Extrait du chapitre I de mon livre, "Logement, crise publique, remèdes privés". Déjà publié sur "crise publique" fin 2007.
Le logement social, solution du problème du logement, ou problème sans solution ?
Il est évident que la vocation première des organismes HLM devrait être de loger en priorité les ménages aux revenus les plus modestes. En croisant plusieurs données disponibles sur le site internet de l'INSEE, on s'aperçoit que cet objectif est loin d' être atteint. L'INSEE divise les ménages en catégories (très modestes, modestes, autres), en fonction de la classe de revenus par personne à laquelle ils appartiennent. Les ménages très modestes sont ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté (50% du revenu médian), soit selon les derniers chiffres publiés, les 11% les plus pauvres. Les ménages "modestes" sont arbitrairement désignés comme les ménages compris entre les 11% et les 30% plus modestes. En approfondissant les recherches, on peut également trouver des statistiques sur les ménages "moyens" (revenus supérieurs aux 30% les plus pauvres et inférieurs à la moitié la plus aisée) et les ménages « autres », la moitié aux meilleurs revenus.
Il apparaît que la répartition des ménages entre le parc locatif social (HLM) et le parc locatif privé est la suivante (en 2003) :
Parc HLM,
en milliers
Parc locatif
privé, en milliers
Ménages très modestes,
P(0-11)
# 900
# 700
Ménages modestes, P(11-30)
#1.15
# 900
sous total
TM+M
2.05 millions
1.6 Millions
Ménages moyens,
P(30-50)
# 850
NC
Autres ménages,
P(50-100)
# 1400
NC
Sous total
"ménages non modestes"
# 2.25 millions
# 3.25 Millions
Une répartition pas très sociale ?
On constate que 2.25 millions de ménages qui ne devraient pas avoir besoin d'aide publique pour se loger occupent un logement aidé, soit plus que le nombre de ménages désignés comme modestes par les critères de l'INSEE, alors que 1.6 millions de ménages supposés modestes ou très modestes se logent plutôt dans le parc privé.
Certes, il y a des explications logiques partielles à ces observations. Ainsi, une partie des ménages modestes recensés dans le parc privé sont des étudiants ou des célibataires à faibles revenus qui préfèrent habiter des studios et ''chambres de bonne'' dans des centres urbains plutôt que des logements en quartier HLM.
Cela n'explique pas pourquoi plus d'un tiers des occupants du parc "social" appartiennent aux classes les plus aisées de la population, alors que de toute part les médias retentissent de plaintes de ménages modestes qui "ne trouvent pas de place" en HLM. Le rapport Doutreligne-Pelletier cite le chiffre d'1,3 millions de demandes de logement HLM non satisfaites en 20051.
Il est évident qu'une différence de loyer, à surface égale, de 80% à 140% entre HLM et secteur privé constitue une incitation puissante à essayer d'obtenir un logement HLM, surtout si celui ci est de qualité proche de celle que l'on peut obtenir dans le secteur privé.
Or, il existe, pour simplifier, deux grandes familles de HLM: d'une part, ceux qui sont concentrés dans les « cités difficiles » construites avant 1970 pour la plupart, qui ont été le lieu des émeutes spectaculaires de novembre 2005, et d'autre part, ceux qui sont intégrés, voire sciemment mêlés à des programmes du secteur privé, qui présentent des caractéristiques souvent équivalentes en terme de localisation et de qualité de construction. Inutile de préciser que l'attrait de ces deux types de programmes HLM n'est pas du tout le même. Dans un cas, on peut supposer que l'état de dégradation et les difficultés liées à la disparition de l'état de droit dans les quartiers concernés justifient amplement la différence de loyer avec ceux des logements en secteur libre de même type dans d'autres quartiers. En revanche, il est évident que les HLM ''intégrés'' dans des quartiers où a été recherchée une certaine ''mixité sociale'' présentent un rapport qualité prix sans aucune commune mesure avec ce qu'offre le secteur privé.
