Avez-vous déjà rencontré un dragon, dans une cave viticole, entre une cuve de cinsault et une autre de grenache, lequel se manifeste par de petits lâchés de bulles intempestives ?
Moi, si ! Ce matin, rendez-vous était donné à 10h. Comme d’habitude, ma ponctualité me précède et me voilà donc à 10h pétante devant la porte d’un modeste pavillon, me demandant si Madame Christine Bernard, vigneronne naturelle de son état, était bien à cette adresse. Ce n’est vraiment pas commun de rendre visite à une vigneronne en pleine banlieue d’une grande ville, Montpellier en l’occurrence.
La porte s’ouvre. J’entre aussitôt dans un nouvel univers, fait de sourires, de bon mots, de passions, tout animé d’une énergie très tendue, précise et exigeante. Son rire, et il y en eu plusieurs, souffle un esprit libre, décontracte la mesure du temps. La vie est légère, profitons-en !
Catherine aime à dire qu’elle est une vigneronne, installée à la ville, qui part au bureau, tous les matins, à contre-sens, dans ses vignes et sa cave. Si les parcelles sont à elles, la cave se partage avec une collègue. Maison, cave et vigne ne sont pas pour l’instant réunies ! Les joies du début, du lancement, des envies de réussir plus fortes que les obstacles dressés sur son chemin.
Pour aller à ses vignes, elle emprunte ce qu’elle appelle “le boulevard de la chimie“; un chemin carrossé, traversant des parcelles où seul les ceps ont le droit de pousser, dopés par les artifices de nos contemporains. Pas loin de là, Saint-Drézery et le domaine de Puech-Haut, véritable locomotive de l’appellation.
Catherine a planté des Grenaches dans un sol très argileux et très pauvres. Avant la fin de l’année, il faudra venir les étayer à l’aide d’un tuteur en bois de châtaignier pour qu’ils puissent prendre leur place et s’installer fermement dans le sol.
A côté, sa plus grande parcelle de grenache qu’elle a reprise en l’état, se confond avec les herbes hautes. Au fond, la montagne du Pic Saint Loup dépasse des combes. Sur le sol, les feuilles sont déjà tombées et on ne les distinguent déjà plus, happées par la terre qui se nourrit de leur matière. “Vous voyez, ici, ce sont des vignes historiques” me dit Catherine en montrant sa parcelle, “c’est comme cela que je les appelle. Les autres, celles qui ne connaissent que la chimie, ce sont des vignes hors sol, regardez, elles sont déboussolées, elles ont encore leurs feuilles. Et quand elles vont tomber, elles seront aussitôt emportées par le vent. La terre est tellement nue et compacte qu’elle ne peut pas les retenir. Elles iront se blottir inutilement dans un fossé”.
A la cave, l’énergie de Catherine envahit l’espace. J’y viens pour découvrir ses vins et je me retrouve debout sur une échelle, en haut d’une cuve, à lui donner de mon aide. Les vins travaillent, à l’intérieur. Je savoure pour la première fois, un pur extrait de Marselan, divine surprise au palais, une acidité nouvelle, un velouté, déjà, et du croquant. Déguster des pieds de cuve, dans le froid de la cave, n’est jamais un exercice facile pour qui ne le pratique pas tous les jours. Mais c’est la même sensation que d’être dans les coulisses d’un spectacle ou de gouter au plat d’un chef dans ses cuisines. On aime cette intimité et ce moment de confiance.
La rencontre se termine à table, en famille d’abord, autour d’un plat mijoté depuis le matin, puis entre amies, associant mendiant et cinsault, modestie et finesse. En partant, je repense à ce qu’elle me disait, impulsivement, dans l’univers clos de sa cave : “je suis un dragon“. Oui, voilà, comme un être de conte, exubérant, doté de pouvoirs magiques, entrainé dans son histoire. Déguster ses vins c’est forcément partager son parcours initiatique, ressentir la vie qui bouillonne en elle et apprécier, tout à la fois, la saveur du vin et l’exquis bonheur de prendre son temps.