Quel est votre sentiment général sur la manière dont les médias traitent les défaites commerciales des entreprises françaises (PME notamment) à l’étranger ? Observez-vous une asymétrie de l’information de la part des médias entre les victoires et les défaites commerciales françaises à l’international ?
Renaud Belleville :
C’est vrai que j’ai l’impression que l’on parle plus souvent des victoires commerciales françaises que des défaites. Sauf dans certain nombre de cas très importants ou très médiatiques, je pense au fameux contrat pour les avions ravitailleurs du Pentagone et de la compétition entre EADS et BOEING. La presse en a beaucoup parlé parce que EADS l’avait remporté, mais si BOEING l’avait remporté, on aurait aussi dit, certes sûrement moins, que EADS avait échoué à l’appel d’offres car c’était un très gros contrat avec une dimension politique forte. En revanche, il y a tout un tas de contrats qui sont négociés directement par les entreprises, soi avec des administrations publiques ou étrangères dans les pays où elles souhaitent s’établir, et dont on ne parle pas. En fait ce sont souvent les entreprises elles-mêmes qui maîtrisent leur communication, c'est-à-dire qu’elles envoient systématiquement des communiqués quand elles remportent des contrats. Et bien sûr, ces entreprises n’envoient jamais de communiqués pour signaler qu’elles n’ont pas été retenues pour tel appel d’offres ou autre dans tel ou tel pays. Donc si dans le pays en question, le Gouvernement ou l’entreprise publique ou autre, font un communiqué pour dire par exemple que SIEMENS a remporté tel contrat sans forcément préciser que ALSTOM était aussi candidat et qu’il n’a pas remporté l’appel d’offres en question ; si il n’y a pas sur place un journaliste français spécialisé qui suit de près l’évolution et les détails de l’appel d’offres, vous ne saurez jamais quelles entreprises ont été éliminées de la compétition.
C’est un peu paradoxal, on a coutume de dire que l’on parle des trains qui n’arrivent pas à l’heure et on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure. Par rapport à votre sujet, c’est un peu l’inverse je dirais. On ne va pas systématiquement recenser tous les contrats qui ne sont pas remportés, sauf comme je vous l’ai dit dans le cas de très gros contrats. Il ne faut pas néanmoins conclure que les journalistes font forcément mal leur travail. Je dirais qu’il y a une telle masse d’information à sélectionner que les journalistes sont obligés de hiérarchiser. Encore une fois, dans le cas de très gros contrats, je maintiens que la presse a quand même tendance à parler des défaites commerciales françaises. Il arrive même d’ailleurs que des entreprises préparent le terrain quand elles se rendent compte qu’il y a peu de chances qu’elles remportent un contrat à l’étranger. Leur service de communication se charge dans ce cas de préparer une stratégie de communication avant le verdict d’un appel d’offres afin d’anticiper la demande d’information par les journalistes. Vous avez également souvent des entreprises qui vont vous dire que les conditions des concurrents étaient tellement ridiculement basses et anti-économiques qu’elles sont bien contentes de ne pas avoir remporté tel ou tel contrat car elles auraient perdu de l’argent. A ce moment là on en parle un peu. Mais c’est vrai que sur la masse des contrats, on parle globalement beaucoup plus des contrats qui ont été remportés par les entreprises françaises que des autres.
S.D : Comme vous venez de le dire, les journalistes sont saturés d’informations. Je suppose que lorsque vous recevez un dossier de presse, réalisé par des agences de communication privées d’un grand groupe, cela vous fait gagner énormément de temps dans la mesure où ces dossiers de presse sont très bien faits et professionnels. Finalement, n’y a-t-il pas un risque à ce que les journalistes deviennent en quelque sorte trop dépendants de ces agences de communication privées ?