Par conséquent, obtenir ce genre de logement constitue pour l'heureux bénéficiaire une chance. Pour que cette chance ne devienne pas une rente de situation indue, la loi prévoit que toute personne dépassant de 40% le plafond de ressources admissibles pour rentrer en HLM paie un surloyer rapprochant le coût de son logement de celui observé dans le secteur privé.
Un tel règlement engendre inévitablement son effet pervers. Si les plafonds de ressources nécessaires pour entrer en logement HLM sont généralement inférieurs ou équivalents aux revenus médians des ménages, il existe une frange ''intermédiaire'' de revenus comprise entre 1 et 1,4 fois le plafond de ressources réglementaire dans laquelle les ménages ne peuvent (en théorie) accéder à un logement HLM, et donc ne peuvent espérer retrouver un logement HLM s'ils quittent le leur, mais continuent de bénéficier de l'avantage essentiel que leur confère leur loyer inférieur de moitié, voire plus, à ce qu'il serait dans le secteur privé.
Rapport qualité prix imbattable, et quasi impossibilité de retrouver un tel privilège ailleurs: une telle combinaison incite fortement à s'incruster coûte que coûte dans un bon logement social. De nombreux témoignages publiés par la presse confirment l'existence de ce phénomène.
Les chiffres officiels confirment ils cette tendance conservatrice et ces témoignages de professionnels du logement social ? Oui ! La mobilité des ménages dans le parc locatif privé est de l'ordre de 22% par an (2002), alors que la mobilité au sein du parc HLM oscille entre 10,5 et 12,5% depuis 15 ans, les chiffres les plus bas se rencontrant lors des périodes économiquement les moins porteuses3. Selon Georges Mesmin, ce taux de mobilité était encore plus faible à Paris du fait du différentiel très élevé entre logement public et privé, puisqu'il a oscillé entre 6 et 9% pendant les années 80. Rien ne permet de croire que cela ait évolué aujourd'hui: Jean Yves Mano, adjoint au logement à la mairie de Paris, déclarait dans les colonnes du ''moniteur'' de novembre 2005 que le taux de rotation dans les HLM parisiens intra muros était tombé à... 4%.
Et encore ces chiffres ne constituent-t-ils que des moyennes. En l'absence de statistiques permettant de distinguer les « bons programmes » HLM des autres – politiquement trop incorrect, sans doute -, et de données corrélant la mobilité des ménages à leurs revenus, il est impossible de pousser plus avant les conclusions. Toutefois, des témoignages recueillis lors de cette étude confirment que les locataires les plus soucieux de conserver leur logement sont d'une part ceux qui sont dans les situations financières les plus critiques, même s'ils habitent en cité difficile, mais aussi les ménages relativement aisés qui habitent dans de bons logements sociaux intégrés dans des quartiers « mixtes », qui pourraient partir dans le parc privé mais qui ne sont pas prêts à multiplier par deux leur effort financier pour se loger dans des conditions juste similaires.
Le résultat est qu'une part non négligeable du parc HLM bénéficie à des gens qui n'en n'ont pas la nécessité, alors que les demandes en souffrance voient leur durée de satisfaction s'allonger.
La gestion de la file d'attente : confrontation entre des intérêts particuliers au détriment de la mission sociale des organismes HLM.
Selon que l'on considère les revenus nécessaires pour pouvoir entrer dans un logement aidé, ou le revenu plafond maximal pour pouvoir s'y maintenir sans pénalité financière, ce sont entre 6 et 9 millions de ménages non propriétaires de leur résidence principale qui ont vocation à pouvoir occuper un logement HLM, alors qu'il y a 4,3 millions de logements disponibles.
Lorsqu'un tel phénomène se produit sur un marché libre, les prix des biens en pénurie tendent à monter, ce qui incite de nouveaux entrants à fournir le service demandé sur le marché, et à rééquilibrer les prix tout en effaçant la pénurie. Mais les loyers des HLM ne peuvent monter, car ils sont réglementés. En conséquence, le prix artificiellement bas de l'offre ne peut que générer une demande excédentaire, d'où maintien de la pénurie.
