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Le constat d’asymétrie d’informations entre succès et échecs commerciaux français

Publié le 22 août 2008 par Infoguerre
Les médias français se cantonnent à relater largement les victoires commerciales des produits « phares » de nos fleurons industriels. Lors de son premier déplacement officiel en Chine en novembre 2007, le Président de la République paraissait avoir rempli pleinement sa mission en annonçant la signature de 20 milliards d’euros de contrats par des sociétés françaises avec la République Populaire de Chine. Un montant jamais inégalé ! Les titres de l’époque dans les médias français témoignaient largement la réussite de cette visite « diplomatico-commerciale ». Ainsi pouvait-on lire : « 20 milliards de contrats déjà signés en Chine » dans Le Figaro [1], « Sarkozy rapporte aux grands champions nationaux pour 20 milliards d’euros de contrats, un montant inégalé » [2], « Sarkozy se frotte les mains » [3], ou encore « Contrats records pour la France en Chine » sur LCI[4] ou encore « Sarkozy rapporte de Chine des contrats records et ménage ses hôtes » sur AFP [5]. On apprenait alors que nos champions nationaux avaient remporté des contrats gigantesques. Parmi eux et premier d’entre eux, le contrat conclu avec AIRBUS portant sur la vente de 160 Airbus pour près de 12 milliards d’euros. On apprenait également la vente de deux réacteurs EPR par AREVA ainsi que du combustible nécessaire à leur fonctionnement, pour un montant de 8 milliards d’euros. Les médias faisaient aussi largement l’écho du contrat de 500 millions d’euros remporté par EDF grâce à la fourniture d’électricité de la ville de Taishan en partenariat avec le principal fournisseur d’électricité chinois. C’est un rituel, les voyages d’Etat s’accompagnent depuis longtemps d’une « spectacularisation » d’annonces de montants impressionnant de contrats.

Cependant, les entretiens menés auprès des journalistes économiques montrent que ces derniers ne sont pas crédules aux annonces de l’Elysée. Les journalistes restent toutefois bloqués entre cette conscience des montants de contrats en trompe l’œil, et la tyrannie du business de l’information, imposant le choix de titres accrocheurs et porteurs pour l’audimat et/ou le lectorat. Un des journalistes rencontrés au cours de cette étude a souhaité apporté quelques précisions sur les annonces faites par l’Elysée à l’issue du voyage présidentiel de novembre 2007 en Chine. Selon ce journaliste des Echos, l’Elysée a mélangé un peu tout pour parvenir au montant record de 20 milliards d’euros de commandes annoncés. Premièrement, si le journaliste ne contredit pas la vente des deux réacteurs nucléaires EPR et le combustible et divers services sur une période de quinze ans, il précise néanmoins que ce contrat entre AREVA et la Chine était en fait acquis depuis des mois et que la venue du Président de la République n’a joué à aucun moment dans la signature de cet accord d’envergure. Deuxièmement, le journaliste souligne que les contrats d’AIRBUS (160 avions pour 11 milliards d’euros au prix catalogue avant remise habituelle estimée entre 20% et 30%) étaient négociés depuis encore plus longtemps. Troisièmement, notre journaliste apparaît sceptique sur l’annonce d’autres contrats. A commencer par la série d’accords-cadres de 750 millions d’euros d’ALCATEL-LUCENT, signée en présence des présidents Nicolas Sarkozy et Hu Jintao. Le journaliste nous fait alors savoir qu’une de ses sources internes d’ALCATEL-LUCENT lui aurait confié que 40% de ces 750 millions d’euros avaient en réalité déjà été conclus avant l’arrivée du Président français. De même que ce reporter des Echos attire notre attention sur la communication massive de Gérard Mestrallet, PDG de SUEZ, sur la signature d’un partenariat stratégique à Chongquing, la ville la plus peuplée du monde (32 millions d’habitants), alors qu’il s’agit seulement d’une extension de contrat selon une de ses sources internes, un « insider » de SUEZ dans son carnet d’adresse.