R.B : Effectivement. C’est aussi le problème entre les journalistes spécialisés et les journalistes non spécialisés. Si on prend les grands médias par exemple. Si vous êtes sur une chaîne de télévision ou une chaîne de radio, ou un grand quotidien d’informations générales comme Le Monde ou Le Figaro, il est évident que le nombre de gens qui traitent des sujets économiques en général dans ces rédactions est assez limité. Et ceux qui s’intéressent à l’économie au sein de ces rédactions, mais bon l’économie c’est très large, il y a ceux s’intéressent essentiellement au problème du baril du pétrole, du dollar, du chômage et d’inflation ; et finalement ceux qui s’intéressent aux entreprises il y en a très peu. Par exemple, j’étais hier au téléphone avec étudiant qui vient de rentrer en stage chez ITélé. Cet étudiant me disait qu’il y avait seulement 4 journalistes au service économie. Ca vous donne déjà une idée des sujets qui vont être traités. Quand vous avez 4 journalistes économiques au sein d’un média comme ITélé, comparé aux Echos où vous avez une centaine de journalistes économiques, vous ne pouvez bien entendu tout couvrir. Il est donc évident que vous ne pouvez pas assurer un suivi régulier sur les contrats des entreprises françaises à l’étranger. Aussi quand vous recevez un jour des communiqués de VINCI ou de BOUYGUES ou d’ALSTOM informant sur la victoire de tel contrat, vous êtes tellement pris par les flux d’informations que vous n’avez pas le temps de retracer l’historique complet ou les conditions complètes d’un appel d’offre à l’étranger.
En revanche, c’est vrai que des journalistes dans des organes de presse plus spécialisés comme Les Echos ou La Tribune ou à des mensuelles économiques par exemple, vous avez des gens qui sont beaucoup plus spécialisés. Les gens qui suivent un domaine bien particulier comme par exemple le secteur de l’automobile, de l’énergie, du BTP etc., ils doivent être normalement plus attentifs parce qu’ils sont en contact en permanence avec les entreprises d’un même secteur. Quand VINCI annonce qu’il a remporté le contrat de tel usine de dessalement ou de telle autoroute au Portugal ou à Abu-Dhabi ou ailleurs, ces journalistes devraient de temps à autre faire un bilan en regardant depuis le début de l’année combien de contrats ont été remportés, combien y avait-il de candidats etc. A la limite, les journalistes pourraient faire cela pour les grandes entreprises. Ca sera en revanche plus difficile de faire un tel bilan pour les PME due à la masse d’information à traiter.
Un point qui me frappe, ce sont les voyages qui sont organisés assez régulièrement avec le Président de la République, le Ministre de l’Industrie ou du Commerce Extérieur, où l’on envoie 200 ou 300 chefs d’entreprises dans un pays avec un voyage officiel. Si c’est un voyage comme en Chine ou en Tunisie dernièrement, on parle des grands contrats qui sont signés par ALSTOM, AREVA, TOTAL etc. Par contre, on ne parle pas des 150 chefs de PME qui sont présents lors de ce déplacement officiel. La question est alors de savoir si les journalistes qui accompagnent ce genre de voyage, et notamment ceux qui suivent le commerce extérieur, gardent contact par la suite avec ces 150 patrons de PME qui ont gagné des contrats dans telle ou telle région de Tunisie ou de Chine par exemple. Evidemment un journaliste ne peut pas récupérer les 150 cartes de visite simplement en prenant une quinzaine de contacts, il pourrait vérifier l’avancement de l’exécution des contrats annoncés trois ou quatre mois après simplement pour vérifier si il n’y a pas un décalage entre ce qui a été annoncé et ce qui reste trois-quatre mois après. Alors c’est vrai qu’il est difficile de faire un suivi comme celui-ci cela demande un vrai travail d’investigation qui prend du temps. Les journalistes font très peu, ou pas du tout, ce genre de suivi des contrats remportés mais ça serait très utile à mon sens de voir le rendement de ces visites officielles pour les patrons de PME.
S.D : Durant ces voyages présidentiels, qui sont réellement les journalistes qui accompagnent l’escorte présidentielle et qui relatent les contrats remportés ? Est-ce le service de presse de l’Elysée ou bien des journalistes de grands quotidiens nationaux ?
R.B : Je pense qu’il y a les deux. En général, si c’est un déplacement officiel dans un très grand pays comme la Chine ou l’Inde, on a des correspondants qui sont déjà sur place. Par exemple pour la Chine, c’est notre correspondant de Pékin qui suit les étapes du voyage présidentiel. Quand c’est dans des pays où l’on n’a pas de correspondants et qu’un patron d’un grand groupe comme LAFARGE ou EDF se rendent à l’étranger par exemple, l’entreprise s’arrange pour inviter quelques journalistes de grands quotidiens nationaux. C’est vrai que n’est pas dans le cadre d’un voyage officiel comme vous me le demandez, mais à cette occasion le patron d’un grand va certainement expliquer où en est la situation d’un contrat qui avait été médiatisé durant le déplacement du Président auparavant.