Dans ces conditions, comment cette file d'attente peut-elle être gérée par les commissions d'attribution d'HLM, et quels effets pervers sont observés ? Il convient ici d'étudier plus précisément les comportements des différentes parties prenantes.
En théorie, seuls les ménages les plus modestes devraient occuper des logements aidés. Toutefois, nous avons vu que lorsqu'un ménage modeste entrait dans un HLM puis voyait son revenu augmenter, il continuait coûte que coûte à occuper son logement si celui ci était correctement situé. Les ménages demandeurs ont donc intérêt à utiliser tous les moyens en leur possession pour placer leur dossier en « tête de pile », tant en minorant leur revenu imposable déclaré qu'en utilisant leurs connaissances au sein des commissions d'attribution pour espérer décrocher le sésame d'un logement bonifié.
Voici un petit exemple concret de manipulation opérée par une personne sachant ne pas appartenir à la cible normale des organismes HLM: cette personne touchait environ un tiers de sa rémunération sous forme de primes versées au titre de l'année précédente. Cette personne ayant le choix de déclarer ses primes au titre de l'année de perception ou à celui de l'année de rattachement, elle choisissait de cumuler deux années de primes sur une seule déclaration, de façon à ce que l'année suivante, elle puisse faire état d'un revenu déclaré inférieur à son revenu réel, et, de par son quotient familial, à se retrouver nettement en dessous du plafond d'admission dans les logements HLM. Ainsi, cette personne pouvait en toute légalité passer le premier obstacle qui la séparait d'un logement aidé. Ce genre de manipulation pour faire correspondre les revenus des personnes aux plafonds d'admission dans les logements HLM n'est pas marginale, mais il n'existe naturellement aucune statistique permettant de quantifier le phénomène.
Tricher sur ses revenus n'est qu'une des méthodes pour améliorer la prise en compte de son dossier. Obtenir l’appui d’un élu influent au sein des commissions d'attribution peut également aider.
Dans ses rapports annuels, la MIILOS, mission interministérielle d'inspection du logement social - qui est en quelque sorte la ''cour des comptes du logement social''- pointe de façon récurrente des ''irrégularités'' dans les procédures d'attribution des logements dans environ 1/3 des organismes qu'elle contrôle. Ces procédures sont en principe collégiales entre élus d'horizon divers, organismes HLM et services préfectoraux, la collégialité étant censée limiter les possibilités de détourner les règles. Mais les contrôles de la MIILOS montrent que cet objectif n'est pas toujours atteint.
Naturellement, toutes ces irrégularités ne présument pas systématiquement d'un manquement déontologique. Elles résultent parfois de simples erreurs humaines. Toutefois, la révélation régulière de scandales entourant l'attribution de logements publics montre que ces pratiques, pour n'être pas majoritaires, n'en sont pas moins assez courantes.
La sociologue Sylvie Tissot, membre du Groupement d’étude et de lutte contre les discriminations a participé à un rapport sur les discriminations à l'entrée dans le logement social rendu en mai 2001. Dans une interview à l'Humanité, journal peu suspect d'antipathie à l'égard de la politique du logement social, elle déclarait:
« Le processus d’attribution du logement social est complexe et opaque. Il est géré par le maire, l’office HLM et le préfet, avec au final, l’exclusion de ceux qui devraient être les premiers bénéficiaires de ces logements. Au sein des communes, il y a une " préférence locale ", pour des raisons d’images et de clientélisme. Côté offices d’HLM, au nom de la rentabilité, on fait la chasse aux mauvais payeurs. Quant aux préfets, ils ont peu à peu intégré les critères des deux autres acteurs. D’où cette sélection à l’entrée. »
Il convient de revenir sur chacun des points évoqués par ce court paragraphe.
