Sébastien Demailly :
Quel est votre sentiment général sur la manière dont les médias traitent les défaites commerciales des entreprises françaises (PME/PMI notamment) à l’étranger ?
Observez-vous une asymétrie de l’information de la part des médias entre les victoires et les défaites commerciales françaises à l’international ?
Christine Gilguy :
Premièrement, dans le cadre des défaites commerciales françaises, les entreprises concernées ne communiquent pas, c’est un non-sujet. Je ne suis pas étonnée que nous ne trouviez pas de sources ouvertes relatant les défaites de nos entreprises.
Effectivement la presse économique en général ne parle pas des contrats perdus par les entreprises françaises car ce n’est pas un sujet porteur. Quand un groupe français décroche un contrat emblématique dans de grandes infrastructures, dans le secteur de l’énergie ou autre, on sait que derrière, il y aura beaucoup d’affaires de sous-traitants ou ce genre de choses, et dans ce cas c’est beaucoup plus porteur pour les journalistes de la presse économique de relater ce type d’information. Néanmoins quand AREVA perd un grand contrat au profit d’un de ses concurrents américain ou japonais, on en parle quand même. Par contre, il est vrai que ça ne déclenche pas l’orchestre des journalistes. Mais est-ce un vrai sujet ? Le problème vient d’une hiérarchisation de l’information dans la presse économique française. L’annonce d’un contrat est une information positive, en revanche une entreprise qui a perdu un appel d’offre ou autre, on ne va pas s’étaler sur ce genre d’information car ce n’est pas porteur une fois encore.
S.D : D’après vous, pourquoi les journalistes ne s’intéressent pas davantage à ce genre d’information ? Pourquoi les journalistes ne vont pas « creuser » derrière pour essayer de trouver des raisons aux défaites commerciales françaises ?
C.G : La presse économique est un business de l’information. Si par exemple un groupe emblématique a perdu un contrat à l’étranger. Je ne parle pas des PME dont on ne parle jamais quand elles remportent un succès à l’étranger, ou sauf dans la presse spécialisée comme nous où ça nous arrive de parler des PME quand nous pouvons car elles communiquent beaucoup moins. Je vais donc rester sur les groupes qui sont « porteurs » si je puis dire. Quand un groupe français conteste que le concurrent étranger ait remporté un grand contrat alors qu’il présentait une moins bonne offre, là effectivement, ça peut déclencher la mobilisation de moyens par les rédactions parce qu’on sent qu’il se passe quelque chose soit politique, soit diplomatique etc. Mais sinon, si vous voulez, le contexte de la presse économique est le suivant et c’est comme toute la presse du reste : à savoir réduction des effectifs avec des journalistes qui ont de plus en plus de sujets à suivre. Par conséquent, une fois encore, la hiérarchisation va naturellement favoriser des sujets qui vont être porteurs de matière. Ce qu’on observe en revanche, c’est que de temps en temps dans les interviews et autre, les groupes acceptent parfois difficilement de revenir sur des échecs. Cela reste rare et il est très difficile de leur faire dire de façon pertinente quelles ont été les raisons de l’échec. On est confronté sans arrêt à ce genre de problématique. Vous savez dans l’information économique, ces vingt dernières années, l’information est de plus en plus verrouillée par les communicants. C’est le cas de la politique, quoique les députés sont plus accessibles, mais c’est surtout le cas des grands groupes notamment ceux qui sont côtés en bourse. C’est encore pire pour les grands groupes familiaux. Ces grands groupes industriels vous renvoient automatiquement à leur agence de communication. Par conséquent, les seuls moyens que l’on a de trouver de l’information qui sorte de la communication officielle, c’est de rencontrer les acteurs-clés de ces grands groupes en marge de leurs activités, sur les colloques, dans des séminaires, des déjeuners ou d’autres événements de genre. Parfois, il s’agit de rencontrer les dirigeants de leurs filiales à l’étranger qui sont moins fermés.
Une autre raison qui fait que c’est très difficile de trouver de l’information c’est que très souvent l’information des groupes structurés, côtés en bourse, est totalement verrouillée par des communicants professionnels.
