A propos de Gottland de Mariusz Szczygiel (Actes Sud).
Gottland. Gottland ou la République Tchèque selon Mariusz Szczygiel (polonais &, a priori, fier de l'être). C'est l'histoire de la famille Bata (les godasses) une famille de génies pas mal allumés, accusés de collaboration avec les nazis par le régime communiste qui leurs fera passer le balais dans toutes les rues du pays. C'est l'histoire de Lìda Baarovà (Ludmila Babkovà de son vrai nom) une grande & belle actrice qui a eu le malheur d'être amoureuse d'Hitler (ça n'a pas eu l'air de coller des masses entre eux parce que la Lìda ressemblait trop à la nièce incestueuse du Führer, Geli, laquelle, si vous voulez bien vous souvenir, s'était suicidée d'une balle dans le coeur – amour un jour, amour toujooours!!!) avant de vivre le fameux triangle amoureux, si cher à René Girard, avec Goebles & sa femme. C'est encore l'histoire d'Otokar Svec, le sculpteur choisi pour édifier la plus grande statue de Staline jamais vue & qui, le jour même de l'inauguration, s'est suicidé. Lui aussi. Selon certains témoignages paraîtrait que la main gaillardement scuptée d'un soldat russe touchait les fesses ou chais plus quoi, faudrait relire le passage, d'une paysanne... à moins que ça soit les coucouilles d'un copain. Ça a fait scandale. L'histoire, encore & toujours, très singulière, de Karel Fabian, un auteur de romans d'horreur, farouchement opposé aux communistes & qui s'est converti au stalinisme d'un coup d'un seul. Scandale encore, encore & encore. Gottland, enfin, c'est aussi le nom d'un musée créé en l'honneur de l'icône locale de la chanson: Karel Gott dit la Voix du Peuple Tchèque dit l'Homme-aux-32-Rossignols-d'or dit aussi le Traître, quoique plus discrètement.
« Pendant votre pause lisez tant que vous pouvez mais ne lisez surtout pas de romans soviétiques car les romans soviétiques tuent la joie de vivre » Tomàs Bata.
L'Europe post-communiste n'en finit pas de recracher ses cadavres à la plus grande (& feinte) surprise de ceux qui n'étaient pas là, soit disant. Hier encore on tremblait d'indignation en apprenant que le petit Kundera n'avait peut être pas était aussi sage qu'on le croyait, en disant ouhlalala c'est pas bien du tout ça – le peuple français (peuple de bofs racistes, de petits fils de collabos & de grandes gueules tout de même) est toujours très prompt à donner dans la leçon. Pan-pan cucul! Dit-il à la moindre occasion & c'est une chose vraiment très intéressante, cette mauvaise foi poussée au degré ultime de la mauvaise foi maisBREF! Trahison &/ou collaboration, le peuple tchèque aimerait bien oublier, sinon passer à autre chose. D'après le livre, on peut se dire que la plupart on (presque) réussi, ou du moins font comme...& ainsi donc les grandes difficultés de l'auteur à récolter des informations de première bourre, à interroger les gens sur ces périodes plus qu' ambiguës – l'annexion du pays par l'Allemagne nazie puis les quarante & quelques années de joies soviétiques. Les paragraphes courts & nerveux de Mariusz Szczygiel nous gribouillent un pays où tous ont essayé, tant bien que mal & avec plus ou moins de succès, de se débrouiller avec l'arbitraire & l'absurdité du gouvernement communiste. Il existe des personnes qui voudraient bien changer « collusion » avec « concession » & comment leurs en vouloir. Fallait bien continuer à écrire, à chanter, à jouer tout simplement. Pour les autres il y a ce que l'on a appelé la « rééducation idéologique » (une des plus belles litotes que l'histoire contemporaine nous ait laissé) & la répartition des taches. Voilà donc des écrivains qui deviennent cantonniers, des chanteurs électriciens, des réalisateurs laveurs de vitres... les procès politiques font le ménage de toute la merde que la peur n'a pas réussi à éradiquer & le simple fait d'être né est considéré comme un délit. Ces mise-en-scène fantastiques de l'épuration idéologique que le régime mena avec autant de stakhanovisme que possible ont fait de Kafka, avec près de vingt ans d'avance (Le Procès est publié en 1925), le chroniqueur judiciaire le plus lucide de son pays. On peut imaginer ce que le fait d'écrire en allemand lui aurait coûté. L'aberration de l'époque lui aurait certainement valu d'être accusé de collaboration avec les nazis qui l'auraient certainement déporté, comme une bonne partie de sa famille, si il n'était pas mort plus tôt... on se demande s'il n'a pas eu finalement de la chance d'avoir une si mauvaise santé.