Les Organismes HLM ont intérêt à accepter un pourcentage élevé de « bons dossiers »
Nous avons vu que la ressource d'exploitation des organismes HLM était composée à 98% des loyers encaissés. Les subventions qu'ils touchent ne concernent que l'investissement. Par conséquent, les offices HLM ont une obligation de faire la chasse aux mauvais payeurs, comme le dit Mme Tissot. Mais mieux vaut prévenir que guérir. Les organismes HLM, même lorsqu'ils tentent avec honnêteté de faire face à leur mission sociale, savent qu'ils doivent maintenir parmi leurs locataires un pourcentage élevé de bons payeurs et sont donc obligés d'établir un profilage plus ou moins formel des dossiers qui leur parviennent. Ainsi, des dossiers présentant un bon potentiel de stabilité financière, voire de progression dans l'échelle des revenus, pourront être acceptés même si des dossiers de personnes moins favorisées s'accumulent dans la liste des demandes en souffrance. Et pour que ces locataires indispensables à la santé financière des organismes HLM soient incités à rester dans les logements que les offices leurs proposent, il vaut mieux leur attribuer un « bon » HLM, construit dans le cadre d'une opération bien intégrée à un quartier existant.
Ces choix sont renforcés par la nécessité, pour les aspirants locataires, de trouver des moyens de faire grimper leur dossier vers le sommet de la pile des demandes, et par là même, de se faire favorablement connaître auprès des élus qui siègent dans les instances dirigeantes ou les commissions d'attribution des HLM. Et selon vous, qui est mieux placé pour jouer ce jeu : les immigrés pauvres, ou bien les populations locales disposant d'un niveau d'éducation correct, si possible bien connectées au monde politique par le biais d'activités associatives ?
Pire même, pour anticiper sur d'éventuels préjugés de type ethnique prêtés par défaut aux populations locales, certains offices vont faire en sorte de limiter l'accès à ces bons logements à des familles issues de l'immigration, afin d'éviter que le voisinage ne soit source d'insatisfaction pour les locataires stables. Ces pratiques , qui étaient largement subodorées, ont été confirmées par les révélations récentes sur le « Profilage ethnique » des demandeurs d'HLM opérées par l'OPAC de Saint-Etienne et révélées par un contrôle de la MIILOS. Même si ce profilage n'est pas nécessairement aussi marqué dans tous les organismes, le rapport Tissot confirme l'existence de cette pratique, ne la mettant pas sur le compte d'un racisme délibéré, marginal, mais sur la sociologie propre au fonctionnement interne du mouvement HLM:
« Loin de se réduire aux seules discriminations intentionnelles, sans doute marginales ou limitées à quelques organismes ou mairies et certains sites, les traitements inégalitaires sont principalement le fruit d’un système local auquel participe une multitude d’institutions installées dans des routines gestionnaires et pas toujours conscientes des effets produits par la culture de la norme implicite. »
Qu'en termes élégants ces choses là sont dites... Le rapport va plus loin en affirmant clairement que les populations immigrées sont devenues des populations à risque pour les organismes HLM:
« A côté d’autres groupes (familles monoparentales, Rmistes, travailleurs précaires...), l’image de l’immigré des années 70, « bon locataire » car bon travailleur payant régulièrement son loyer, s’est muée en une catégorie redoutée car synonyme de dévalorisation du parc immobilier et de fuite des « bons » candidats. Ces représentations ont fini par guider les pratiques des agents qui distinguent entre les « bons » et les « mauvais » groupes au mépris des critères formels d’attribution des logements. »
Le résultat concret de ces incitations à la ségrégation est une accumulation de populations immigrées plus largement touchées par le chômage que les autres dans les cités HLM concentrationnaires des années 50 et 60, accumulation dont les conséquences sociologiquement désastreuses, que nous ne détaillerons pas, sont apparues clairement lors des émeutes de novembre 2005.
En contrepartie, une classe de locataires ultra-privilégiés se développe dans les quartiers où les programmes HLM ont été mêlés au parc privé. Pour justifier cet état de fait dont le caractère de justice sociale échappera à tout observateur de bon sens, le concept de « mixité sociale » des quartiers a été inventé. Ce concept technocratique est une justification commode pour la fourniture d'une rente de situation à des catégories sociales électoralement recherchées par les élus, et indispensables à l'équilibre financier des organismes HLM.
