L’amour pour tous, c’est le titre d’un documentaire de François Chayé sur la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap. En fait, la sexualité pour tous aurait été un titre plus proche du sujet traité pour ce film réalisé avec sobriété et élégance : une voix off concise et juste dans son propos, pas de misérabilisme, de voyeurisme, une connaissance et une attention sur un sujet réputé tabou. En préambule, François Chayé nous dit que «la personne en situation de handicap n’est pas handicapée sexuellement. Elle a juste à faire avec un corps non-conforme et contraignant». Il faudrait bien sûr nuancer ce commentaire : certains handicaps limitant les capacités sexuelles. Mais il est vrai que l’on considère encore trop souvent la personne handicapée comme asexuée, ne pouvant ni faire l’amour, ni procréer : ce qu’on appelle communément «le sexe des anges». De même, le quidam regarde avec curiosité la personne valide qui choisit un compagnon ou une compagne handicapée. Dans ce choix original, on ne peut occulter la part de fantasme, la peur de la relation avec un homme ou une femme dite «normale». Mais aussi, cette recherche d’une relation différente trouve sa raison d’être dans la richesse intérieure, l’écoute, la sensibilité qui sont souvent plus développées chez la personne en situation de handicap : elle connaît plus que d’autre le prix de la vie, la qualité de l’instant, la nécessité de vivre au maximum, de saisir chaque opportunité qui se présente.
Stéphanie, 22 ans, est atteinte d’une dystrophie musculaire congénitale. Elle vit à Marseille avec sa mère qui est également à la recherche de l’âme sœur. Une opération du dos l’a cloué dans un fauteuil roulant et elle raconte avec humour ce besoin d’être comme tout le monde : «Quand j’ai dansé mon premier slow avec un ami, je me suis sentie être une fille. Je n’étais pas un objet planté dans un coin qui n’était ni fille, ni garçon : une espèce de truc dans un fauteuil.»
Marie Antoinette, tétraplégique, et Sébastien, valide, se sont rencontrés il y a quatre ans grâce à Internet. Ils vivent en région parisienne et semblent rivés à leur écran d’ordinateur. Sébastien, plutôt réservé mais attentionné, l’a trouvé «gentille». Sanglée dans son fauteuil électrique, Marie-Antoinette met l’accent sur leur relation fusionnelle, naturelle, dès leur première rencontre. On peut se demander si ces deux accrocs de l’informatique ne vivent pas leur couple virtuellement, si au détour d’une «second life» leurs avatars ne feront pas l’amour à leur place ! «On est beaucoup plus attentifs à des petits détails à l’autre, nous dit Marie Antoinette. Il suffirait même que je bouge un peu la main, vraiment un petit peu, pour qu’il comprenne ce que j’ai envie de lui faire, où j’ai envie de le caresser.» La jouissance ne tient parfois qu’à un effleurement de joystick, à un clic de souris.
A Angers, on retrouve William, très lourdement handicapé, et sa mère Jacqueline qui le surprotège : «Je ne sais pas quoi faire. Je suis impuissante.» William est touchant, lunaire, ménageant ces mots dans l’espace de souffle réduit par son appareil d’assistance respiratoire. Il est piégé William par une mère omniprésente qui fait barrage au monde extérieur. On se demande bien quelle amie intrépide viendra l’en délivrer. «La sexualité, ça ne m’est jamais arrivé… Il n’y a que quand je rêve que ça devient intéressant. Dans la réalité, c’est différent… Mon rêve, c’est une personne valide – qui est à l’opposé de l’handicap - mais qui est intéressée par moi : « non ignorante »… Parce que des fois, on a peur de mourir un jour sans connaître quelqu’un, de ne jamais comprendre, de ne jamais connaître ça. C’est surtout ça qui me fait peur.»
