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Raphaël Enthoven, philosophe

Par Argoul

J’aime bien ce professeur de philosophie que ne se prend pas au sérieux ; ce producteur de France-Culture qui réussit à passionner sur « la bêtise » ou sur « Flaubert » en 30 minutes le soir ; cet intervieweur à la voix charmeuse qui ajoute au propos plutôt que de couper la parole et d’imposer son « look » médiatique. Raphaël au prénom d’archange et à la voix d’or est le papa heureux d’un petit garçon de 6 ans, Aurélien. Faut-il ajouter, au risque de tomber dans le ‘pipole’, que sa mère est cette « C. » à qui est dédié ce livre ? Carla, ex-Bruni, désormais Sarkozy, qui fut Enthoven le temps de laisser mûrir ce petit garçon candide.

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Car si la philosophie est « un jeu d’enfant », l’auteur le doit à son histoire personnelle : à son père, à un philosophe aimé, et à ce fils qui pose les bonnes questions sans le savoir. Son court essai est ludique parce que la philosophie est un jeu, un premier commencement, une roue qui tourne sur elle-même, un oui sacré. On aura reconnu là les mots de Nietzsche dans Zarathoustra (Des trois métamorphoses). Nietzsche que l’auteur préfère à Schopenhauer, tout comme il préfère Spinoza à Leibniz, Bergson à Kant, Clément Rosset à Cioran ou Vladimir Jankélévitch à Michel Onfray. Spinoza, Bergson, Jankélévitch sont ses préférés – peut-être parce qu’ils sont tous trois juifs ? « Le judaïsme – ce privilège », dit-il (p.22). De plus, « on ne choisit pas sa famille » (p.189) rappelle ce Juif pied-noir devenu philosophe. Mais il n’oppose pas, comme c’est la mode, Aron à Sartre ; pour lui, tous deux forment couple, complémentaires pour être complet. La philosophie, ce n’est pas le système qui explique le monde, la vie et la mort, et tout ça. La philosophie, c’est la vie qui donne des raisons de penser, la sensation qui réclame de savoir décrire ce qui est là. L’immersion dans le réel présent plutôt que la spéculation sur l’avenir ou l’au-delà. « Les philosophies ne sont pas des points de vue, mais des points de vie (…) et la question n’est pas tant de savoir si elles disent vrai, que si elles chantent juste. » 90

Le bon professeur de philosophie est celui qui donne envie de vivre – pas celui qui instruit en bâtissant des fiches pour examen… Le jeune Raphaël, enfant trop sage, fierté de son père féru de livres, a eu « la chance » d’être indifférent pour sa mère afin de se construire. Il a retenu deux professeurs sur la brochette livrée par le système. Mme Maurel en littérature de Première, libertaire et passionnée, n’hésitait pas à traiter Emma Bovary de « conne » pour mieux faire comprendre pourquoi elle n’avait rien compris à ce qu’elle croyait être de « l’amour », qui n’était que l’idée qu’elle s’en faisait. Puis Jacques Darriulat en Hypokhâgne, qui n’a pas hésité à passer deux mois sur la déclaration de Foi de Pascal. En faisant intervenir les vraies questions de son petit garçon, Enthoven montre qu’il est peut-être un bon professeur de philosophie : dans son livre (comme dans « Les Nouveaux Chemins de la Connaissance » sur France-Culture), il « donne envie ». Hélas, depuis la rentrée, à des horaires pour retraités ou grévistes, même s’il a rallongé de 20 mn (chaque jour à 17h sur France-Culture). Pour imiter un radio-producteur fanatique des années 70 : « à vos podcast » !

