Des vacances d’amour dans un coin de la planète que ces deux grands voyageurs n’avaient jamais fréquenté…Quête de virginité mémorielle, en quelque sorte. « Malte ? ». Pourquoi pas ?
Ni Annie, ni Nicolas n’avaient mis le pieds sur cette île qu’ils savaient à peine situer sur la carte. En route pour ce confetti de la Méditerranée, ce caillou entre Libye et Sicile qu’ils ne connaissaient que par le « faucon maltais », par les Chevaliers de l’Histoire, par l’Ordre, par une actualité pas toujours drôle : des « flots d’immigrés africains désespérés » qui échouent sur ses cotes, des soupçons de « paradis fiscal » pas très blanc, et un… bateau de Bolloré.
Malte ? Ils ont vu. Ils sont revenus. Et ils en sont ravis. Une belle surprise, cette perle du sud ! « Ici, l’amour s’enracine dans cinq millénaires d’Histoire et s’épanouit jusqu’à l’infini ». Chanceux, les amoureux…
Annie a surtout apprécié des mélanges de pierres et de fleurs, de palais et de jardins. Et la vie, l’ambiance. « Un curieux mélange entre la distinction flegmatique des britanniques, l’exubérance italienne et la joviale nonchalance orientale »… « Une alliance rare d’austérité militaire, de raffinements princiers, de souffles mystiques et de vie débordante »… « Toute l’île est un musée, mais un musée vivant »
Ici, les pierres ont de l’esprit, en effet. Un esprit de résistance. Ce que Churchill surnommait « le porte avions naturel de la Méditerranée » a toujours été une place stratégique donc convoitée. Depuis cinq mille ans avant notre ère, s’il vous plait. Avec des traces laissées par tous les conquérants, ou les prétentieux, au presque…Qui n’ont-ils pas connu les Maltais, indépendants depuis quatre décennies seulement ?
Histoire de malte, histoires d’Europe… Légendes d’Europe aussi : n’est-ce point ici qu’Ulysse a succombé aux charmes de Calypso ? La grotte de leurs amours est toujours visible. Comme les temples, uniques au monde, d’un temps hors du temps. D’avant les pyramides d’ Egypte. Ne manquez pas celui de Ggantija ! Un trésor.
Nicolas, lui, a été fasciné, sidéré par la cathédrale de La Valette. Il était loin, il est vrai, de la sobriété protestante de son éducation, Nicolas: derrière une façade un peu austère, une débauche de couleurs et d’ors, des mosaïques, de tableaux, de trésors en tous genres. Cadeaux des chevaliers !
« C’est une co-cathédrale, car il y en une autre dédiée aussi à Saint-Jean à Mdina », insiste Nicolas « Un chef d’œuvre du Baroque. Jamais , sauf à Lisbonne peut-être je n’avais été aussi impressionné par une Eglise ».
Sans doute parce qu’’ici plus qu’ailleurs, on sent la victoire fatale de mort sur la vie, ou plutôt que la fatalité finale de la vie. Dans la nef centrale, 369 pierres tombales en marbre polychrome : les sépultures des chevaliers les plus méritants, venus des pays où l’Ordre a jeté l’ancre…
L’une des toiles, à elle seule vaut le déplacement : la Décollation (décapitation) de Saint-Jean Baptiste par Caravage. L’un des tableaux les plus équilibrés du monde : par les jeux des ombres et des lumières et par la répartition de l’espace. Du grand Caravage. Inspiré plus que jamais. Pourtant, il était pressé, le peintre !… L’histoire raconte qu’il est venu se réfugier à Malte après avoir commis un meurtre à Rome, puis qu’il a été forcé de s’en enfuir à la suite d’un autre homicide. Avec un poignard maltais.
La décollation (réelle) de Saint Jean-Baptiste tient aussi du faits divers… Figurez-vous que le saint homme avait eu l’audace de reprocher à Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée son mariage avec Hérodia, la fille de son demi-frère, Hérode Philippe…
Nous sommes en l’an 28, et on ne badine (déjà) pas ni avec l’amour ni avec les susceptibilités blessées. Selon Marc (VI:14-29), Hérode, excédé, fait arrêter Jean et « le fait lier en prison ». Hérodiade réclame la mort pour Jean, mais Hérode Antipas refuse : il le « connait pour un homme juste et saint » et « l'écoute avec plaisir ». Soit.
