Mais quelle mouche a bien pu piquer le sénateur Marini ?
Philippe Marini n’est pourtant ni un naïf tombé de la dernière pluie ni un
doctrinaire !
Comment imaginer qu’il n’ait pas anticipé les réactions à sa proposition et
qu’il ait pu penser un seul instant que son amendement (depuis retiré) allait
pouvoir être accepté et voté ?
Rappelons que feu l’amendement dont il est question, consistait à permettre
aux actionnaires plombés par la chute baisse des marchés, de déduire de leurs
revenus imposables les pertes constatées entre le 1er janvier et le 1er
décembre 2008, sous réserve d’un montant de cessions de moins de 25.000 euros.
Le montant de la déduction aurait été limité à 10.700 euros.
Cette déduction fiscale aurait été compensée par "la création d'une taxe
additionnelle" sur le tabac.
Malgré le retrait de cet amendement, la question volontairement abrupte
posée en titre de ce billet mérite d'être posée et répondue.
L'hypothèse de la provocation se comprend lorsqu’on écoute Philippe Marini
nous expliquer en substances que cet amendement avait essentiellement comme
objectif de provoquer une réflexion, un débat, sur la situation des catégories
moyennes et des actionnaires individuels.
"L'objectif ce n'est pas forcément de faire passer des amendements, c'est de
faire réfléchir les gens et de dire 'très bien on s'occupe des plus
défavorisés, mais il faut aussi s'occuper des catégories moyennes et des
actionnaires individuels'".
On comprend bien qu’il ne se faisait que peu d’illusion sur l’avenir de son
amendement (donc exit la suspicion de naïveté) et que dans son esprit, celui-ci
avait plutôt comme vocation de lancer le débat. Mais pour autant, compte tenu
de l’objectif annoncé, peut-on considérer que ce fut une riche idée (précision
pour les mauvais esprits, l’adjectif « riche » ne s’applique qu’à
l’idée) ?
Tout d’abord, je vais me débarrasser de ce qui pour moi est une évidence
mais probablement pas pour tout le monde (doux euphémisme).
Pour un tas de raisons, il est de l’intérêt de la collectivité que
l’actionnariat individuel soit largement diffusé. Outre que l’actionnaire
individuel est en moyenne plus stable que l’institutionnel, l’actionnariat est
un des moyens de réconcilier les français avec leurs entreprises, de leur
permettre de faire converger et donc de mieux comprendre en quoi les intérêts
des uns et des autres sont étroitement liés.
De ce point de vue, la proposition de Philippe Marini peut avoir du sens.
« Dédommager » les petits actionnaires qui ont, pour certains, pu
perdre jusqu’à 50% de leur capital boursier, peut contribuer à ce qu’ils ne
s’écartent pas définitivement de l’actionnariat !
Pour autant, tel qu’il a été proposé, cet amendement a été, me semble t-il,
une erreur pour plusieurs raisons :
Tout d’abord, une raison de principe.
Par essence, l’investissement en actions est un investissement à risque.
L’actionnaire est détenteur d’une part du capital d’une société, il en est en
partie propriétaire et en ce sens il est étroitement lié à l’activité de
celle-ci. Tout naturellement, la valeur de cette part varie selon les résultats
présents et anticipés de la société. En achetant une action, l’actionnaire
accepte d’assumer un risque, contrepartie normale des gains potentiels dont il
pourra bénéficier si l’entreprise dont-il est l’heureux propriétaire est
florissante.
L’investisseur individuel qui veut limiter son risque n’est pas obligé
d’acquérir des actions, il peut se retourner vers d’autres instruments
financiers plus « stables » (obligations, emprunts d’état…) et donc
moins risqués mais en contrepartie potentiellement moins
rémunérateurs.
Détourner, d’une manière ou d’une autre, le principe d’arbitrage
risque/rentabilité qui prévaut pour chaque décision d’investissement, revient à
privilégier ceux qui ont fait le choix d’investir en actions au détriment de
ceux qui ont fait d’autres choix.