Ces précisions que nous communique notre journaliste des Echos sont riches d’enseignement sur la culture de la presse française pour l’annonce des grands contrats. Cette fâcheuse tendance à communiquer à tout-va et à gonfler les montants des contrats remportés par nos fleurons industriels semble être amplifiée à l’occasion des voyages présidentiels. Le cas du contrat remporté par VEOLIA en Chine deux mois avant le déplacement de Nicolas Sarkozy illustre cette logique médiatique lors de la visite du Chef de l’Etat dans un pays. En effet, VEOLIA a signé sans bruit, fin septembre 2007, un très important contrat pour la fourniture en eau potable de 3 millions d’habitants à Tianjin en Chine pour un montant total de 2,65 milliards d’euros. Pourtant, cette victoire commerciale n’a pas été relayée par les médias français alors qu’il s’agissait d’un montant bien supérieur au 70 millions d’euros du partenariat stratégique de SUEZ avec la ville de Chongquing, ou même les soi-disant 750 millions d’euros de contrat d’ALCATEL-LUCENT remporté « grâce » à l’appui du Président français. Ce « silence-radio » des médias sur ce succès commercial de VEOLIA s’explique par l’absence de dimension politique lorsque la conclusion de ce contrat a eu lieu. C’est un fait, les voyages d’Etat et l’intense activité commerciale qui se déroule en parallèle, sont surexploités par les services de communication de l’Elysée. Les journalistes se trouvent alors coincés entre les annonces faites par la Présidence de la République et/ou les services de communication des entreprises concernées, et leurs sources internes qui acceptent de parler en « off » - des salariés (cadres) de l’entreprise en question- , et leur fournissent bien souvent des informations contradictoires ou en décalage avec ce qui est annoncé. Même si les médias ont conscience de cette réalité, ils relayent très souvent les informations de l’Elysée qui leur assurent un audimat et/ou un lectorat le plus large possible.

Un autre cas de figure peut se présenter pour le journaliste. Celui où l’on assiste à des annonces contradictoires entre l’Elysée et l’entreprise concernée pour un contrat remporté lors d’un voyage présidentiel à l’étranger.

Annonces contradictoires entre l’Elysée et AIRBUS (EADS)

Lors de la visite en Tunisie de Nicolas Sarkozy en avril 2008, bien malin celui qui pouvait être en mesure d’annoncer assurément le nombre exact d’AIRBUS vendus à la compagnie tunisienne TUNISAIR. Les journalistes économiques qui suivaient le voyage présidentiel, ont eu en effet du mal à connaître le nombre précis d’AIRBUS vendus. En témoignent les annonces divergentes qui ont été faites entre l’Elysée et AIRBUS. D’un côté, n’échappant pas à la logique de la « gonflette » des chiffres, les communiqués de l’Elysée annonçaient, à l’issue du premier jour de visite de Nicolas Sarkozy, la vente de 19 AIRBUS à TUNISAIR « pour un peu plus d’un milliard d’euros de contrat »[6]. Le Président français réaffirmait ce nombre de 19 AIRBUS vendus au deuxième jour de sa visite, au forum d’affaires tenu par les organisations patronales tunisienne et française en déclarant: « La décision d’acheter 19 AIRBUS est opportune »[7]. La sacro-sainte signature des contrats oblige, c’était au tour du Ministre des Transports, Dominique Bussereau, à l’issue de cette deuxième journée de visite officielle, de confirmer la vente de 19 AIRBUS à TUNISAIR. Selon M. Bussereau, ce contrat portait sur 16 appareils, dont trois en option.

A l’issue de cette seconde journée de visite d’Etat, AIRBUS (EADS) annonçait que la compagnie tunisienne avait en fait commandé 13 avions avec trois autres appareils en option. Quelque temps plus tard, un communiqué de l’Elysée diffusé par l’ambassade de France à Tunis, confirmait finalement l’accord annoncé par AIRBUS (EADS) portant sur la commande ferme de 13 avions avec 3 autres appareils en option[8]. Ce problème de communication entre l’Elysée et AIRBUS illustre la surenchère médiatique faite par l’Elysée à chaque voyage présidentiel. Les journalistes sont donc dans ce cas confrontés entre les annonces de la Présidence de la République et celles de l’entreprise concernée. On imagine le travail complexe de recoupage des sources nécessaire pour les journalistes afin d’affiner l’information pour connaître le montant réel des contrats. Or si, dans cette « guerre médiatique », le journaliste n’arrive pas à avoir rapidement un contact en interne pour avoir des précisions sur ces incohérences d’annonces, celui-ci n’a pas le temps de faire tout ce travail d’enquête pour vérifier les chiffres réels des contrats. Le journaliste de la presse économique nationale est en effet pris quotidiennement par cet impératif de production d’article pour le jour même.