Le surloyer, un mécanisme en pratique peu opérant
En théorie, l'application d'un surloyer est censée contraindre les ménages « trop riches » à quitter leur logement HLM « de luxe ». Or, la MIILOS, encore elle, constate que dans certains offices, l'application de ces surloyers ne va pas de soi, et doit souvent être arrachée à l'issue de contrôles.
De surcroît, lorsqu'un office HLM lance une enquête auprès de ses locataires pour connaître leurs ressources, il n'est pas rare que ceux qui savent que leur revenu se situe au dessus des 140% fatidiques du plafond de ressources « fassent les morts » pour payer le surloyer forfaitaire de... 18%, lorsque la différence entre leur loyer « social » et un loyer privé excède 80, voire 140%...
Roger Quilliot, président de l'union nationale des fédérations d'HLM de 1985 à 1991, ancien ministre du logement du gouvernement Mauroy, avait, à la fin des années 80, choqué l'opinion en déclarant au journal télévisé que les offices HLM freinaient sciemment l'application des surloyers pour conserver les locataires, et qu'un durcissement des lois en ce domaine condamnerait les organismes de logement social à faire un appel massif à des subventions d'exploitation payées par le contribuable, ce qui est inenvisageable au vu de l'état des finances publiques, ou, pire encore, les mènerait à la faillite.
Cette dernière hypothèse est insupportable aux yeux de la classe politique française. Les locataires aisés du parc social « supérieur » peuvent dormir tranquilles.
Logement social et clientélisme
Face à une telle avalanche de critiques, parfaitement connues de tous les décideurs politiques, on pourrait imaginer qu'une partie importante du personnel politique français milite pour une refonte complète des modalités de l'aide au logement des plus démunis. Or, force est de constater qu'à part quelques personnalités atypiques comme Georges Mesmin, ou comme Raymond Barre, dont un rapport de 1975 fut à l'origine de la création de l'APL, personne n'ose remettre en cause le modèle HLM comme outil essentiel de la politique du logement en France.
Au contraire, droite et gauche convergent sur ce sujet, en annonçant régulièrement une relance des programmes de construction sociale, même s'il savent cette relance irréaliste - à 40.000 euros d'aides par logement. La droite ne remet pas en cause l'obligation créée par la loi SRU, élaborée par un ministre du logement communiste, Jean Claude Gayssot, de posséder 20% de logements sociaux sur le territoires des grandes agglomérations. 20% de pauvres par décret, tel semble être l'horizon de notre classe politique unanime. Quelle ambition !
Pour comprendre cet attachement au logement social, il faut hélas en arriver à faire le procès d'intention de certaines élites politiques à l'aide des théories du « choix public » élaborées et popularisées par James Buchanan, prix Nobel d'économie 1986. Celui ci a montré que lorsqu'une entité publique était supposée travailler pour l'intérêt général, celui ci étant défini de façon arbitraire, alors cette entité tendait à ne s'atteler à sa mission qu'après s'être assurée pour elle même de confortables avantages, et que les groupes de pression gravitant autour de cette entité avaient un intérêt économique fort à détourner la notion d'intérêt général à leur profit, pour bénéficier des largesses dispensées par l'organisme public en question.
Dans le domaine du logement social, les dévoiements de l'action publique ont été monnaie courante.
Des OPAC bien opaques ?
En commençant par quelques peccadilles, signalons que la MIILOS épingle dans son rapport 2001, toujours dans un langage technocratique châtié, des ''comptabilités lacunaires'' dans environ 1/3 des organismes contrôlés, des avantages extra légaux accordés aux dirigeants sous forme de note de frais injustifiées, d'avantages en nature non prévus par les textes, de voyages d'étude dont le caractère studieux n'apparaît guère évident, de cumuls de rémunérations non réglementaires, etc...
Les chiffres officiels montrent que les frais de gestion des offices HLM représentent 19% des loyers encaissés, là ou une agence privée de gestion locative sérieuse demandera 5 à 6% à un bailleur privé pour le décharger de tout souci de gestion, assurance pour loyers impayés comprise. Certes, les loyers du privé étant environ 2 fois plus élevés, l'écart de performance ne se situe qu'entre 7 et 9%. Mais tous ces chiffres en disent long sur la qualité plus que médiocre de la gestion -publique- des organismes HLM.