S.D : Je suppose qu’il est très difficile de passer au-delà de ces groupes de communication professionnels ?
C.G : Absolument. Sauf à la rigueur si vous êtes dans d’autres réseaux. Par exemple si vous appartenez à un club et vous rencontrez le dirigeant X. Sinon c’est très difficile.
S.D : Et pour les PME ? J’imagine que les dirigeants sont plus accessibles.
C.G : C’est un peu similaire en fait. Vous savez les PME qui sont cotées en bourse ont également tendance à verrouiller leurs informations. A partir du moment où elles sont cotées en bourse, elles ne peuvent pas se permettre de communiquer à n’importe quoi. Dans ce cas, il est de plus en plus difficile de confirmer telle ou telle rumeur etc.
Et puis vous avez aussi les PME non-cotées en bourse qui elles de toutes façons je dirais pour « vivre bien, vivons cachés ». C’est vrai qu’elles peuvent envoyer des communiqués lors de l’ouverture de leur première filiale à l’étranger par exemple, ou quand elles font une petite acquisition à l’étranger etc. Sinon il est difficile d’obtenir de l’information sur ces PME qui préfèrent vivre dans l’ombre, sauf par des biais comme je vous disais [colloques, séminaires, foires], quand on rencontre des dirigeants ou des directeurs financiers sur un autre lieu complètement déconnecté.
S.D : Lorsque vous obtenez de l’information à valeur ajoutée, un « scoop » si je puis dire, y a-t-il une sorte d’ « autocensure » de la part du journaliste ?
C.G : Non, pas en ce qui me concerne du moins. C’est souvent un manque de temps. Il y a plusieurs phénomènes. Il y a cette communication de plus en plus professionnelle de la part des entreprises qui verrouillent le marché de l’information et qui rend donc de plus en plus difficile l’obtention d’une information indépendante. Nous recevons des communiqués de presse réalisés par les agences de communication des grands groupes. Je suis hallucinée du professionnalisme de ces dossiers, c’est extrêmement bien fait. Pour peu que vous soyez débordé dans la rédaction, vous reprenez alors le communiqué avec le dossier de presse, vous n’avez souvent pas le temps d’appeler le service de communication pour demander davantage de précisions sur certains point du dossier et puis c’est terminé vous avez votre article de presse tout fait. La presse économique est souvent confrontée à ce problème. En ce qui nous concerne, nous sommes seulement six ou sept à la rédaction. Nous avons donc une hiérarchie dans l’information en rapport au commerce international. On sait qu’un bon dossier de presse d’une agence de communication d’un grand groupe vous mâche les trois quarts du boulot.
S.D : Finalement, il y a une certaine dépendance de la part des journalistes envers ces agences de communication des grands groupes ?
C.G : Oui complètement. Ces agences expertes en communication d’entreprise ont envahi le marché. Elles ont tué l’information indépendante car il n’y a plus la ligne rouge entre la communication et l’information est de plus en plus ténue. La presse qui est censée produire de l’information a de plus en plus de mal à contourner ces barrières communicantes et, allié au fait que les effectifs sont en réduction, la presse réduit de plus en plus ses moyens humains consacrés à l’investigation. Au MOCI, à 6-7 nous brassons environ 50 sujets, nous devons être polyvalents. Aux ECHOS, les journalistes vont avoir 10 secteurs à suivre. Quand vous imaginez que sur les 10 secteurs, les entreprises qui sont cotées en bourse ont tendance à présenter leurs résultats au même moment, le journaliste va alors se faire en un court laps de temps peut-être 6 conférences de presse pour ensuite aiguiller leur papier l’heure suivante. Les journalistes sont inondés d’information. Il y a des phénomènes qui sont concomitants et qui expliquent la problématique de votre étude.
Pourquoi un échec dans un contrat ? Pourquoi une boîte française a perdu un contrat ? C’est une véritable enquête qui nous oblige à trouver des biais pour passer au-dessus des barrières communicantes. C’est un investissement lourd en temps et en moyens d’investigation.
