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"Se rebeller est juste, désobéir est un devoir, agir est nécessaire !" from Patricia Pilleul-Mary

Publié le 09 décembre 2008 par Adadala
Suite de la mobilisation massive contre les mesures du gouvernement en ce qui concerne l'Education Nationale, et tout d'abord la suppression de 3 000 postes d'enseignants du RASED (qui présagerait d'une éradication totale, même si le Ministère s'en défand), en instituant(pour combien de temps ?) une aide personnalisée aux élèves en difficulté dispensée hors temps scolaire par leurs enseignants.
Voici un très beau texte d'une psychologue qui rappelle que désobéir peut être aussi un devoir civique. Elle explique pourquoi l'action du gouvernement est injustifiable.
27 novembre 2008
Courrier adressé :
Aux écoles d’Ecuelles, Episy, Montarlot, Saint Mammes, Thomery, Vernou, Villecerf,À Madame Anne Taburet IEN Melun, Monsieur Serge Rossière-Rollin IEN ASH Melun,
À Mesdames et Messieurs les Inspecteurs D’Académie de la région Ile de France.,
À Monsieur Xavier Darcos Ministre de L’Education Nationale.
PLAIDOYER EN FAVEUR DE LA DÉSOBÉISSANCE
En qualité de psychologue de l’éducation nationale retraitée depuis le 1er septembre 2008, ayant exercé au RASED de Saint Mammes 15 années durant, je décide de prendre position contre la manière dont le Ministère de L’Éducation Nationale s’apprête à démanteler l’institution scolaire, et j’incite tous les collègues en activité (professeurs d’écoles, inspecteurs etc.) à entrer en résistance et à désobéir.
« Se rebeller est juste, désobéir est un devoir,
agir est nécessaire. »

Après avoir supprimé 3 heures de classe pour les meilleurs élèves, les moins chanceux se voient « retenus ou punis » hors du temps scolaire, afin de rattraper par le biais du bachotage, les notions non acquises dans la journée. Mieux encore, la solution miraculeuse pour lutter contre la difficulté scolaire consiste à priver de vacances les « mauvais élèves » en organisant pour eux des cours de rattrapage durant les congés. Il suffisait d’y penser. On ne pouvait trouver plus subtil pour restaurer la défaillance narcissique des élèves en proie à la grande détresse scolaire. Ne nous leurrons pas, ils ne tarderont pas à se décourager et à s’exclure de l’école, avec tous les risques que cela comporte pour leur avenir et celui de la société. Dans le même temps, puisque l’enseignant de la classe doit pouvoir prendre en charge la grande difficulté scolaire, M. le Ministre décide, de manière autoritaire et unilatérale, que l’aide apportée par les membres des RASED, devienne obsolète. Et ces personnels diplômés et qualifiés se verront contraints de regagner des classes qu’ils n’auraient pas dû quitter, avec le plus grand mépris de la part de l’administration. Peut-être sont-ils également punis d’avoir voulu donner de leur peine pour les enfants les plus démunis et par conséquent, les moins rentables ? Nous y reviendrons plus loin.
Je pense, certes, que nous sommes face à un ministre ignorant en matière d’éducation, de surcroît doté d’un ego surdimensionné qui ne lui permet pas de mesurer le ridicule et la niaiserie de ses propos lorsqu’il s’adresse au grand public… Mais, plus grave, nous sommes face à des gens dangereux dont nous devons dénoncer la maltraitance envers l’enfance.
Parlons santé physique et psychique :
La semaine de quatre jours, instaurée cette année pour les enfants, a pourtant toujours été décriée par nombre de pédiatres et chronobiologistes.
Quel bénéfice les élèves peuvent-ils en tirer ?
D’autre part, l’allongement de la journée pour apporter l’aide personnalisée aux enfants les plus fragiles entraînera une fatigue accrue, une absence de récupération physique et intellectuelle et aboutira dans bien des cas à l’inverse du résultat attendu : Une fixation des troubles de l’apprentissage et probablement le développement d’une hyperactivité réactionnelle.
Comment peut-on défendre l’indéfendable ?