Les difficultés de Danone en Amérique Latine très peu relayées dans la presse française

Durant l’été 2007, il fallait être chanceux pour tomber sur un des rares articles dans la presse française traitant des déboires de DANONE en Argentine. Le groupe COCA-COLA s’était en effet plaint que son rival français ait envoyé de faux documents contre l’eau de DASANI lors d’une campagne sur Internet intitulée « eau du robinet mis en bouteille » et « eau de cancer ». A l’époque, le juge argentin avait bien admis que DANONE et son agence de publicité EURO RSCG (branche de HAVAS SA) avaient orchestré une campagne de diffamation contre DASANI. Si la justice avait débouté COCA-COLA en première instance en août 2007, la Chambre nationale d’appel de Buenos Aires avait finalement ordonné la poursuite de la procédure en Décembre 2007 suite aux appels de COCA-COLA à l’issue de la première décision du juge argentin. Pourtant aucune allusion des Echos ou de la Tribune, pour ne citer que ces deux quotidiens économiques de référence, sur les difficultés du géant agroalimentaire français face à son concurrent américain. On pouvait au mieux trouver un court article dans l’édition du 13 août 2007 des Echos[9] traitant de cette affaire. En revanche, on trouvait paradoxalement bon nombre d’articles sur cette affaire dans les médias locaux argentins ainsi que dans les quotidiens anglo-saxons tels que The New York Times, The International Tribune[10] ou The Financial Times[11] pour ne citer qu’eux. Aucun article français n’a été trouvé traitant de la poursuite de la procédure contre COCA-COLA décidée en Décembre 2007[12].

En Colombie, DANONE avait programmé fin 2007 un investissement de 100 millions de dollars dans une usine à yaourts, après s’être associé en février 2007 avec un partenaire local ALQUERIA. Cependant ce projet a été gelé suite au conflit qui l’opposait au groupe ALPINA en décembre 2007, leader colombien du yaourt, contre lequel DANONE a porté plainte en septembre 2007, pour avoir plagié ses deux produits vedettes Actimel et Activia. Le géant français accusait ALPINA d’avoir vendu non seulement vendu des contrefaçons de yaourts DANONE, mais également imité ses marques ainsi que ses publicités télévisées. Cette information sur les difficultés de développement de DANONE en Colombie n’a fait l’objet que de deux ou trois dépêches sur des sites boursiers comme easybourse.com par exemple. Aucun article dans nos grands quotidiens économiques (ou même d’information générale) nationaux. En revanche, les détails du conflit opposant DANONE à ALPINA étaient facilement accessibles sur des sites de quotidiens colombiens ou anglo-saxons, ou encore des sites agroalimentaires anglo-saxons[13] et colombiens, voire même directement sur le site officiel de DANONE.

Les victoires de FAIVELEY en Asie

En visitant le site[14] de l’équipementier FAIVELEY, on pouvait se rendre compte du dynamisme commercial de ce groupe français, sous-traitant d’ALSTOM. En avril 2008, FAIVELEY TRANSPORT a en effet remporté un contrat important de fourniture pour l’équipement en freins présentant une technologie de pointe de 170 voitures pour le métro de Shanghai. Cette victoire de FAIVELEY constitue pourtant un succès stratégique important dans la mesure où le marché global des voitures de métro en Chine, qui atteint chaque année 1 500 voitures, offre des opportunités futures très prometteuses sur le marché chinois en matière d’équipement de freins de métro[15]. En outre, on pouvait apprendre que les portes du nouveau métro Val commandé à SIEMENS par la Corée du Sud seront également fournies par FAIVELEY.

Alors que ces contrats remportés en Asie par l’équipementier français constituent de belles réussites commerciales, portant sur des contrats de plusieurs millions d’euros, aucun quotidien économique français n’a fait l’écho de ces succès commerciaux français. Peut-on imaginer ce même « silence-radio » par les grands quotidiens économiques français si ALSTOM remportait un contrat de plusieurs millions d’euros en Asie ?

EUROCOPTER au Brésil

Fin décembre 2007, on pouvait prendre connaissance des occasions d’affaires à l’étranger sur le site du Développement économique du Québec[16]. Parmi celles-ci, nous nous sommes intéressés au marché de l’aérospatiale au Brésil. En effet, la demande pour le transport aérien au Brésil est importante. Dans le secteur de l’aéronautique, et notamment dans le domaine militaire, on pouvait lire que la concurrence était ardue pour doter les forces armées brésiliennes d’un nouvel avion de chasse. Dans le domaine des hélicoptères, HELIBRAS, filiale du constructeur franco-allemand EUROCOPTER, et leader sur le marché des hélicoptères à turbine, ainsi que sur les marchés militaires et gouvernementaux, semblait tout de même sortir du lot. Néanmoins, EUROCOPTER a été écarté en mai 2008 d’une short-list comprenant le russe MIL (via ROSOBORONOEXPORT) et l’italien AGUSTA, dans le cadre d’un appel d’offres de la Force aérienne brésilienne pour douze hélicoptères de combat. L’annonce des vainqueurs de cet appel d’offres, et donc de la défaite d’EUROCOPTER, n’a pas été reprise par un seul média français à l’époque, contrairement à la presse italienne, russe, américaine et brésilienne.

