmeshvar Jhâ avait passé la majeure partie de sa vie à pratiquer l'Advaita Vedânta.]
Ce corps est à la fois mon meilleur ami
et mon pire ennemi :
c'est grâce à lui que je reconnais le Soi
et à cause de lui que je l'oublie. 252
[Après le vers précédent, celui-ci confirme le statut ambigu du corps : l'incarnation est à la fois l'obstacle et le moyen de dépasser cet obstacle. Le corps n'est donc pas mauvais en lui-même.]
Pour celui qui connait l'essentiel, Shiva,
où et comment pourrait-il y avoir dualité ?
De quoi aurait-il peur ?
Même la dualité lui apparaît comme
sa propre Essence.
Mal être et bien être ne paraissent
pas séparés non plus. 253
["De quoi aurait-il peur ?": en effet, c'est toujours d'un autre (Dieu, les dieux, le karma, le maître, le silence, l'inconscient, la nature, l'avenir, les autres, etc.) que l'on a peur. La non dualité est donc l'absence de peur, la quiétude absolue.]
Râmeshvar Jhâ, La Liberté de la conscience (Samvitsvâtantryam), Varanasi, 2003.