Il faut considérer également que les enseignants ont majoritairement toujours apporté une aide personnalisée à leurs élèves, sachant que la réussite était due en partie au fait qu’elle s’adressait à des élèves rencontrant des difficultés ponctuelles et transitoires. D’autant plus que l’écolier en soutien était sensé apprendre par transmission et répétition. Cette méthode n’était donc efficace que pour un nombre restreint d’enfants en difficulté passagère. Si la Solution à l’échec à grande échelle avait résidé dans ces pratiques, nous le saurions depuis Jules Ferry et il n’aurait pas été utile de grever le budget national en créant il y a 40 ans les premiers GAPP transformés par la suite en RASED.
Or, dans le nouveau contexte, l’aide personnalisée préconisée par le gouvernement ne s’adressera plus à l’élève ne maîtrisant pas totalement « le passé composé » mais à l’enfant rencontrant un échec massif et durable. Ce type d’enfant n’est pas celui qui pourra tirer profit de cours particuliers aussi intensifs soient-ils. Il s’agit d’un enfant « accidenté, voire cassé », qui a déjà développé des sentiments de dévalorisation et d’injustice engendrant le dégoût des études, la colère et la violence. Il ne sait plus écouter, mobiliser ses processus de pensée. Se rendre à l’école est devenu un cauchemar, la classe ? Son champ de bataille. Il serait urgent pour cet enfant qu’il soit écouté et qu’on l’aide à restaurer son MOI endommagé par l’échec et autres situations traumatiques.
Aujourd’hui que va-t-on proposer à cet enfant ?
Un discours hypocrite consiste à jeter de la poudre aux yeux en faisant croire que deux heures hebdomadaires vont réparer les dégâts causés par l’échec, tout comme précédemment on a prétendu que les PPRE, (rebaptisés par moi-même, Programme Personnalisé de Réduction de L’Enfant), pouvaient être la solution miraculeuse à l’échec, laissant la part belle à « l’évaluationnite ». Oubliant qu’en éducation tout n’est pas quantifiable, nous sommes à nouveau face à des pseudo recettes simplistes.
Ces stratégies scientistes ne prennent pas en compte, le Sujet et son désir, le Sujet et sa souffrance, ne mettent pas l’accent sur les causes complexes et multifactorielles de l’échec. Selon Jacques Lévine, cet type d’enfant a besoin « que nous regardions de près la nature de ces dommages…retourner à ce qui s’est passé dans le milieu familial ou scolaire…et à partir de cette marche en arrière, il peut devenir possible de pratiquer une marche en avant pour organiser une dimension positive du MOI. Si on ne fait pas ça, on enlève à l’enfant une substance essentielle : l’espoir de retrouver une considération de lui même. »
Ce travail était effectué par les enseignants spécialisés : regard différent, analyse du vécu des enfants, outils de prévention, remédiation…échanges entre professionnels, rencontres des familles. Certes, si le problème de l’échec scolaire n’a pas été résolu dans sa totalité malgré la présence des maîtres spécialisés, les maladies non plus n’ont pas été éradiquées malgré les soins apportés par les médecins.
Cependant on peut légitimement supposer que sans maîtres spécialisés il y aurait eu davantage d’échecs et sans médecins davantage de maladies.
À vouloir faire l’économie de ces personnels, de leurs savoirs, à vouloir minimiser leurs compétences, on supprime la précieuse fonction de médiation entre enfant et maître, enfant et famille, enfant et son rapport défectueux aux savoirs.
C’est, selon Daniel Calin,
« Laisser les enfants subir à bout portant leur échec.
C’est, laisser les familles subir à bout portant l’échec de leur enfant
C’est, laisser les maîtres subir à bout portant leur échec face à certains enfants. »

Mais M. DARCOS peut-il comprendre une notion aussi subtile que celle de fonction de médiation ?
Comment comprendre un tel acharnement pour démanteler avec autant d’autorité les RASED ?
Leur efficacité a pourtant été reconnue par des supérieurs hiérarchiques et par les usagers (enfants, familles, enseignants). Leur suppression exerce de ce fait une violence inouïe sur l’école et ses maîtres.