Cela est d’autant moins justifiable que la fiscalité des valeurs mobilière
tient déjà compte du caractère cyclique de l’évolution des cours de bourse en
permettant de reporter les moins values réalisées sur une année sur les plus
values réalisées les années suivantes. Ce lissage permet de soumettre à l’impôt
sur le revenu ou au prélèvement libératoire les éventuelles plus-values
considérées sur une période de 10 ans.
Deuxième erreur, Philippe Marini prévoyait de financer la réduction d’impôts
octroyée aux actionnaires par une augmentation des taxes sur le
tabac.
Encore une idée bien française qui consiste à vouloir créer une nouvelle
dépense (une moindre rentrée fiscale) que l’on va compenser par une nouvelle
taxe. C’est comme cela que l’on entasse, à l’infini, les cadeaux d’un coté et
les taxes de l’autre. Il faut arrêter avec ce cercle vicieux : cadeaux –
prélèvements !
De plus, comment peut-on, décemment, justifier le fait de prendre dans la
poche d’une catégorie de la population, en l’occurrence les fumeurs, pour
distribuer à une autre catégorie en l’occurrence les actionnaires ?
La taxe sur le tabac ne devrait avoir qu’une double justification: d'une
part, répondre à un objectif de santé publique en renchérissant le cout du
tabac pour inciter les fumeurs à arrêter ou à freiner leur consommation et
d'autre part compenser, pour la Sécurité Sociale, le cout des frais de santé
engendrés par les maladies liées au tabac.
Or, dans ce cas, la taxe nouvelle aurait été affectée à tout autre chose.
Cela ramène à un précédent
billet dans lequel je reprenais les affectations des taxes sur l’alcool et
sur le tabac pour constater que seule une faible partie se retrouvait dans les
caisses de la Sécurité Sociale. Cela au détriment d’un principe pourtant sain
qui consiste à considérer que les fumeurs prennent un risque pour leur santé,
qu’ils en acceptent la responsabilité en connaissance de cause et qu’en
conséquence ils doivent assumer le surcout que leurs futures maladies vont
entrainer pour la Sécurité Sociale.
Pour toutes ces raisons, l’amendement de Philippe Marini me semble
difficilement justifiable. Mais a-t-il, au moins, atteint son objectif qui est
de « faire réfléchir les gens » ? A-t-il réussi à lancer le débat sur
les mérites de l’actionnariat individuel ? A-t-il réussi à faire
comprendre qu’un actionnaire n’est pas nécessairement un boursicoteur qui ne
cherche qu’à s’enrichir sur le dos des travailleurs ? A-t-il fait réaliser
que tous les actionnaires ne s’appellent pas Fond de pension machin ou Warren
Buffet ?
A-t-il même réussi à sensibiliser « les gens » sur la situation de
moins en moins enviable des « catégories moyennes » ?
Hélas non, rien de tout cela !
En le présentant comme il l’a fait (c’est à dire balancé presque en douce),
au moment ou il l’a fait (alors que l’actualité n’est remplie que de SDF qui
meurent dans la rue ou de chômage technique ou pas) et sans manifestement avoir
préparé un argumentaire sérieux, l’amendement Marini a eu, au contraire,
l’effet inverse !
Dans ce contexte, il y a fort à parier que la plupart des « gens »
ont adhéré aux propos sans nuance et doctrinaux de Benoit Hamon :
« C'est quand même invraisemblable qu'aujourd'hui ce soit aux
boursicoteurs que l'on pense et pas du tout aux salariés qui sont victimes de
cette spéculation en bourse », sans réfléchir plus que ça aux soucis des
« catégories moyennes et aux mérites de l'actionnariat individuel »
!
C’est dommage, car on aurait pourtant bien besoin, en France, d’un débat
sérieux et serein sur ces sujets et par sa maladresse Philippe Marini l’a tué
dans l’œuf.
C'est pour cela qu'à la question : provocation ou grosse connerie, je
réponds sans hésiter : grosse connerie !!!