Naturellement, ces frais de gestion n'incluent pas les coûts des bureaucraties nationales (ministères, ANRU, etc...) et locales chargées de co-piloter les organismes de logement social.
Tout ceci n'est que petite bière à côté des affaires de corruption qui ont émaillé la presse à scandales depuis 1985. L'affaire des logements du domaine privé de la ville de Paris, attribués par l'ancienne municipalité (1976-2001) à des amis proches (pratique semble-t-il perpétuée par la majorité municipale de gauche issue du scrutin de 2001 malgré ses prétentions éthiques9), qui aurait dû coûter sa carrière politique à Alain Juppé, fait figure d'anecdote à côté de l'affaire des marchés publics de construction (qui concernait entre autres les marchés de construction d'HLM, mais pas uniquement) en Ile de France, révélée dans les années 90 et mise en jugement fin 2006: l'enquête a révélé qu'un pacte de répartition des pots de vin payés par les entreprises attributaires permettait d'arroser toutes les formations politiques, du RPR au PCF en passant par l'UDF et le PS.
Les débats du procès Schuller, ancien directeur de l'office HLM des hauts de seine, conseiller général de ce département, sont évocateurs des détournement de bien public opérés par certains politiciens peu scrupuleux. Selon les réquisitions du procureur, l'audience a montré que M. Schuller se servait de l'office HLM, sur lequel il disposait des « pleins pouvoirs », non seulement pour financer un train de vie tout à fait fastueux, une campagne électorale coûteuse en vue de s'emparer de la mairie de Clichy, mais aussi pour promettre logements et emplois à des électeurs et relais d'opinion intéressants.
Naturellement, il est hors de question de prétendre que ces pratiques sont générales, mais régulièrement la presse se fait l'écho d'irrégularités, voire de pratiques douteuses, dans le milieu HLM. Ainsi, entre autres exemples, l'Humanité du 10 octobre 2003 expose certaines pratiques discutables à l'OPAM de Nice. Le « cri du contribuable » de septembre 2005 évoque dans un entrefilet des turpitudes survenues à l'OPAC de Lyon... Et ce ne sont là que quelques exemples qu'une simple recherche sur internet permet de trouver rapidement.
Cette répétition ad nauseam d'affaires troubles autour du mouvement HLM montrent que l'argent du logement social, à défaut de bénéficier en majorité à ceux qui en auraient le plus besoin, n'est pas perdu pour tout le monde.
L'impact politique des HLM : des banlieues rouges à la loi SRU
Si les HLM sont aussi populaires auprès d'une partie de la classe politique, ce n'est pas uniquement parce qu'ils représentent pour les moins honnêtes d'entre eux un espoir de gain facile. C'est aussi parce que, comme l'affaire Schuller l'a montré, ils constituent un moyen d'achat de votes susceptibles de faire basculer une élection.
Revenons un instant à la théorie du choix public de Buchanan. Sachant qu'une élection se gagne généralement à la marge grâce aux voix d'un électorat indécis que l'on désigne comme « flottant », Buchanan a montré que, pour se faire élire, les politiciens ont intérêt à mettre en place des mesures dont les coûts sont répartis sur le plus grand nombre (financement public sur budget national) et les bénéfices répartis sur une frange étroite de l'électorat dont la séduction sera primordiale en vue du prochain scrutin.
Lors de la mise en place, à la fin des années 50 puis 60, des grands programmes concentrationnaires de logements sociaux, dans les banlieues de Paris, la gauche ne s'opposa nullement à cette action, même lorsque Charles De Gaulle en fut le promoteur, sauf pour en critiquer l'insuffisance dans le cadre du jeu de rôles que droite et gauche affectionnent depuis si longtemps. Il faut dire que cette politique a permis à la gauche, et notamment au PCF, de s'assurer des majorités confortables d'électeurs dans la fameuse ceinture rouge (Bobigny, Créteil, Aulnay, Trappes, Montreuil, entre autres...) , alors que la droite pouvait préserver la tranquillité de ses électeurs de la bourgeoisie moyenne et haute, et par là même ses fiefs électoraux, en concentrant les classes ouvrières et moyennes inférieures hors de ses bastions.