Une boîte peut avoir perdu pour diverses raisons. Les cas où une entreprise française était complètement à côté de la plaque pour pénétrer un nouveau marché à l’étranger ou pour remporter un appel d’offre sont extrêmement rares désormais. On a de très beaux champions qui savent « penser global, agir local », c’est-à-dire qui savent adapter leur offre à la demande locale. La période où ALSTOM proposait des TGV avec une longueur inadaptée à celle des quais de certains pays est terminée. C’est le cas pour d’autres de nos fleurons industriels. AREVA a par exemple de telles équipes de professionnels pour préparer les appels d’offres, que lorsqu’elle perd un contrat c’est à la phase ultime de l’appel d’offre, la décision finale se joue sur des questions de transferts de technologie plus avantageuse de la part du concurrent etc.
S.D : D’après une enquête inédite auprès des 2000 conseillers du commerce extérieur de la France, paru dans les Echos le 30 avril 2008, 65% des conseillers interrogés estiment que l’handicap le plus important des entreprises françaises, reste celui du lobbying dans les réseaux locaux. Comment expliquez-vous cette réticence envers le lobbying de la part des dirigeants de PME à dimension internationale ? Est-ce, d’après vous, un blocage culturel ?
C.G : Je pense que c’est effectivement un blocage culturel qui est dû à l’historique de la France où l’Etat est très présent dans les affaires, et il y a également une tradition intellectuelle, y compris d’ailleurs parmi les patrons français qui s’appuient sur l’Etat, notamment dans le réseau des Missions Economiques à l’étranger. Au final, l’organisation privée des entreprises pour assurer elles-mêmes leur lobbying est assez défaillante, et particulièrement à mon avis dans les pays qui ne sont pas les pré-carrés de la France. C’est-à-dire les pays francophones, anciennes colonies où là les entreprises n’ont pas problème. Vous avez dans ces régions des lobbies très bien organisés du patronat avec par exemple en Afrique le CIAN [Le Conseil des Investisseurs en Afrique].
En revanche dans les autres régions du monde où il n’y a pas l’historique culturel français, c’est beaucoup plus difficile pour les entreprises françaises. Leurs stratégies d’influence sont beaucoup moins organisées et présentes. Il y a eu, il est vrai, les Missions Economiques qui ont fait beaucoup de veille régalienne pour l’Etat français. Ces structures ont fait du lobbying pour les groupes français emblématiques pour la signature de grands contrats mais elles étaient humainement beaucoup moins outillées pour tout un tas de filières de PME. Le secteur privé n’a malheureusement pas remplacé les lacunes de l’Etat en matière de lobbying pour les PME. Il y a maintenant de plus en plus de consultants privés et c’est je pense un métier qui est en voie de développement en France, notamment les Sociétés d’Accompagnement au développement à l’International, les SAI, qui sont capables de faire d’excellentes études de marchés. Il y a également dans le domaine du renseignement économique, des officines privées qui sont professionnelles et performantes. Les entreprises françaises, je mets ici à part les grands groupes qui ont l’habitude d’avoir recours à ce genre de services, n’ont pas l’habitude de payer ce genre de prestations. Elles n’ont souvent pas le réflexe de faire appel à ces sociétés [d’accompagnement et de renseignement économique] se retrouvant donc plus démunies pour mettre en œuvre une stratégie de lobbying.
Dans les pays anglo-saxons, c’est vrai que la tradition fait que les entreprises et même l’Etat sont beaucoup plus organisés en matière d’intelligence économique. Leurs stratégies d’influence sont beaucoup plus efficaces. En France, la dimension économique de l’intelligence économique est insuffisante, c’est une catastrophe. Il y a certes une prise de conscience, c’est une bonne chose mais cela prend du temps à s’inscrire automatiquement dans notre pays. Ce qui est terrible chez nous c’est que quand l’Etat créé une structure dédiée à l’intelligence économique, il n’y a pas une symbiose plus importante avec le privé.
