« L’Homme doit Peiner et souffrir, et apprendre puis oublier et retourner / Dans la sombre vallée d’où il était venu, pour recommencer à peiner. »
– William Blake,
Vala ou les quatre vivants –
-LE TEMPSD’UNDOUTE -
Porte ouverte sur l’infini ; l’espace et le temps à portée de main.
La nuit opaque s’offre par de rares brises qui pénètrent dans la pièce. Je regarde cette embrasure noire. Mon regard reste posé sur cette possibilité d’oubli. Dans le silence nocturne, je mesure les alternatives.
Il n’y a que le vide. Autour de moi. Il n’y a que l’absence. A l’intérieur de moi. La soirée est muette, éclairée par de rares étoiles et un vague quartier de lune régulièrement éclipsé par les nuages.
Les aiguilles de l’horloge tournent autour du cadran depuis de nombreuses heures, seul son répétitif qui vient ponctuer régulièrement l’attente. Je n’attends personne. J’attends de savoir. Un goût amer emprisonne ma gorge, un blocage presse mes poumons, ma respiration est alourdie. De la paume de mes mains, je tente de palper le monde, de le sentir, de me fondre en lui. Il n’y a qu’un mur, les sensations m’ont quitté.
Les quatre cloisons de la pièce sont dépourvues de sens. Elles cachent ce qu’il y a derrière, et ces pans obstrués sont tout aussi déserts, je n’ai pas besoin de les voir pour le savoir. Une seule ouverture, une parcelle de vide en contrebas, de rares formes discernables au sol. Ce n’est pas un regret, ce n’est pas une déception.
Je ne sais pas.
Ce serait si simple. Me lever de ce fauteuil, m’avancer, me pencher, un peu plus, encore un peu. Peut-être y aurait-il une sensation d’extase, une brève exaltation de liberté. Au moins est-ce que je sentirais quelque chose. Il y a ce que je laisserais derrière moi, ce que je n’aurais pas fait. Du vent. Comme celui qui tente de me rafraîchir en s’engouffrant dans les quelques mètres carrés où je me tiens. Il passe, et rien ne le retient. Le brassage de l’air est comme une succession d’instantanés oubliés à la seconde même. Aussi insignifiant que le moindre fragment du puzzle de mes jours.
Où est la concordance ? Y en a-t-il seulement une ? Une raison valide, un pourquoi. Pas une ligne directrice, pas un destin, uniquement une explication. Aussi brève soit-elle, aussi incomplète ; juste une piste, l’amorce d’un raisonnement. Une touche d’espoir dans la mélancolie asphyxiante.
Le silence me répond, il m’enferme un peu plus dans ma réflexion, m’y condamne. Mon front s’échauffe, un poids s’amasse dans mon crâne. Les aiguilles continuent leur course dérisoire, les secondes rattrapent les minutes, les heures. Les minutes rattrapent les heures à leur tour, imperturbables. Seul ce mouvement circulaire me transmet le souvenir d’une réalité dont je m’éloigne un peu plus. Le rivage lointain s’égare dans les errances de mes pensées. Rien ne paraît plus humain, seul va le mouvement mécanique, rotatif, couru d’avance. Je n’arrive pas à me détacher de ce basculement hypnotique, j’attends qu’il s’arrête, convaincu qu’il n’a pas de fin. Que je m’arrêterai avant.
Endolori, je pousse sur mes jambes. Mon corps se lève. Il s’avance près de la fenêtre, s’appuie contre la rambarde glacée. Le frémissement des buissons se fait plus distinct, des hachures noircies perdues dans l’obscurité agitent leur feuillage. Je tente de les distinguer, le corps tangue. Une inspiration à pleins poumons se disperse dans un long filet d’air.
Je referme la fenêtre.
L’horloge brisée repose sur les graviers, éparpillée en pièces inactives.
L. T. 28/11/08