A l’issue de cette défaite, le Groupe EUROCOPTER tentait de revenir dans la course, via sa filiale locale HELIBRAS. Pour emporter la décision, la filiale d’EUROCOPTER aurait proposé au gouvernement brésilien la création d’une nouvelle ligne de montage destinée à la fabrication d’hélicoptères de transport militaire de type Cougar. Pour que ce projet puisse se réaliser, il faudrait que les autorités brésiliennes s’engagent à en acheter 50 unités. L’asymétrie d’information est indéniable sur le cas d’EUROCOPTER. En effet, en juin 2008, on pouvait aisément trouver des articles dans la presse économique française expliquant les détails de la vente avec l’armée brésilienne de 60 super Cougar par EUROCOPTER, portant sur un contrat évalué à 1,2 milliard d’euros. Des titres comme « Eurocopter : gros contrats au Brésil et en Pologne »[17] faisaient la une des quotidiens économiques français cette fois-ci. On apprenait au passage qu’EUROCOPTER avait signé avec le Ministère polonais de la Santé, un contrat portant sur 23 appareils de type EC135, très réputés dans le monde, destinés à équiper le réseau national de services médicaux d’urgence. On précisait dans les colonnes des quotidiens économiques, qu’un tel hélicoptère coûtait 5,5 millions d’euros l’unité.

Les journalistes seraient-ils dans le déni des défaites commerciales de nos champions nationaux ? La presse française souffrirait-t-elle d’un problème culturel face à l’échec ?

[1] Article du Figaro du 26/11/2007. Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/societes-francaises/2007/11/26/04010-20071126ARTFIG00297–milliards-de-contrats-deja-signes-en-chine.php

[2] Article Easybourse.com du 26/11/2007. Disponible sur : http://www.easybourse.com/Website/article/4448-sarkozy-en-chine-20-mds-d-euros-de-contrats.php

[3] Article du JDD du 26/11/2007. Disponible sur : http://www.lejdd.fr/cmc/economie/200748/chine-sarkozy-se-frotte-les-mains_74639.html

[4] Article sur LCI.fr du 26/11/2007. Disponible sur : http://tf1.lci.fr/infos/monde/asie/0,,3634394,00-contrats-records-pour-france-chine-.html.

[5] Article sur AFP du 27/11/2007. Disponible sur : http://afp.google.com/article/ALeqM5hNCCn2jaGPOYmWFEJRyo_kJT1R9w

[6] Article du JDD du 29/04/2008. Disponible sur : http://www.lejdd.fr/cmc/international/200818/tunis-sarkozy-persiste-et-signe_114032.html

[7] Article de l’eMarrakech du 29/04/2008. Disponible sur : http://www.emarrakech.info/Tunisair-commande-16-Airbus_a14643.html

[8] Article des Echos du 29/04/2008. Disponible sur : http://www.lesechos.fr/info/aero/300261270.htm

[9] Article des Echos du 13/08/2007. Disponible sur : http://archives.lesechos.fr/archives/2007/LesEchos/19981-68-ECH.htm

[10] http://www.iht.com/articles/ap/2007/07/12/business/NA-FIN-US-Coca-Cola-Water-Complaint.php

[11] http://us.ft.com/ftgateway/superpage.ft?news_id=fto071220071840154367

[12]Voir par exemple le blog (langue espagnole) : http://www.acuablog.com/2007/12/11/coca-cola-vs-danone-la-guerra-continua/

[13] http://www.flex-news-food.com/pages/10849/Danone/danone-alqueria-presents-legal-actions-against-alpina-colombia-protect-industrial-property-rights.html ; http://www.dairyreporter.com/news/ng.asp?id=79770-danone-alpina-joint-venture ; http://www.thedeal.com/corporatedealmaker/2007/09/danone_jv_headaches_continue.php ; http://www.ap-foodtechnology.com/news/ng.asp?n=79770-danone-alpina-joint-venture ;

[14] http://www.faiveley.com/fr/liste_news.php

[15] http://www.faiveley.com/fr/news.php?ID=97

[16] http://www.mdeie.gouv.qc.ca/index.php?id=814&no_cache=1&ext=fiche_marche&mode=fiche&id_fiche=2

[17] Article de La Tribune. Disponible sur : http://www.latribune.fr/info/Eurocopter–contrat-de-1-2-milliard-d-euros-au-Bresil-~-IDDB8CB5C122D5A4CEC12574780018B254


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