Le réseau des Missions Economiques a été très puissant et très étendu, mais depuis la restructuration des effectifs, le secteur privé n’a pas toujours pris le relais après la perte d’influence des Missions Economiques dans certaines régions. Si on prend le cas des Chambres de Commerce et d’Industrie Françaises (CCIF) à l’étranger par exemple, on ne peut pas dire qu’elles soient très performantes en matière de veille économique. C’est vrai qu’on trouve de tout, cela dépend avant tout des individus qui s’y trouvent. Mais de manière générale, les profils des principaux responsables de Missions Economiques sont issus de l’Administration et ils n’ont pas forcément cette sensibilité de veille économique et stratégique. Il y a quand même de bonnes choses comme chez UbiFrance où vous avez le meilleur service de veille réglementaire de France. UbiFrance a par exemple une hotline réglementaire, sur les réglementations douanières notamment, qui est très efficace et très prisée par les PME. Les consultants utilisent, pour ne pas dire pillent, ces données réglementaires. Ils achètent en effet beaucoup d’informations à cette hotline pour les revendre ensuite très cher à leurs clients dans la mesure où peu de PME ont connaissance de cette hotline. Toujours chez UbiFrance, vous avez également probablement les meilleurs analystes du secteur agroalimentaire mondial avec des lettres de veille de grande qualité. Cependant, ces analystes sont en voie de disparition car UbiFrance procède à des réductions d’effectifs.
S.D : Si l’on prend le cas de la Chine, on s’aperçoit que la France a cédé du terrain vis-à-vis de l’Allemagne. On estime que les exportations françaises représentent environ 13% du total des exportations de la zone euro à destination de la Chine. Actuellement, un produit européen sur deux vendu à Pékin est d’origine allemande. Selon les statistiques de la Douane chinoise, la France se trouve au 4ème rang parmi les partenaires commerciaux de la Chine au sein de l’Union européenne, avec un volume d’échanges commerciaux de 13,39 milliards de dollars contre 41,8 milliards USD pour l’Allemagne en 2006. Enfin, la France ne réalise que 12% de ses exportations avec les pays dits « émergents » contre 17% pour l’Allemagne. Cet écart du commerce extérieur entre la France et l’Allemagne ne révèle-t-il pas une inadéquation des produits français avec les besoins indispensables des pays émergents en termes d’équipements ?
C.G : Non je ne crois pas. C’est vrai que l’Allemagne est un pays beaucoup plus industriel que nous, et actuellement, elle bénéficie d’un positionnement extraordinaire puisqu’elle est sur les machines-outils, en gros sur des produits pour lesquels tous les pays émergents sont en train de s’équiper. Pour prendre votre exemple de la Chine, il est clair qu’elle a massivement équipée ses usines et c’est vrai que sur ce point, l’Allemagne a une offre beaucoup plus adaptée que la France. Nous n’avons pratiquement plus d’industries de machines-outils.
Pour prendre l’exemple du secteur de l’automobile, c’est vrai aussi que l’Allemagne a un positionnement bien plus haute gamme que nous. BMW, même si l’Euro est fort, aura toujours une demande solide de la part des pays émergents. En revanche les marques d’automobiles françaises ont beaucoup plus de mal à s’exporter lorsque l’Euro est fort. Les pays émergents hésitent beaucoup moins à choisir des voitures japonaises, indiennes par exemple à la place de voitures françaises pendant les périodes où l’Euro est fort. Ce n’est jamais le cas pour les voitures allemandes.
Finalement, je ne dirais pas que les produits français sont moins bons ou autre, je dirais que pour les marchés émergents, l’offre française est moins bien positionnée que l’offre allemande.
Après vous avez des dizaines de rapports qui insistent sur le fait que l’Allemagne a fait reposer son tissu industriel sur moins de grands groupes que des belles PME qui sont plus réactives que les nôtres. La France quant à elle, a de très belles grandes entreprises mais elle manque cruellement d’entreprises intermédiaires. Par conséquent, s’il n’y a pas de grands contrats à l’ordre du jour, quand il n’y a pas de TGV ou d’Airbus à proposer dans telle ou telle région durant un certain temps, nos exportations s’en font ressentir beaucoup plus nettement que l’Allemagne.
S.D : Comment expliquez-vous que les médias français relatent très peu des relocalisations des entreprises françaises ? Pouvez-vous me citer un cas de relocalisation et qui n’aurait pas suscité l’intérêt des médias ?
