J'avais 12 ans et elle a beaucoup compté pour moi à cette époque. C’est un attendrissant souvenir qui me ramène à elle.
La soixantaine pensive et réfléchie, elle aurait pu inspirer la Comtesse de Ségur pour une petite fille modèle qui aurait eu quelques années de plus. Elle a un visage sage et élégant, témoin léger du passage du temps. Le gris fumé de son éternel chignon l’emporte sur quelques mèches blanches égarées, ce qui lui donne l’aspect combatif d’une jeunesse d’âme.
Il y a chez certaines personnes une philosophie de la vie qui émane d’elles dès le premier contact. Physiquement et intellectuellement, il se dégage d’elle un mélange de tradition et d’ouverture d’esprit qui la rendait très attentive et à l’écoute de ses élèves. Elle nous répétait souvent que le voussoiement qu’elle pratiquait était non pas un signe de distance mais une sincère marque de respect.
Cette adorable femme m’avait voué dès ma première copie une véritable affection. Elle me trouvait d’une sensibilité et d’un talent hors-pair. Je nous savais liés par une incroyable complicité.
Pour continuer à lui plaire, je soignais mes copies comme jamais. Je documentais mes fiches de lecture de « Vendredi ou la vie sauvage », « Croc-Blanc » ou « La gloire de mon père » en les illustrant par des photos des auteurs, des représentations des personnages. C’était ma touche personnelle, mon originalité, ma marque de fabrique.
Toujours en retard, je terminais de recopier mes brouillons chez moi le matin même de la remise des copies. Même les mal inspirées, les mal achevées se retrouvaient par miracle classées malgré tout dans les meilleures.
Je me souviens qu'elle souhaitait que je devienne écrivain...
Hier au Théâtre, elle m'a confessé qu'elle avait, en cachette à l'époque du Collège, recopié une de mes rédactions pour la garder en souvenir...