La faim progresse de nouveau dans le monde. Ce sont les plus pauvres, ruraux mais aussi urbains désormais, qui gonflent les rangs des sous-alimentés. Selon les estimations de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), qui publie, mardi 9 décembre, son rapport annuel sur l'insécurité alimentaire, 963 millions de personnes souffrent de la faim en 2008. Soit 40 millions de plus qu'en 2007, année qui avait déjà vu leur nombre gonfler de 75 millions par rapport à la période 2003-2005. Le bilan s'est surtout alourdi du fait de l'envolée des prix alimentaires, et la crise économique pourrait aggraver la situation.
Le taux des personnes sous-alimentées, de 20 % dans les années 1990, était descendu à 16 % avant 2005. En 2007, il est remonté à 17 %. Une évolution qui a sapé les progrès accomplis ici ou là, et semble rendre plus inatteignable encore l'"Objectif du millénaire" de réduction de moitié, d'ici à 2015, du nombre de personnes souffrant de la faim. C'est en Asie et en Afrique subsaharienne que l'augmentation est la plus forte. Sept pays rassemblaient, en 2007, 65 % des sous-alimentés : Inde, Chine, République démocratique du Congo, Bangladesh, Indonésie, Pakistan et Ethiopie. Cependant, certains pays, comme le Vietnam ou la Thaïlande, sont sur la bonne voie pour réduire le phénomène.
SOUTIEN AUX PETITS PRODUCTEURS
Les plus pauvres sont les principales victimes de ce retournement. Les ménages ne disposant pas de terres sont les plus vulnérables, notamment ceux dirigés par des femmes, qui tendent à consacrer davantage de leur budget à la nourriture et ont moins accès au crédit et à la terre pour saisir l'occasion des hausses de cours pour augmenter leur production.
L'ampleur du choc dépend en partie des régimes alimentaires, précise le rapport. Les familles acheteuses d'aliments faisant l'objet d'un commerce mondial, comme le riz ou le maïs, sont plus exposées. C'est surtout le cas des citadins.
Concrètement, pour faire face à la hausse des coûts, les ménages réduisent la quantité et la qualité des aliments consommés. Ils freinent aussi les dépenses consacrées à la santé et à l'éducation, ou vendent des biens. "Si des mesures ne sont pas prises de toute urgence, la crise alimentaire peut avoir des retombées négatives à long terme sur le développement humain", prévient Jacques Diouf, le directeur général de la FAO, dans l'avant-propos du rapport.
Pourtant, l'agence de l'ONU ne cède pas à la fatalité. Elle considère que l'envolée des cours peut être une chance pour les paysans. Elle préconise des investissements publics et privés dans l'agriculture et un soutien aux petits producteurs, pour développer l'emploi rural.
Ainsi, dans les 14 pays africains qui sont sur la bonne voie pour réduire le problème de la faim, le secteur agricole a connu une croissance constante. Désormais, au Ghana, les gens sont deux fois plus nombreux à revenir à l'agriculture qu'à la quitter. Les ménages ont en outre été relativement protégés des variations des cours internationaux, car leur alimentation se compose surtout de denrées locales (manioc, sorgho).
Si elle n'occulte pas l'actuelle chute des prix, la FAO remarque que cela n'a pas mis fin à la crise alimentaire, et qu'ils sont et resteront sans doute élevés. En octobre, son indice des denrées alimentaires, bien qu'orienté à la baisse, demeurait en hausse de 28 % sur deux ans.
Laetitia Clavreul - www.lemonde.fr - Photo Philippe FOUCHARD