C.G : Ca existe effectivement. Je considère cependant que cela reste un phénomène anecdotique.
S.D : On s’aperçoit que depuis trop longtemps, la France est restée prisonnière d’un tropisme régional en partie hérité de son passé colonial, qui l’a conduit à concentrer 80% de ses exportations vers sa zone traditionnelle de commerce extérieur, à savoir l’Union Européenne, l’Afrique, le Proche et Moyen-Orient. Or les zones de forte croissance, à savoir l’Asie et l’Amérique Latine, contribuent seulement à 20% du total de nos exportations alors que ces zones de forte croissance pèsent plus de la moitié du commerce mondial. Comment expliquez-vous la difficulté des entreprises françaises (en particulier les PME) pour se déployer dans ces zones de forte croissance ?
C.G : On constate une certaine perte d’influence française en Afrique. Il faut dire qu’on ne vend pratiquement plus de biens de consommations en Afrique, hormis le vin et le champagne ou des produits de luxe peut-être, car notre offre est trop chère par rapport aux produits chinois. Mais vous savez, ce n’est pas uniquement la France qui perd des parts de marché en Afrique, c’est le cas de l’ensemble des pays de l’Union européenne. C’est un phénomène parfaitement logique au vue de l’offre de l’Inde ou de la Chine encore une fois qui a des produits beaucoup plus adaptés aux pouvoirs d’achat des populations africaines. Après c’est tout à fait normal que l’Afrique soit la seconde région exportatrice de la France après l’Union européenne vu notre passé colonial dans cette région.
Ce qui est également vrai, c’est qu’il y a un redéploiement qui est en cours et qui s’accélère avec des augmentations des exportations vers les grands pays émergents qui sont bien plus importantes que les concessions en Afrique. C’est parfaitement logique que la principale zone d’exportation de la France soit l’Union européenne. Si vous prenez le cas des Etats-Unis, vous verrez que leur première zone d’exportation est le Mexique et le Canada, et ensuite l’Amérique Latine. Le Royaume-Uni est plus implanté en Asie que nous grâce à son ancien empire colonial plus étendu que la France, et aussi grâce au poids de Hong-Kong lorsque la ville était encore Britannique. Depuis, le Royaume-Uni a gardé une influence commerciale importante dans cette région. Si vous regardez la structure du commerce extérieur de l’Allemagne, vous verrez que c’est d’abord l’Union européenne et principalement les pays d’Europe de l’Est. C’est la principale zone commerciale d’influence de l’Allemagne. Et c’est le cas pour tous les pays de l’Union européenne. Il n’y a rien d’anormal donc, à ce que la France réalise une grande majorité de ses exportations au sein de l’Union européenne. Peut-être que nous avons effectivement pris un peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne sur les marchés émergents, mais sinon si on regarde les chiffres du commerce mondial, tous les pays développés enregistrent des érosions de part de marchés. Rien d’étonnant lorsque vous avez plus de gros pays émergents, comme la Chine, l’Inde, le Brésil qui s’insèrent dans la concurrence mondiale en gagnant des parts de marché.
Maintenant pour revenir sur le cas de l’Afrique, je considère que c’est aux Africains de juger, quand la Chine réalise un grand projet d’infrastructures dans un pays africain et qu’elle apporte toute sa main d’œuvre sans faire travailler la main d’œuvre locale, de canaliser voire de contester les ambitions chinoises en Afrique. A ce sujet, la France serait mal placée pour donner des leçons à la Chine sachant les nombreux abus qui ont été fait de notre côté également. La France a vendu beaucoup de choses qui ne servent à rien en Afrique et qui a beaucoup endetté plusieurs pays africains. La France a eu une politique qui a relativement fonctionné pendant la période la Guerre Froide où elle était en quelque sorte le « gendarme de l’Afrique » durant cette période. Maintenant sur l’aspect développement de l’Afrique, le bilan est plus que mitigé ; il est donc bien logique que la Chine joue sa carte sur le continent africain désormais.