S.D : Comment expliquez-vous que les médias français relatent très peu des relocalisations des entreprises françaises ? Pouvez-vous me citer un cas de relocalisation et qui n’aurait pas suscité l’intérêt des médias ?
R.B : Une fois cela dépend du type de journaliste. Il y a ceux qui passent leur temps à faire des enquêtes ce qui implique d’avoir beaucoup de temps et d’être dans une rédaction qui a beaucoup de moyens, il y a donc peu de personnes seulement qui peuvent faire ce genre de suivi. Et puis il y a ceux qui suivent un secteur particulier, qui sont eux, plus tributaires de la masse d’information qui leur arrive, et qui ont donc moins le temps de consacrer du temps au travail d’investigation en amont. Par exemple, quand vous avez une usine qui va fermer parce que telle société a décidé d’implanter une usine que ce soit en Europe de l’Est, au Maghreb, en Inde ou en Chine, il est vrai que ce sont les syndicats de l’usine en question qui provoquent largement la médiatisation et que c’est à ce moment là seulement que les journalistes vont s’intéresser à ce phénomène de relocalisation.
S.D : Y-a-t-il une « autocensure » chez les journalistes qui empêche la diffusion des défaites commerciales françaises à l’étranger ? Dans le sens où lorsqu’un journaliste arrive à obtenir une information à valeur ajoutée, un « scoop », il lui arrive de s’interdire à lui-même de diffuser une information craignant de dépasser la ligne éditoriale ou bien des retombées contre lui.
R.B : Je ne le pense pas. Quand vous apprenez qu’il y a un contrat important ou un appel d’offre qui n’a pas été remporté par un grand groupe français, le journaliste économique doit s’intéresser aux conditions de cet échec. Il y a également les concurrents de nos groupes français qui communiquent, et l’information ne passe pas inaperçue aussi bien dans leur pays d’origine qu’en France. Ce n’est en général pas l’entreprise qui a perdu qui va prendre les devants en annonçant sa défaite. C’est bien normal que l’entreprise qui a gagné un appel d’offre [le concurrent étranger quand un groupe français a perdu un contrat] communique dessus. A ce moment, il n’y a aucune raison pour que le journaliste ne s’interroge pas sur les conditions de l’échec en se demandant si le concurrent avait une meilleure offre, ou bien s’il a fait du dumping, etc. Dans un certain nombre de pays il n’y a pas que le produit ou le service qui est fournit, il y a aussi les modes de financement, etc. Normalement, le journaliste doit analyser toutes ces choses sans avoir d’état d’âmes et sans aucune crainte d’éventuelles représailles.
Dans la presse qui suit de près des secteurs précis, on trouve quand même des analyses de cas de défaites de grands contrats même si c’est peu fréquent en effet.
S.D : Si l’on prend le cas de la Chine, on s’aperçoit que la France a cédé du terrain vis-à-vis de l’Allemagne. On estime que les exportations françaises représentent environ 13% du total des exportations de la zone euro à destination de la Chine. Actuellement, un produit européen sur deux vendu à Pékin est d’origine allemande. Selon les statistiques de la Douane chinoise, la France se trouve au 4ème rang des partenaires commerciaux de la Chine au sein de l'Union européenne, avec un volume d’échanges commerciaux de 13,39 milliards de dollars contre 41,8 milliards USD pour l’Allemagne en 2006. Enfin, la France ne réalise que 12% de ses exportations avec les pays dits « émergents » contre 17% pour l’Allemagne. Cet écart du commerce extérieur entre la France et l’Allemagne ne révèle-t-il pas une inadéquation des produits français avec les besoins indispensables des pays émergents en termes d’équipements ?
Quelles sont, selon vous, les principales faiblesses dans la stratégie des entreprises françaises pour l’exportation de leurs produits en Chine et les autres pays dits « émergents » ?
