Lahore, la grande ville la plus proche de la frontière du Cachemire indien (6.5 millions d’habitants !), est célèbre aujourd’hui pour héberger le Dawat wal Irsahd, créé en 1987 par le mentor d’Oussama Ben Laden : Abdullah Azzam (Le Monde du 6 décembre 2008, p.6). Sa branche armée a un nom plus familier : Laskar-e-Taiba, dont les activistes ont massacré 172 personnes à Bombay ces derniers temps. Le terrain de Lahore a été donné au groupe extrémiste par le gouvernement pakistanais… A Lahore, nous y avons débarqué en août 2001.
Au sortir de l’avion, la moiteur nous saisit brutalement. Nous sommes à l’aube, vers 6 h le matin - et il fait déjà 28°. Nous attendent six heures d’escale mais nous n’avons pas le temps de faire grand chose. Seulement un petit tour sur le Mall en bus. Les villes de type colonial anglais ont toutes un air de famille et le quartier chic de Lahore ressemble à celui de Delhi : grandes avenues, arbres et verdure, ex-villas transformées en ministères. Nous doublons des monuments de brique rose de style moghol, le canon de Kim, en face du musée créé par le père même de Kipling, l’église anglicane, l’inévitable terrain de cricket, et le pavillon de marbre où la statue de la reine Victoria a été remplacée… par un Coran. Et pourtant, Lahore est la capitale culturelle du pays, la ville d’Akbar le Moghol, fondée par Loh, le fils de Rama lui-même, le héros éponyme du Râmâyana, l’épopée indienne . Que serait le Pakistan sans la culture indienne ? – Rien qu’un Coran en action.
Nous ne descendons du minibus que pour visiter la grande mosquée. Elle est très étendue, tout en marbre et grès rouge. Sur les escaliers menant à la cour un gamin balaie les marches à l’aide d’une palme plus longue que lui. Nous entrons sans chaussures. Les dalles sont tièdes sous la plante des pieds. Dans la journée la chaleur doit brûler, d’où ces tapis de fibre qui dessinent un itinéraire pour les pieds tendres. Les filles doivent se voiler les épaules et la tête. Nous sommes l’attraction des hommes mais surtout des jeunes garçons. Ils nous regardent avec curiosité et dévorent avidement les femmes des yeux dès qu’ils sont pubères. Aucune hostilité dans ces regards, plutôt une soif de connaître toute humaine. Les jeunes ont de grandes pupilles brillantes dans des écrins de cils et, parfois, un sourire lumineux. Les galeries de la mosquée sont vastes, aérées, décorées de dentelles de pierre. Des hommes sont allongés sur des tapis. Il y fait assez frais pour y dormir.
A huit heures du matin le fort Rouge s’ouvre et nous y entrons. Il a été bâti par Akbar et agrandi plus tard. Il commence à faire très chaud déjà. Les meilleurs endroits sont les galeries aérées des bâtiments d’habitation, aux balustrades en dentelle de stuc par lesquelles l’air passe. Ce pavillon de marbre du Diwan est de l’authentique Akbar. Les piliers sont incrustés de pierres semi-précieuses en rinceaux fleuris. Mais beaucoup ont été extirpées au couteau dans les endroits accessibles.
En première impression, je trouve le Pakistan moins sympathique que l’Inde voisine. Nous sommes pourtant en août 2001, un mois avant les attentats du 11-Septembre qui vont braquer les positions entre Occidentaux et Musulmans. On voit très peu de femmes dans les rues, et toutes voilées des chevilles aux yeux. Les hommes sont très réservés, plus fiers et plus machos qu’en Inde voisine. Certains tiennent absolument – mauvaise habitude anglaise – à faire le shake-hand avec moi. Compte-tenu de leur hygiène, je n’y tiens pas trop, mais certains sont bien sympathiques et il est difficile de toujours refuser. Du gamin au vieillard, les hommes portent tous le pantalon large et la chemise longue échancrée au col. Certains des ados la portent fort débraillée, travaillés d’hormones. Dans une société où les femmes et les mères sont confinées dans les intérieurs, les garçons vivent dehors dès qu’ils savent marcher. Comme tous les gosses, la vêture est le dernier de leur souci, d’autant qu’il fait toujours chaud. Presque tous nous sourient, nous saluent, nous suivent par curiosité. Ils sont naïfs et badauds. Peu d’étrangers s’arrêtent ici et nous sommes à nous tout seul comme une émission de télé.