À lire au hasard la poésie du vingtième siècle, on perçoit
par moments le souvenir qu’y a laissé (inconsciemment) le mythe d’Orphée. Plus
rien, sans doute, d’une appropriation du monde par le Verbe, ni du caractère
sacré de qui ressent et touche la durée pure
(Rilke), fit résonner l’accord entre les choses et le ciel : en un temps
de solde et de tout à l’égout, cette liturgie médiumnique semble frappée de
dérision - comme celles, au demeurant, qui s’y sont substituées. Mais Maurice
Blanchot a bien vu qu’au-delà d’Eurydice, c’est la mort qu’Orphée veut
atteindre. C'est-à-dire le point où l’art se transmue au contact de ce qui le
nie : en quoi le mythe reste d’actualité, et s’inscrit en creux dans tant
d’œuvres, « métaphore obsédante » de la question du pouvoir de la
poésie. Qui, écrivant, ne se l’est posée ? Qui n’a voulu voir
Eurydice ?
Mais l’inverse ? Combien de poètes donnent-ils l’impression que la parole
s’est retournée sur eux, les aregardés ?
Que laisse-te-elle des proférations, du murmure intérieur, des expériences, du
corpus critique né de leur compost ? Visage
crépitant d’aromes (Artaud), vide comble, ruine convulsive.Ceux qui sauvent seuls rompent le pacte,
démystifient.
*
Écouter en toute
parole son silence. Révérer en toute chose la part d’elle qui l’aspire.
Qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce qu’entendre ? Qu’est-ce que la réalité ? Que dit et ne dit pas le
langage ? A quelles limites nait-il ? – point fugitif où les yeux
percent le bandeau de la vue, où les
oreilles ne sont plus bouchées par le
sens de l’ouïe (Pessoa).*
Margelle du poème l’été. Son midi d’absolu
qui cille (O. Paz). Sa nuit de jeune insomniaque.
Christian Hubin, Parlant seul, Librairie José Corti, 1993, pp.67-68.
contribution d’Angèle Paoli
*Le privilège des chemins.