« Cette histoire est une pure fiction, ce qui s'est passé réellement est bien plus effrayant »
Dans la Revue Internationale des Livres des mois de septembre/octobre il y avait un article très très intéressant d'un certain Paul-André Claudel qui, à la suite du livre de Franco Moretti (Graphes, Cartes & Arbres, aux Prairies Ordinaires) sur une nouvelle & très très originale approche de l'histoire de la littérature, investissait un livre sur l'archéologie (Laurent Olivier, Le Sombre Abîme du Temps, au Seuil) pour prolonger, diversifier la démarche de Moretti. Voilà ce qu'il en dit: « La question que nous pose ce livre, est extrêmement simple: & si les études littéraires, en quête de modèles alternatifs, se tournaient non pas vers les « sciences statisticiennes » qui servent habituellement de référence & de caution, mais plutôt vers une discipline qui s'occupe elle-même des traces du passé, c'est-à-dire vers l'archéologie? ». La question, effectivement, à le mérite d'être posée, en tout cas pour ceux qui s'y intéressent. Il poursuit plus loin avec un point qui nous intéresse tout particulièrement au sujet de Gottland: « L'action archéologique est liée à un geste essentiel, qui est celui de la fouille, elle est également associée à un paysage, qui est celui de la ruine; elle est enfin directement dépendante d'un certain type d'objets matériels, qui sont les reliques et les fossiles de toutes origines [...] La première chose que nous rappelle utilement l'essai de Laurent Olivier, lorsqu'il parle du « paysage du présent » comme d'un amalgame de « temporalités survivantes », c'est que le spectacle que nous contemplons depuis notre présent n'est évidemment pas le passé de la littérature « tel qu'il a été », mais le résultat du long travail du temps sur la littérature. » La chose intéressante avec le livre de Mariusz Szczygiel c'est que ces mêmes méthodes archéologiques appliquées à la littérature sont ici appliquées à l'Histoire « invisible ». En lisant Arno Schmidt je tombe sur ça: « La « grande » Histoire: sans intérêt.[...] Je ne m'intéresse qu'aux « antiquités privées »: c'est là qu'on trouve la vie & le mystère ». Ou alors ceci: dans les années 50/60 si je ne me trompe pas, Jamina Turek, cette tchèque qui nota scrupuleusement tout au long de sa vie ses moindres faits & geste en omettant soigneusement tout événement qui pouvait avoir une portée historique. La démarche de Szczygiel se trouve un peu au carrefour de tout ça. A travers ces « trous » de l'Histoire, cette sédimentation singulière qui en révèle sans doute autant, voire plus, c'est toute la psychologie bancale, voire la psychanalyse en surface (si ça veut dire quelque chose), d'un pays qui se dessine timidement. Un pays qui a essayé de se rebiffer, qui a essayer de vivre avec, de louvoyer, de soudoyer, de s'adapter pour survivre. L'histoire complexe & chahutée de l'ancienne Bohème, ancienne région de l'empire Austro-hongrois, ancienne Tchécoslovaquie, ancienne annexe du Troisième Reich, ancienne antenne communiste (comme la Pologne de Szczygiel) qui sur imprime le problème d'une identité trouble que les nouvelles générations trimballent sans trop savoir comment & pourquoi, quitte à rompre violemment avec les anciens (la revue Reflex à qui l'on doit le « scandale – encore, encore, encore! - Kundera"). L'intérêt littéraire du livre est quasiment nul. Mais le diable est dans les détails & voilà sûrement la véritable valeur de Gottland. On pourrait simplement regretter que Mariusz Szczygiel ne soit pas allé plus loin dans sa démarche, plus profondément comme pour une véritable fouille archéologique, & nous laisse un goût de trop peu.