« introduction À la stratÉgie » par andrÉ beaufre – 7

Par Francois155

LES SUBDIVISIONS DE LA STRATÉGIE.

Si dans la partie précédente, l’analyse de la stratégie, Beaufre nous a démontré que « la stratégie est une par son objet et par sa méthode », il note désormais que, dans l’application, « elle se subdivise nécessairement en stratégies spécialisées valables uniquement pour un domaine particulier du conflit ». Et c’est une structure pyramidale qui représente le mieux cet ensemble de « stratégies distinctes et indépendantes qu’il est indispensable de bien définir pour pouvoir les combiner au mieux dans un faisceau d’actions visant le même but d’ensemble ».

Avant de revenir sur chacune des subdivisions, on peut déjà représenter cette pyramide de la manière suivante : au sommet se trouve « la stratégie totale », qui va se scinder en plusieurs « stratégies générales » lesquelles, à leur tour, vont engendrer des « stratégies opérationnelles ».

La stratégie totale :

Celle-ci est immédiatement subordonnée au gouvernement (« donc à la politique ») : elle est chargée à la conduite de la « guerre totale ». « Son rôle est de définir la mission propre et la combinaison des diverses stratégies générales, politique, économique, diplomatique et militaire ».

Un petit mot sur le terme « total », employé par Beaufre : nous avons vu que, pour lui, il ne pouvait y avoir de guerre que totale, c'est-à-dire employant conjointement tous les leviers de l’État, et pas seulement l’outil militaire. L’auteur, pour justifier son choix sémantique, insère d’ailleurs une note de bas de page qu’il convient de citer : « le terme de stratégie totale parait plus explicite, accolé à celui de « guerre totale », que le terme parfois utilisé par les Anglais de « Grande Stratégie » ou par les Américains de « Stratégie Nationale ». Quant à celui de « Défense nationale », il ne correspond à rien et a surtout pour effet de brouiller les esprits ».

Ce niveau suprême de la stratégie est le fruit des grandes orientations politiques choisies ; les acteurs de la stratégie totale sont donc « les chefs de gouvernement assistés de leur chef d’état-major de la Défense nationale ou comités supérieurs de la Défense ».

Les stratégies générales :

Il n’y a qu’une seule stratégie totale qui assigne à chacun des domaines subordonnés (c'est-à-dire, dans le cadre défini par Beaufre de la guerre totale, les domaines militaires, diplomatiques, économiques et politiques agissant en synergie) une direction qui va les amener à définir et à conduire leur propre stratégie générale qui « a pour fonction de répartir et de combiner les tâches des actions menées dans les différentes branches d’activité du domaine considéré ». Néanmoins, et Beaufre n’est pas dupe, « s’il existe effectivement une stratégie générale militaire, cherchant à combiner au mieux les actions terrestres, aériennes et navales, il n’existe pas de notion de stratégie générale adaptée au domaine politique (par exemple : ligne politique, action intérieure, action extérieure, propagande), au domaine économique (par exemple : production, finances, commerce extérieur) et au domaine diplomatique ».

Cette carence est dommageable, bien sûr, car « dans ces domaines (…) la stratégie se pratique journellement sans le savoir. Mais faute de le faire consciemment on ne tire pas tout le parti que l’on pourrait tirer d’une action fondée sur des conceptions plus systématiques résultant d’une forme de raisonnement mieux établie ».

Si ce sont les chefs de gouvernement qui sont en charge de la stratégie totale, les « stratégies générales sont celles que pratiquent ou devraient pratiquer les ministres intéressés, assistés de leur chef d’état-major ou de leur secrétaire général ».

Les stratégies opérationnelles :

Nous entrons ici dans un niveau qui se situe à « la charnière entre la conception et l’exécution, entre ce que l’on veut ou doit faire et ce que les conditions techniques rendent possible ». En effet, la stratégie opérationnelle « va considérer les possibilités déterminées par les tactiques ou les techniques de la branche considérée mais aussi orienter l’évolution des tactiques et des techniques pour les adapter aux besoins de la stratégie ».

Pour illustrer plus concrètement ce rôle de la stratégie opérationnelle, l’auteur prend l’exemple de la stratégie terrestre classique : c’est à ce niveau « qu’interviennent les facteurs logistiques et tactiques dont la valeur relative détermine la force des opérations et qui par là commandent toutes les possibilités militaires de la stratégie ». De même, c’est là « qu’il faut placer la stratégie de temps de paix qui consiste à réaliser des armements nouveaux surclassant ceux des adversaires éventuels ». Cette dimension de la stratégie opérationnelle, que l’on nomme « stratégie logistique » ou « stratégie génétique », est essentielle : ce n’est qu’en la considérant « comme une véritable stratégie (et non comme un agrégat de programmes budgétaires et financiers) et en la situant à sa place dans la pyramide des stratégies que l’on pourra la conduire efficacement ».

La stratégie opérationnelle considère donc d’une part ce que l’on peut faire avec les moyens dont on dispose et, d’autre part, comment accroitre ces derniers pour mieux atteindre ses objectifs.

On le voit, cette partie de la réflexion de Beaufre n’est ni la plus claire, ni surtout la plus développée. Du reste, l’auteur le reconnait lui-même : « cette analyse des diverses stratégies certes ne simplifie pas le problème et montre toute la complexité du sujet. Par contre, on pourra reconnaître que l’abstraction nécessaire de la stratégie conduit à des conclusions pratiques et que celles-ci à mesure qu’on les découvre rendent plus intelligibles les rapports existants entre les divers facteurs dont la maîtrise est absolument indispensable à la conduite de la guerre comme au maintien de la paix ».

C’est sans doute cette volonté de démontrer que l’abstraction générale de ses premières réflexions pouvait s’illustrer concrètement au niveau décisionnel qui a poussé Beaufre à aborder les subdivisions de la stratégie, sans explorer de manière trop exhaustive, pourtant, toute la complexité des interactions existant entre les différents étages de la stratégie.