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Il a dans son livre des formules profondes qui font sourire, un tantinet provocatrices, mais qui décrivent si bien la France intellectuelle d’aujourd’hui :

« Quelques mouettes, sottes ou cartésiennes, se dressent contre le souffle, stagnent, avant d’admettre le sens du vent, de rejoindre la baie en planant. » p.12
« La gueule du Che sur des pulls verts, les restos U, les repas sans serviette au tabac brun, les femmes assises par terre dans un ampli de fortune et, de façon générale, tout ce que la gauche fait de pire. » p.22
« Il y a des livres qu’on a le sentiment de relire quand on les ouvre pour la première fois, parce que c’est Michel Onfray qui les a écrit et que, donc, ils disent tous la même chose. » p.75 (Je reconnais pour ma part ce côté adolescent permanent, « révolté de Panurge » p.132 de Michel Onfray ; j’aime cependant l’écouter et le lire car il est un gentil vulgarisateur, ce qui n’est pas si mal pour les amateurs que nous sommes).
« La vie d’un homme – chaque ligne de son bilan, de sa nécrologie – importe moins que ce qu’il fait de lui-même au présent à chaque instant – ce qui, à la différence des récompenses et des honneurs, n’est jamais acquis, mais toujours menacé par les habitudes, les idées vagues et les grasses matinées du préjugé. » p.84
« L’âge adulte est à la portée de tout le monde, mais l’enfance, l’art de l’enfance, le génie ingénu n’est accessible qu’aux grandes personnes qui savent regarder – simplement – ce qu’elles ont sous les yeux. » p.92
En revanche, l’adolescence… « c’est l’homme en colère, le militant qui menace (…) l’ami des hommes qui joue à l’insoumis en enfonçant des portes ouvertes avec le sentiment grisant de prendre d’assaut la Bastille (mais où est la lucidité chez celui qui veut être seul à voir et à contester ce que tout le monde dénonce et que personne ne lui cache ?) » p.131

C’est pourquoi il en veut à la Gauche française, qui n’a jamais cherché à dépasser le cri du cœur et le cabotinage marxiste (ce qui n’engage à rien, la doctrine étant fort éloignée du présent). La Gauche qui ne sait ni qui elle est ni ce qu’elle veut ; la Gauche qui s’épuise en querelles d’ego, crêpages de chignons féministes et en postures tactiques ; la Gauche qui n’oppose qu’un sourire revanchard (Aubry) ou consolant (Royal) au programme concret et construit de son adversaire… « 21 avril 2002. Lionel Jospin déserte, en coq vaincu, le navire qu’il a naufragé tout seul, tandis que Jacques Chirac, en poule mouillée, brandit l’antifascisme pour refuser de débattre avec Le Pen. Je suis aussitôt devenu ‘socialiste’. » p.134 Las ! Les correcteurs de la ‘Revue Socialiste’ « incapables de lire autre chose qu’un lieu commun », changent le titre provocateur de l’article d’Enthoven. Ce n’est que le début d’une route de la bêtise, pavée de ‘bonnes intentions’ : la tribune écrite par Raphaël Enthoven pour François Hollande contre le régime de Castro a eu l’heur d’être castrée en insipide souhait « d’amélioration ». Enfin, « j’ai travaillé pour Laurent Fabius dont les sherpas m’avaient embauché pour attaquer la gauche du parti avant de me demander, un an plus tard, d’écrire exactement le contraire. » p.135 Ce qui démontre – ce blog en est convaincu - que les gens intelligents ne peuvent plus être de gauche aujourd’hui, même s’ils ne se sentent pas vraiment de droite ! Il faut probablement attendre que la génération paralysée des ‘sales gosses’ issus de l’interdit d’interdire passe la main. Gorbatchev n’a été possible dans l’URSS rouillée, qu’après la disparition des Brejnev, Tchernenko et autre Andropov octogénaires…

C’est cela, la bonne philosophie : non des spéculations sur l’ailleurs ou l’au-delà, mais l’approfondissement du penser ici et maintenant - la vie vraie. Raphaël Enthoven, en quelques 200 pages denses et vives, nous y incite avec une joie contagieuse qui n’est pas sans rappeler, de temps à autre, l’énergie solaire d’Albert Camus.

Raphaël Enthoven, Un jeu d’enfant – la philosophie, 2007, 203 p. Pocket, 5.61€


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