R.B : C’est dû en partie à une inadéquation de nos produits. On dit qu’une des forces de l’Allemagne, c’est son tissu de PME mais au sens « grosse PME » et notamment dans le secteur de la mécanique, des biens d’équipement, etc. Il y a tout un tas de produits qui sont très compétitifs qui sont fabriqués par les Allemands et qui ne sont pas du tout fabriqués par les entreprises françaises. Ca c’est une des raisons de cet écart du commerce extérieur entre la France et l’Allemagne vis-à-vis de la Chine et d’autres pays émergents. D’autre part, cet écart ne vient pas forcément de grands contrats qui sont davantage remportés par l’Allemagne. Il s’agit plutôt de contrats moyens concernant des pièces détachées de machines-outils par exemple. Je me souviens que dans les années 80 et 90, on passait son temps à parler en France des faillites d’entreprises du secteur des machines-outils les unes après les autres. Pendant cette même période, les Allemands ont continué à avoir une industrie très forte dans ces secteurs ce qui explique en partie cet écart aujourd’hui.
Autre point important même si il est vrai que ça un peu changé à présent : je me souviens que lorsque Gerhard Schröder était chancelier, il allait deux fois par an en Chine avec d’importantes délégations. Si vous regardez Jacques Chirac à la même époque, qui était pourtant considéré comme quelqu’un aimant beaucoup l’Asie, n’a pas effectué autant de déplacements en Chine en 12 ans de mandat. Idem lorsque Lionel Jospin était au Premier Ministre, on était très loin du nombre de déplacements effectués par Schröder à cette époque. Il y avait quand même les visites du Ministre du Commerce Extérieur qui se rendait en Chine mais ce n’est pas la même chose. Quand vous envoyez un simple ministre si je puis dire dans un pays comme la Chine où il y a un pouvoir fort, ce n’est pas la même chose du tout que si vous envoyer le Chef de l’exécutif.
Pour l’Allemagne, il y avait une sorte de « service après-vente » grâce aux deux déplacements annuel du Chancelier qui permettaient de faire un point sur l’avancement des contrats. Sur ce point là, les Français avaient indéniablement du retard. Pour prendre des sujets qui sont très actuels et sensibles, alors qu’Angela Merkel avait reçu le Dalaï-lama ou pris des positions vis-à-vis du Tibet, je parle bien avant les incidents de la flamme, qui avaient beaucoup choqué en Chine, l’Allemagne n’a jamais craint le boycott de ses produits tout simplement parce que pour un certain nombre de produits, il n’y a que les entreprises allemandes qui pourront les fournir aux Chinois. Globalement, je dirai que si vous faites des gestes politiques forts mais qu’en même temps il n’y a pas eu tout un travail de fond fait depuis des années, comme c’est le cas de l’Allemagne qui fait en continu depuis très longtemps tout un travail diplomatique et de réseaux d’entreprises avec la Chine, vous n’arriverez pas à augmenter significativement et dans la durée votre commerce extérieur avec un pays. En France, on était très content parce que le Président de la République effectuait un ou deux voyages officiels au cours d’un quinquennat. Si admettons qu’en cinq ans ou sept ans de mandat comme c’était le cas auparavant, le Président arrive à décrocher quelques très gros contrats avec un de nos fleurons industriel, vous pouvez être sûr que l’on va faire des tas de « cocoricos » sur les chaînes de télévision etc., mais en revanche on ne regarde pas du tout ce qui a pu être fait entre temps du côté des PME etc. Le cas d’AIRBUS me fait sourire : quand on vend des AIRBUS on a tendance à considérer systématiquement qu’il s’agit d’un succès français. AIRBUS c’est avant tout une entreprise européenne. En plus le poids des Allemands dans les instances dirigeantes d’AIRBUS est important. Mais c’est vrai que c’est flagrant à chaque signature de contrat d’AIRBUS, on annonce à chaque fois : « Regardez, encore un grand succès pour la France avec la vente de 300 AIRBUS ».
Ensuite, le fait de trop s’attacher aux gros contrats des grands groupes français est sans doute un travers qui est accentué par les médias audiovisuels. La vente de 150 AIRBUS fera évidement beaucoup plus facilement la une du 20h ou même des grands quotidiens nationaux, qu’une PME de Carpentras ou de Romorantin qui signe un contrat de 3 millions d’euros, c’est évident. Le problème c’est que si on additionne tous les petits contrats en Allemagne, au final le total fait beaucoup plus les quelques grands contrats français.
S.D : Pensez-vous que le côté « business » de la presse vous impose une sorte de pression qui vous pousse parfois à traiter excessivement les gros contrats remportés par nos grands groupes, dans la mesure où vous êtes pratiquement sûr d’avoir de l’audimat avec ces sujets ?