Maintenant quelle doit être la réponse française face à la Chine en Afrique ? Pour ma part, je pense que la France devrait abandonner les secteurs et les zones où elle n’est plus du tout compétitive. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec ALCATEL par exemple. Je ne suis pas sûr qu’ALCATEL continue à répondre aux appels d’offre classiques de terminaux téléphoniques. A la rigueur l’avenir d’ALCATEL en Afrique c’est dans le domaine des hautes technologies que ne maîtrisent pas la Chine ou autres pays émergent. En tous cas ce n’est évidemment pas en réclamant aux Africains de payer le double pour de la technologie qu’ils peuvent acheter en Chine ou en Inde. Les pays émergents, principalement la Chine, proposent des produits et infrastructures de base si je puis dire. Si elle veut rester en Afrique, la France doit donc se positionner sur le haut de gamme. Quant à la perte d’influence française en Afrique, je dirai que cela est du ressort d’une stratégie française dont on n’est pas maître. Ce qui est dommageable, c’est de ne pas entretenir notre zone traditionnelle d’influence francophone de façon plus dynamique et concertée. Cette zone francophone en Afrique a toujours un fort potentiel pour les hommes d’affaires français compte tenu des similitudes en règles de droit par rapport à d’autres pays. Sous prétexte qu’il faille remettre à plat la politique africaine de la France, on en oublie parfois qu’il faut maintenir un haut niveau d’échanges culturels et politiques car c’est une zone importante pour la sphère d’influence française.
S.D : Le renforcement des effectifs dans les Missions Economiques en Afrique, Amérique du Sud, Asie, Russie est-il, selon vous, parvenu à reconquérir des nouvelles parts de marché jusqu’à présent ?
C.G : Je ne pourrai pas vous dire précisément mais je pense que c’est une bonne chose. Je me souviens du constat il y a quelques années qui soulignait que les exportations françaises étaient trop centrées sur l’Union européenne. Je pense qu’il est beaucoup plus judicieux de mettre « le paquet » en effectifs dans les zones à forte croissance, plutôt que de laisser en sureffectif une Mission Economique dans un pays où l’activité économique est moindre. Il y a indéniablement une nécessité de rationaliser les effectifs au sein des Missions Economiques françaises. Il y eu un vrai travail de remise en cause de la part de l’Etat. Là où je suis plus sceptique, c’est de savoir ce que va donner la réforme, qui consiste à déléguer les prestations économiques et commerciales qu’assuraient les Missions Economiques (ME), aux Chambres de Commerce et d’Industrie Françaises à l’Etranger (CCIFE). Parce que en fonction des pays, les CCIFE peuvent être très bonnes comme catastrophiques sur place. Pour moi, cette délégation de prestations ne sera pas possible partout avec autant d’efficacité et d’homogénéité qu’avec les ME qui ont quand même cette notion forte de service public. Je suis sceptique au sens où les CCIFE devront quand même être encadrées car il risque d’y avoir des structures inadaptées et donc inefficaces dans certaines régions.
S.D : Pouvez-vous me relater un cas récent d’une défaite commerciale française à l’étranger (grande entreprise ou PME) dont vous avez eu connaissance, et qui n’aurait pas suscité l’intérêt des médias français ? Pouvez-vous me décrire brièvement le contexte et causes de cette défaite ?
C.G : Vous avez Carrefour par exemple qui a échoué dans un certain nombre de pays d’Asie. Bon c’est vrai que dans ce cas le PDG de Carrefour en a parlé pour anticiper la résonance en France. Carrefour est une marque connue en Asie, donc lorsque Carrefour ferme des magasins en Asie forcément la presse locale en parle abondamment. Mais ce qu’il faut voir ici, c’est que ce sont les services de communication de Carrefour qui ont devancé les médias français, craignant la résonance en France. Si Carrefour n’avait pas communiqué autant sur ses fermetures de magasins en Asie, les médias français n’auraient probablement pas fait autant écho de cette défaite commerciale. Sinon je vous avoue même qu’en tant que journaliste économique, je n’ai pas vraiment d’exemple en tête ce qui prouve la difficulté de votre sujet. On n’a très très peu de communication sur ce genre de faits.