une déontologie de l'émotion

Par Richard Gonzalez

(Ténébrion du Namib - Onymacris unguicularis, Namibie, août 2003)

L'émotion est un loup au pelage profond qui se fouille à pleines mains. On creuse l'émotion, agenouillé tel un chercheur d'or, tel un mécréant converti à l'autel d'une femme. L'émotion se chuchote d'elle-même, se suçote à sa source, dans l'apesanteur et la ténuité. Elle n'est pas soutirée par les autres parce qu'elle vaut mieux que ça : on ne la troque pas, on ne l'échange pas puisque sa vérité est immatérielle par essence. Emouvoir n'est pas conditionner : l'expérience émotive est personnelle, elle se vit de soi par soi-même. L'émotion passe en fraude à travers les mailles de l'esprit, même si celui-ci lui offre souvent une caisse de résonance. L'artiste qui sait émouvoir émeut parce que les fils de son stratagème sont invisibles (c'est le talent), ou alors parce qu'on l'a vu embarrassé par sa propre émotion (c'est le génie).

L'animal suscite l'émotion de l'observateur humain, soit parce que la créature renvoie à notre propre geste (émotion de l'unicité du vivant), soit parce que son comportement reste inexpliqué (émotion du mystère). Aidé par ses longues pattes postérieures, le ténébrion du Namib soulève l'extrémité de son abdomen au-dessus des grains de sable pour capter les moindres gouttes d'humidité suspendues dans l'air. L'instant de cette prière est très court : juste après la fraîcheur de la nuit et alors que le soleil pointe à peine, c'est-à-dire au point optimal de condensation (émotion de l'équilibre). La goutte va couler lentement le long de son corps pour atteindre finalement ses pièces buccales. Rien ne vient les matins trop ventés ou la goutte tombe si l'animal est dérangé. Il peut alors ne pas survivre à une journée brûlante (émotion de la fragilité de la vie).