R.B : Ca dépend de l’actualité. Si vous avez un très gros contrat remporté mais qu’en même temps vous avez beaucoup d’actualités par ailleurs, il passera plus inaperçu que si c’est durant une période où il ne se passe pas grand-chose et dans ce cas, on est bien content d’avoir ce genre d’information. Le vrai problème c’est que la très grande majorité des PME n’ont pas de services de presse, des moyens de communication qui sont assez limités. Il donc difficile pour les journalistes également de trouver de l’information sur ce qui se fait à l’étranger par nos PME. En même temps il y a aussi l’aspect suivant, c'est-à-dire que si une PME nous envoie par exemple un communiqué sur un contrat de 3 millions d’euros qu’elle vient de remporter, les journalistes estiment que ce n’est un montant assez porteur par rapport à l’annonce de contrats de 500 millions d’euros ou de 3 milliards d’euros remportés par AIRBUS ou AREVA par exemple.
S.D : La « machine exportatrice » française a cédé du terrain en 10 ans. On s’aperçoit que depuis trop longtemps, la France est restée prisonnière d’un tropisme régional en partie hérité de son passé colonial, qui l’a conduit à concentrer 80% de ses exportations vers sa zone traditionnelle de commerce extérieur, à savoir l’Union Européenne, l’Afrique, le Proche et Moyen-Orient. Or les zones de forte croissance, à savoir l’Asie et l’Amérique Latine, contribuent seulement à 20% du total de nos exportations alors que ces zones de forte croissance pèsent plus de la moitié du commerce mondial.
Comment expliquez-vous la difficulté des entreprises françaises (en particulier les PME) pour se déployer dans ces zones de forte croissance ?
R.B : Il y a indéniablement le poids historique de la France dans ses zones traditionnelles d’influence je dirai. En Amérique Latine par exemple, les Espagnols sont beaucoup plus présents que nous dans la banque, les télécoms, l’énergie, en partie dû à l’avantage de la langue, des liens historiques et culturels plus forts que la France dans cette région. En Afrique, on sent bien que la France perd des parts de marchés au profit d’autres pays européens mais surtout de la Chine qui déploie des moyens considérables pour gagner de nouveaux marchés. Même si il y a des relations très fortes entre le Président de la République française et les Chefs d’Etats africains ça ne suffit pas par rapports aux moyens engagés par les Chinois avec leurs investissements importants en développement et leurs produits beaucoup moins chers. En plus, il faut dire que les Chinois sont moins arrogants que les Français, ils n’arrivent pas en terrain conquis. Pendant longtemps les Français ont considéré, que ce soit pour la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon, que le marché africain était acquis d’office.
S.D : D’après une enquête inédite auprès des 2000 conseillers du commerce extérieur de la France, paru dans les Echos le 30 avril 2008, 65% des conseillers interrogés estiment que l’handicap le plus important des entreprises françaises, reste celui du lobbying dans les réseaux locaux. Comment expliquez-vous cette réticence envers le lobbying de la part des dirigeants de PME à dimension internationale ? Est-ce, d’après vous, un blocage culturel ?
R.B : Il est clair qu’il y a une différence entre les PME et les grandes entreprises qui ont la force de frappe pour faire du lobbying. Si vous êtes par exemple Conseiller du Commerce Extérieur dans tel ou tel pays et que vous savez que le PDG de PEUGEOT, de SAINT-GOBAIN, ou d’EDF qui vient, vous allez leur consacrer plus de temps que si M. Durand de la société XY d’Etampes qui emploie 200 salariés vous demande une stratégie d’influence de sa PME dans les réseaux de décisions locaux.
S.D : Pouvez-vous me relater un cas récent d’une défaite commerciale française à l’étranger (grande entreprise ou PME) dont vous avez eu connaissance, et qui n’aurait pas suscité l’intérêt des médias français ? Pouvez-vous me décrire brièvement le contexte et causes de cette défaite ?