Mais l’esprit vengeur se manifestera tout de même Salomé, la fille d'Hérodiade, danse avec un charme et un entrain tels que le Antipas : « Demande-moi ce que tu voudras... ce que tu me demanderas, je te le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume ». Salomé ne demande pas un bout du royaume, mais... la tête de Jean-Baptiste « sur un plateau ».
Une bonne fille Salomé envers sa mère… Entre l’amour d’une fille et l’estime pour un homme, Hérode choisit de tenir sa promesse. Il envoie un garde décapiter Jean dans sa prison, placer sa tête sur un plateau et la présenter à Salomé, qui l'offre à sa mère Hérodiade. Honneur familial, d’abord.
Mais coupée, la tête du saint voyagera encore : jusqu’ à Saint-Jean-d'Angély, dans la province française de la Saintonge, aujourd'hui en Charente-Maritime. Info ou intox ? Une relique rapportée en 1206 de la 4e croisade est présentée à la Cathédrale Notre-Dame d'Amiens comme étant (aussi) le crâne de saint Jean-Baptiste. Un crâne que la Grande mosquée des Omeyyades à Damas prétend également abriter…Légendes et histoire se recoupent…
Mais le Saint des Saints à Malte, c’est Paul l’évangéliste, le premier père de la « mondialisation »… Lui aussi a été victime d’un faits divers. D’un naufrage, en pleine mer, alors qu’il voguait vers Rome Et où se retrouvera-t-il ? Sur l’archipel de Malte, plus riche en falaises et en rochers qu’en plages de sable fin : la baie Saint-Paul fut la bouée de sauvetage de l’apôtre fêté en chaque occasion, religieuse ou profane comme un héros et un saint patron. La Croisière Saint-Paul passe évidemment par Malte. Malte où l’on sait dépasser l’esprit des croisades par un sens du dialogue. Et du multi-culturalisme.
Un signe parmi d’autres : en maltais, «dialecte arabique et seule langue sémitique européenne», le mot Dieu se dit Alla, dérivé d’Allah, bien sûr… Oliver Friggeri, grand écrivain maltais ne manque pas une occasion se souligner que derrière les forteresses imprenables, les fortifications impressionnantes, les falaises protectrices, les combats et les sièges d’hier et d’avant-hier se profile une culture du mélange, du dialogue, du frottement des cervelles. « L’insularité a développé une identité originale, faite des apports successifs des occupants ». La « pure Malte » ? Diverse dans son unité, comme l’Europe. Cette Europe où les 400 000 Maltais réunis sur leur 316 kilomètres carrés veulent vivre sans complexe parmi les 459 millions de citoyens de L’Union
« L’euro, c’est pour bientôt », exulte un diplomate maltaisqui a appris l'art de se mouvoir dans les labyrinthes communautaires. « Nous y sommes plus que prêts et nous sommes de pleins pieds dans l’économie post-moderne. Apprendre des langues ? Venez chez nous ! Hautes technologies ? Nous faisons d’énormes progrès. Economie de services ? Regardez les plaques de bronze qui tapissent nos porches et les entrées des palais ! Avocats d’affaires, courtiers, financiers, experts, consultants…
Nous pouvons devenir une sorte de Singapour de l’Union, sans avoir besoin de jouer les centres de blanchiments d’argent sale ou de paradis fiscaux… Nous avions quelques défauts à gommer…
Il faut juste que nous ne nous laissons pas trop envahir par les clandestins pauvres venus d’Afrique et les affairistes riches venus du nord…
Mais nous trouvons déjà notre place en Europe. Notre situation géographique reste un atout considérable. » Economiquement, culturellement et politiquement
Ils ont leurs paysages aussi, les Maltais… Ici, pas de place pour les « cul-bronzés ». Du tourisme de randonneurs, de plongeurs sous-marins (quelle est belle cette eau !) et de gens de culture. Et des activités de « niches » bien étudiées.
On ne manque pas de dynamisme dans ce pays qui a moins de 5% de chômeurs : les têtes sont pleines de projets à Sea Malta, l’autorité en charge du transport maritime,à Malta Financial Services Authority, le centre financier, ou à Malta Freeport (le port franc)
Et, (le saviez-vous ?), Malte est actuellement le plus grand studio de tournages (films, pub, TV, vidéos) à ciel ouvert de l’Union. Déjà, « Troy » (la guerre deTroie), "Gladiator", "le Comte de Monte-Cristo", "Astérix et Obélix". Et ce n’est pas du cinéma ! A Malte, l’aventure commence à l’aurore de chaque matin… « Action ! »
William PETITJEAN