Aujourd'hui encore, alors que son influence électorale générale sur le territoire est devenue négligeable, le PCF réussit à conserver une vingtaine de députés, presque tous élus dans des banlieues dites difficiles, car ses rares électeurs y sont fortement concentrés. Toutefois, le raisonnement qui donnait automatiquement aux communes de gauche les voix des classes modestes des banlieues sont en train de faire long feu. La participation plus faible à la vie politique, l'exaspération vis à vis des questions d'insécurité poussent une part croissante des électeurs de ces partis vers les extrêmes. La gauche dite « de gouvernement » doit impérativement trouver des stratégies de rechange pour enrayer un déclin que les changements structurels de la société rendraient autrement inéluctable.
Voilà pourquoi M. Jean Claude Gayssot, ministre communiste d'un gouvernement à majorité socialiste, a fait voter en décembre 2000 une loi dite loi SRU (solidarité et renouvellement urbain), qui impose aux communes de plus de 3500 habitants dans des agglomérations de plus de 50000 habitants la présence de 20% de logements sociaux dans leur parc locatif.
Ce seuil de 20%, totalement arbitraire, procède d'une logique purement démagogique. Tout d'abord, reconnaître implicitement que dans un pays comme la France, 20% des foyers devraient avoir besoin d'une aide pour se loger est témoigner d'une confiance bien faible de ce pays à créer par lui même les richesses dont ses habitants ont besoin.
Mais surtout, il est révélateur de l'incurie économique de certains décideurs. Tout d'abord, les services de proximité qui s'installent dans les communes « très bourgeoises » s'adaptent à leur clientèle: importer de force des populations pauvres dans ces communes ne permettra pas à ces dernières d'accéder facilement à des services adaptés à leur budget, au moins dans un premier temps.
Ajoutons que les communes pauvres en logement sociaux sont souvent des communes où le foncier est cher soit parce qu'il est rare, soit parce que la commune a su, au cours des temps, se spécialiser dans l'accueil de familles aisées. Imposer à ces communes 20% de logements sociaux revient à augmenter considérablement la subvention permettant de financer ces logements afin que leur loyer puisse rester sous les plafonds légaux imposés aux HLM. Voilà qui ne peut qu'accroître la charge pesant sur le contribuable.
De surcroît, ces programmes publics, en augmentant la demande foncière sur des communes onéreuses, renchérissent encore le coût d'habitation pour les classes moyennes dont nous avons vu qu'elles pouvaient de moins en moins accéder soit au logement social, soit au parc privé. La loi SRU, en prétendant se focaliser sur les 20% de familles les plus modestes, agit de fait comme un instrument d'exclusion des classes moyennes-basses des quartiers de standing moyen et supérieur.
Il n'est pas certain que cette conséquence prévisible de la loi SRU afflige outre mesure la gauche. En effet, il est vraisemblable que cette dernière espère que dans les territoires où les scores politiques sont serrés, un afflux supplémentaire de familles modestes et assistées permettra de faire basculer à gauche ou de raffermir des majorités de gauche au sein des communes concernées. Qu'une partie de la droite politique française soutienne la loi SRU aujourd'hui paraîtra plus surprenant au premier abord, mais se comprendra aisément si l’on songe au calcul exposé par Buchanan: certains politiciens espèrent ainsi faire financer par des contribuables dilués un cadeau dont ils pourront se prévaloir auprès d'une frange fluctuante de leur électorat.
A ce stade, nous pouvons affirmer que si l'écosystème du
logement social n'assure pas correctement sa mission sociale, c'est
parce qu'aucune des parties prenantes de cet écosystème n'y a intérêt
– à l'exception des familles pauvres, qui comptent peu électoralement,
puisqu'elles tendent à déserter les urnes, voire n'y ont pas accès en
raison de leur nationalité.
-----