Oui, c’est toujours la même histoire, celle de femmes violentées, blessées par des hommes qui ne maîtrisent pas leur désir : la belle pièce de l’auteur anglais David Harrower, Blackbird , jouée en ce moment au Théâtre des Abbesses par Léa Drucker et Maurice Bénichou, raconte les séquelles sur une jeune femme de l’abus que s’est permis sur elle un homme de quarante ans alors qu’elle n’en avait que douze.
L’exposition sur Lee Miller, à première vue, n’a rien à voir et pourtant on apprend que la célèbre photographe aussi s’est fait violer à l’âge de sept ans par un ami de son père. Une pièce, une exposition vues toutes les deux durant ce week-end.
La pièce d’abord : magnifiquement jouée. Lea Drucker est poignante dans son rôle de jeune femme qui, près de vingt ans après, a voulu revoir l’homme par qui son existence a basculé : ses amis, ses parents se sont éloignés d’elle, elle n’a plus pu sortir de chez elle, n’a plus pu avoir de relations amoureuses confiantes, a eu sa vie gâchée. Maurice Bénichou est le comédien qu’il faut dans ce rôle d’homme qui subit les évènements, s’est laissé allerà son désir et dit s’en être repenti. Ils se retrouvent dans l’entrepôt où il a, lui, trouver du travail. Il a aussi souffert (mais moins) et a dû entre autres choses changer de nom. Il lui jure, il lui promet que tout ça est arrivé « par amour », qu’il n’est pas un violeur ni un pédophile. Ils revivent leur histoire. Combien la petite fille admirait l’homme, voulait captiver son attention, bref, l’aimait, et comment cette relation est devenue fuite, au bord de la Tyne, vers Newcastle, Tyhehouse, il est question de ferry, de petit hôtel au bord de la mer, de faire l’amour. Puis de fuite de l’homme, d’errements de la petite fille dans la ville à la recherche de l’homme pour qu’au moins il la ramène chez elle, de police appelée, de parents arrivés en catastrophe, d’examen médical subi de force par une gamine qui veut encore protéger son violeur, de mépris de la mère, de retour, de procès, de condamnation (trois ans). Et à la fin un coup de théâtre… que je ne peux donc pas raconter, et dont l’interprétation est nécessairement ambiguë.
L’expo ensuite : Lee Miller . Est-ce que dans son cas, on doit parler de résilience ? ou bien simplement de jeune femme chanceuse d’avoir vécu dans un milieu qui lui aura permis d’oublier le drame ? Beaucoup ont déjà parlé de cette expo (cf. ). Je ne m’y étendrai donc pas, sauf pour dire la beauté du petit film de Jean Cocteau (Le Sang d’un Poète) projeté juste avant l’entrée dans la salle de l’exposition, où Lee joue le rôle de la femme-statue, et celle des photos artistiques de la première période (une simple main en silhouette entre une barre de métal et une toile de bistrot qui frappe comme l’annonce d’une tragédie, ou bien des ombres de piliers sur un mur de soutènement du métro qui créent artificiellement l’impression de gens qui marchent). Ensuite, Lee Miller devient reporter de guerre pour Vogue, et elle est parmi les premiers à entrer dans les camps de déportation, la seule aussi sans doute à prendre certaines photos : ce corps de noyé qui flotte au fil de l’eau, ce n’est pas Ophélie, c’est un gardien SS dont les ex-prisonniers se sont vengés. Ses photos de guerre, son ex-amant David Schermann a raison de le dire dans le petit film qu’on peut voir en sortant, ont ceci de particulier qu’elles conservent quelque chose de la période purement artistique du début, elles reposent toujours sur un contraste, tel celui entre un char entrant dans une ville et le rideau de dentelles qui recouvre un paquetage au bord de la rue, ou bien le spectacle étrange de ces jeunes femmes munies de lunettes spéciales pour se protéger, pendant le blitz, à Londres, des éclairs causés par les explosions de bombes au phosphoreJe ne parlerai pas de Mantegna ce coup ci….