Et la vie sexuelle des personnes handicapées vivant en institution ? – La France, par rapport à certains pays nordiques, en est encore à l’âge de pierre. Comme le dit Jacques Rochais, aide médico-psychologique dans un centre pour handicapés lourds à Angers : «On fait beaucoup attention à ce que le résident soit très propre, à l’hygiène, et peut être moins au côté relationnel. On est plus dans la technique de soins. Il serait tant de voir ce qui s’échange au niveau de cette relation». «Qu’est-ce qu’on peut faire et il n’y a pas de solutions, ajoute une soignante un peu gênée. Je me souviens d’avoir mis la main d’un résident sur son sexe, après avoir appelé un numéro de téléphone rose. Je suis pour qu’un personnel extérieur à l’établissement puisse intervenir, et pourquoi pas jusqu’à l’acte sexuel, si ces personnes sont d’accord et formées». Pourquoi vouloir médicaliser un acte naturel ? La personne en situation de handicap a besoin comme tout le monde d’affection, de tendresse, d’amour, pas d’un personnel formé à l’accompagnement sexuel ! Nicole, résidente : «Moi, la tendresse, ça me manque énormément. Je suis toute seule en plus, alors c’est dur d’être ici. On était deux. Mon copain est décédé. On se retrouvait dans le même lit, mais c’était vraiment difficile car les lits étaient trop étroits. On a quand même pu le faire une fois par semaine. Une aide médicale était au courant, une simplement ; elle me couchait le soir et m’enlevait à l’heure décidée.» Et Maryannick Faure, chef de service, de conclure : «Ca fait partie d’un confort comme on peut faire du yoga, de la musique. Il faut vraiment changer les mentalités.» Faire du yoga, de la musique, faire l’amour : «faire», en privilégiant l’autonomie et l’épanouissement de la personne handicapée, c’est ce qui manque le plus en institution.
Marcel Nuss, Président de la coordination Handicap et Autonomie, a été l’un des organisateurs du colloque «Dépendance physique, intimité et sexualité» qui s’est déroulé au Parlement Européen de Strasbourg en mai 2007. Marié, père de trois enfants, et handicapé en situation de grande dépendance. Ces mots sont précis, incisifs, directs. Il mène un combat féroce contre le handicap qui lui a forgé un caractère bien trempé, mais tourné vers les autres. Des propos surdimensionnés pour passer le barrage de son apparence physique : il est allongé dans un fauteuil, presque grabataire. «Une réflexion qu’on m’a souvent faite : Mais qu’est-ce que vous avez à vouloir être masturbés, à vouloir un accompagnement sexuel, alors que des centaines de personnes valides vivent en déshérence sexuelle. - Je dis d’accord, entièrement d’accord, mais ce n’est pas l’apanage des personnes handicapées d’être frustrées et d’en souffrir. La différence, c’est que la personne valide, elle a ses deux mains, elle peut se branler… Donc, c’est pour cela qu’il faut un accompagnement, c’est d’abord un soulagement ! Ce n’est sûrement pas un soin ! Pour moi, un soulagement doit être composé d’une part importante d’écoute, parce que la parole est essentielle. Il faut savoir – et ça n’a pas évolué depuis quarante ans – que dès qu’une personne handicapée essaie de parler de ses frustrations, de ses attentes, de sa détresse, il n’y a plus personne. Ca crée une gêne, un malaise, et en général une fuite. Toute personne handicapée, comme toute personne valide, rêve de fonder une famille, de vivre en couple. Personne n’a comme objectif premier d’être accompagné sexuellement. Donc, l’accompagnement ce n’est pas la réponse, c’est une réponse qui est attendue par des centaines, voire des milliers de personnes en France.»
Marie-Christine vit avec Franck dans la banlieue de Lille depuis quinze ans. Tous deux handicapés, ils ont un bébé de 17 mois. Vive, décidée, Marie-Christine a le mot de la fin : «Il faut oser se lancer. Il y aura de bonnes surprises à la clé. C’est surtout en sortant parce qu’en restant chez soi, rien ne se passera, sur Internet non plus. Il faut aller dans les cafés, occuper la place.» Tout du moins, si on le peut encore, si le handicap n’a pas réduit la vie à portion congrue. C’est alors à nous, valides, de recréer du lien, de dessiner une carte du tendre où le pays de l’handicap n’est pas une terre ignorée, redoutée, désertée.
Cesarina Moresi, Philippe Barraqué
Voir le documentaire L’amour pour tous réalisé par François Chayé
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