R.B : Je n’ai pas vraiment d’exemple en tête. Une fois encore, comme je vous le disais au début, les entreprises communiquent uniquement quand elles remportent un contrat. On n’est pas au courant non plus de tous les contrats qui sont remportés évidement. En plus, c’est souvent très long entre le moment où l’appel d’offre est lancé, qui est un peu médiatisé par ce qu’on annonce par exemple un projet gigantesque qui va se faire dans tel pays, et le moment de la signature d’un contrat. Il y a également souvent des reports de décision. Ce n’est pas évident pour les journalistes encore une fois de tout suivre. Si par exemple un contrat est conclu par une entreprise française 1 an et demi voire 2 ans après le lancement de l’appel d’offre et que le journaliste ne fait pas attention, le contrat remporté peut passer inaperçu alors qu’à l’époque où le journaliste avait commenté l’appel d’offre, il a très bien pu dire que c’était un très beau contrat à ne pas perdre. Et si admettons l’entreprise française perd un gros contrat sur un appel d’offre qui avait été médiatisé 6 mois – 1 an plus tôt, bien sûr qu’elle va tout faire pour camoufler cette défaite et mettre en exergue un autre contrat qu’elle remportera etc. Dans ce cas, l’entreprise communiquera toujours en disant « regardez, on a perdu tel contrat mais on a gagné celui-ci bien qui est bien plus intéressant ». C’est de bonne guerre si je puis dire.
S.D : Comment faites-vous pour passer au-delà des services de communication des grandes entreprises françaises pour obtenir de l’information à valeur ajoutée ? Est-ce difficile de passer outre ces services de communication ?
R.B : En général les entreprises communiquent elles-mêmes à plusieurs occasions. Quand elles sont cotées en bourse par exemple, elles ont des obligations à chaque trimestre de publier ses résultats etc. En dehors de cela, elles vont communiquer quand il y a un grand événement c'est-à-dire pour un grand contrat ou l’achat d’une entreprise importante ou telle autre opération de fusion ou acquisition. En dehors de ça, vous pouvez toujours rencontrer gens mais à condition que vous ayez des choses précises à leur demander. Si vous avez des questions précises par exemple pour le directeur du développement international pour lui demander où est-ce que l’entreprise en est dans tel pays ils vous réponde plutôt facilement. Si le journaliste n’a pas fait ce travail d’enquête et de suivi en amont pour voir où en sont les différents contrats à l’étranger des entreprises françaises, ce n’est pas elles qui vont communiquer d’elles-mêmes pour vous dire qu’elles prennent du retard dans telle région.
Si les résultats d’un appel d’offres ne sont pas connus, les entreprises restent très discrètes parce qu’elles savent si elles font « cocorico » trop tôt, soit si elles expliquent trop tôt qu’elles sont meilleures que les autres, ça peut être contre-productif. Je dirai qu’entre le moment de l’appel d’offres et celui où l’on annonce le résultat, il est bien normal que les entreprises soient très fermées parce qu’il y a une espèce de guerre entre les différents candidats où chacun va expliquer qu’il est meilleur que l’autre, qu’un tel bénéficie d’un appui politique pour compenser le fait que ses produits soient moins bons que ses concurrents etc. En revanche une fois que ça été fait, c’est à ce moment pour le journaliste de faire tout le travail d’investigation derrière, et de comprendre pourquoi telle entreprise a remporté tel appel d’offres. Quand vous voulez des informations un peu sensibles, c’est soit les concurrents qui vont les dire. Par exemple telle entreprise présente ses résultats en les défendant bien évidement même si ils ne sont pas très bons. En revanche, vous avez toujours un concurrent, comme ce sont des informations qui sont publiques [résultats des entreprises], qui pourra mettre en exergue une faille dans le compte de résultat du concurrent. Si vous vous n’êtes pas à même de repérer toutes les informations, parce ce que vous n’avez pas toute la connaissance du métier ou du secteur, vous pourrez toujours trouver des gens qui vous contrediront les résultats et la communication annoncés par l’entreprise en question. Ce genre d’information, vous pouvez les obtenir auprès des banquiers par exemple, ou même des analystes financiers, ou même des syndicats à la rigueur. Si une entreprise a perdu un contrat, les syndicats peuvent dire qu’ils s’y attendaient au vue du retard accumulé ou alors des mauvaises conditions de travail dans telle usine par exemple… On peut donc toujours trouver de l’information mais je dirai que pour comprendre les défaites commerciales, il faudrait faire un travail beaucoup plus approfondi d’investigation encore une fois, afin de remonter l’arbre des causes. Mais cela est très difficile car le journaliste n’a pas assez de temps pour se consacrer à ce travail d’investigation. On pourra peut-être le faire de temps en temps mais ce n’est jamais systématique vous imaginez bien.