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Savage Night

Publié le 12 décembre 2008 par Fric Frac Club

C’est d’abord un polar. On se lance dans l’histoire d’un tueur irascible, nerveux, bref dangereux, prêt à suriner le passant qui rentrait chez lui, après être passé par la librairie du quartier. Il est chargé d’une mission, plus ou moins claire, qu’il se sent capable d’accomplir, conformément à sa réputation, mais qui le rend méfiant. Il se demande quelles sont vraiment les intentions du Patron. Mais le décor bien connu, celui du Noir de Coover, ne tient pas debout. Certes, le tueur, Little Bigger (ou Bigelow), est alcoolique et tient à se que son costume soit impeccable (surtout les chaussures), mais il est tout petit (1,5 mètre), et, même s’il est censé avoir dans les trente ans, ses dents ne sont qu’un lointain souvenir (il porte des dentiers, bien sûr), et il n’y voit plus guère. Le fait que tout le monde le prenne pour un gamin passe encore, sa bizarrerie vient surtout de certains de ses goûts :
« En l’observant du coin de l’œil, je vis que je ne m’étais pas trompé au sujet de sa main gauche : ses doigts étaient bien déformés, tournés vers l’extérieur. Elle n’en avait pas l’usage intégral, et elle s’évertuait à me le cacher. Malgré ça, cependant, et malgré sa jambe – quelle qu’ai été ça difformité – elle avait quand même beaucoup pour plaire.
Toutes ses corvées ménagères et ses efforts respiratoires lui avaient donné une poitrine qui passait aussi inaperçue qu’un barbu dans un pensionnat de jeunes filles. Et ses slaloms sur une béquille n’avaient pas fait de mal à son postérieur. (…) ».
Quelle joie pour le narrateur, et le lecteur, de découvrir au fur et à mesure d’autres étonnantes difformités (splendides assurément).
Le personnage essaie de se fondre dans le décor de la petite ville où se trouve sa cible, ce qui n’est pas forcément bon pour son moral, ni pour sa santé mentale : « Chaque jour, je perdais un petit morceau de moi-même », dit-il. Progressivement, il se fait bouffer par sa paranoïa, sa gêne relative face à l’expression de sa libido hors du commun, et les difformités morales des habitants, leur cynisme ou leur bêtise. Ce qu’il faut que tu saches est qu’à mesure que le roman progresse, il ne peut plus être question de mission, de cible, de Patron, ne reste plus que le noyau brûlant de la folie, une folie pure, furieuse et sublime.
Ce n’est pas à moi de raconter ce qui se passe au cours de l’intrigue. L’important, le fascinant, tient au parcours mental du personnage, et aux petits détails de ses relations avec les autres, plus qu’à toute autre chose. Il faut aussi faire remarquer que le « goût » pour les mutilations et autres difformité, sans parler de la folie, n’est pas sans faire penser à certaines des œuvres de Brian Evenson. Je ne crois pas qu’il renie cette référence.
Nuit de Fureur, de Jim Thompson, est publié aux éditions Rivages/Noir. A ma connaissance ce roman, contrairement à d’autres, n’a pas fait l’objet d’une adaptation au cinéma, mais seulement en BD, dans une collection créée par Casterman et Rivages. Il paraît que c’est bon.

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