On en voit rarement le titre sur les listes de textes du Baccalauréat, mais Arthur RIMBAUD (1854-1891) a composé "L'Idole", sous-titré "sonnet du Trou du Cul", un sonnet parfait sur le plan de la forme, et très inspiré — on va le voir — pour le fond :
L'Idole
sonnet du Trou du Cul
Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encore d'amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu'au cœur de son ourlet.
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
A travers de petits caillots de marne rousse
Pour s'aller perdre où la pente les appelait.
Mon Rêve s'aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.
C'est l'olive pâmée, et la flûte câline ;
C'est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !
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Joli, non ? Le poème est tiré de l'Album zutique, et signé par trois auteurs que sont Albert MERAT (1840-1909), P. V. et A. R. Si vous identifiez comme moi les initiales des deux derniers, vous sourirez peut-être en relisant le poème à l'adjectif "féminin", un brin hypocrite.
Quoi qu'il en soit, il ne fallut pas moins de six mains de poètes pour composer un sonnet du Trou du Cul, et cela méritait d'être signalé.
Maintenant, j'ai une petite théorie personnelle à vous livrer. Chhhttt, n'ébruitez surtout pas l'affaire. Et si au terme de mon implacable démonstration, vous êtes convaincus par mon propos, surtout ne pensez pas qu'il en va de même pour votre voisin. Car en matière de fesses, le Q a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Voici donc. Je crois que Arthur Rimbaud a réécrit le "Sonnet du Trou du Cul" dans l'un de ses poèmes les plus connus, et les plus souvent récités par nos écoliers, à savoir "Le Buffet". Je vous raffraîchis illico la mémoire :
Le buffet
C'est un large buffet sculpté ; le chène sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;
— C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
— Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter des contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
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Je ne sais pas si le rapprochement vous paraît justifié. S'il ne l'est pas, isolez le premier quatrain et le deuxième tercet, puis relisez "L'Idole". Il me semble que les "réseaux" lexicaux sont les mêmes, et qu'il s'agit bien de la même chose. Sauf que le premier poème décrit un anus, l'autre un meuble. Mais fi ! de ces détails, les deux sonnets filent la métaphore du contenu et du contenant, du contenu qui se déverse, du contenant que l'on ouvre parfois. En bref, la poésie du Q, c'est le symbole de la poésie elle-même.
Un autre poème de Rimbaud, que je découvre à l'instant, se trouve par ici. Merci à lui de son apport capital à cette Quinzaine : on peut dire qu'il met du Q à l'ouvrage, Thutur !