Absence
« Au
bord de l’écriture toujours obligé
de vivre sans toi » (Maurice Blanchot)
Un poème est testament (Villon) ; il lègue, fait
passer, descellé de son vivant. Un poème est un tombeau (Mallarmé) ; il
répond, testataire, légataire, au poème testament. Les deux sont pour
« moi », lecteur, tiers qu’ils incluent depuis leur fondation.
Protension testamentaire ; rétention de l’hoir qui accepte le don ;
intension liseuse : les trois fils nouent la chaîne.
Certes cela gronde et déferle auprès du langage : sur les fleuves de
Babylone le psaume-poème, au bord, est assis et pleure... De quoi le poème
n’est ignare, ni distrait ni oublieux, mais déférent mémorant. Il les abrite en
figures de la langue ; il les crypte. Quoi que ce soit, c’est l’attrait du
poème que de se rapporter à son absence. Loin d’être coupé de ce qu’ils
appellent la vie, le poème cherche avec cela meilleur rapport dans le
renversement paradoxal de la certitude. Dire ce qui est comme c’est, c’est dire
le comme quoi c’est, c’est en son absence même qu’une chose le confie au dire
disant son (n’) être (pas) comme : vie symbolique.
Au tombeau, même si j’y entre, pyramide ou dôme, vers le cénotaphe où le reste
des restes s’épuise, le coffre, le cercueil, sein des seins, restent au dehors
de ce dedans — forclos ; au dehors de ce dedans — crypte ; au dehors
de ce dehors, au dedans de ce dehors. Et quand je percerais le plomb, pilleur
de cendres, aucun reste ne serait à la merci de mon vol ; la tombe se
serait reconstituée hors de moi. Un tombeau a lieu pour que l’absence s’y
creuse autre que toute absence de présent, et d’où rayonne une absence qui
évide le dehors.
Michel Deguy, Donnant donnant, Gallimard, 1981, p. 69-70.
contribution de Tristan Hordé