Certes l’aspect économique de la mesure est sans doute moteur. Mais ceci n’explique pas tout. En effet, on perçoit au niveau ministériel un profond mépris pour le personnel des RASED, voire une franche hostilité, comme si ces enseignants n’étaient que des ennemis dont il fallait se protéger ! Les mesures prises à leur encontre ont un goût amer de punition ; leurs diplômes et leurs compétences sont déniés.
Ainsi le 16 octobre 2008, le Ministère de L’Éducation Nationale réunit les inspecteurs d’académie et leur demande de procéder à la fermeture progressive des postes E et G. Ces personnels, selon le bon vouloir des inspecteurs d’académie, pourront être nommés sur des classes ordinaires, dans des écoles où l’échec scolaire demeure important avec comme mission supplémentaire d’apporter aide et conseils aux autres enseignants de l’école. Les inspecteurs d’académie ont carte blanche pour sélectionner les maîtres devant quitter leur emploi, choisir les écoles où ils occuperont leurs fonctions. Qu’en est-il d’une éventuelle consultation des intéressés ? Peu importe si un maître E ou G n’a plus enseigné dans un groupe classe depuis X années, il doit ravaler son amertume, oublier sa mission dans laquelle il s’était fortement impliqué. Une légère faveur peut leur être accordée s’ils persistent à vouloir prendre en charge les enfants les plus démunis.
En effet, ils pourront encore demander des postes en SEGPA ou en CLIS.
Quel crime doivent-ils expier ? Les gouvernements à idéologie bourgeoise ont toujours craint les « instituteurs » exerçant dans les milieux populaires. Le danger réside dans la capacité à transmettre des valeurs permettant aux enfants de s’émanciper, de penser par eux même, d’acquérir l’esprit critique et d’assumer des choix personnels. En bref, permettre aux enfants de devenir des citoyens combatifs et dont la parole devra être prise en compte par nos gouvernants.
À ce propos, offrons-nous un voyage historique et revenons au temps de « l’Instruction Publique » : En 1850, une loi autoritaire née d’un gouvernement liberticide, place les instituteurs sous la tutelle directe des préfets qui ont tout pouvoir pour les déplacer d’office, les suspendre ou les révoquer. Les préfets entreprennent « l’épuration » (terme de l’époque) du corps enseignant. Derrière les motifs invoqués pour justifier les poursuites : Immoralité, inconduite, propos anarchistes, c’est l’engagement d’une partie des instituteurs de la république qui est en cause. Parmi les 3000 maîtres sanctionnés près de la moitié sera révoquée.
Revenons à la situation actuelle, nous assistons à un crime orchestré contre l’enfance en détresse, les familles en souffrance et les enseignants dénigrés.
La protestation devient un devoir civique.
Face à ce désastre, la servilité, l’intimidation et l’infantilisation ne sont plus de ce siècle. Référons nous à la loi No 83-634 du 13 juillet 1983 : L’article 28 pose le principe hiérarchique d’obéissance du fonctionnaire dans les termes suivants « tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie est responsable des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »
Osons prendre la liberté de parler, défendre nos convictions. En bref soyons citoyens avant d’être fonctionnaires.
En conséquence, j’appelle toutes les écoles et leur personnel à la désobéissance collective et massive :
- À refuser le dispositif d’aide personnalisée hors temps scolaire.
- À refuser les stages de remise à niveau pour les enfants pendant les vacances.
- À mobiliser les élus et les familles en les sensibilisant à la maltraitance exercée à l’encontre des enfants et des enseignants.
- À refuser la suppression des RASED dont la mission ne consiste pas à organiser le soutien mais à prendre en charge des enfants rencontrant des troubles graves et durables.
- Je soutiens les écoles et leurs maîtres qui ont déjà organisé la résistance et désobéi aux injonctions du gouvernement.
- Je soutiens le courage des IEN qui à titre personnel n’ont pas hésité à dénoncer les pratiques du ministère.
- Et j’aimerais, mesdames et messieurs les Inspecteurs D’Académie que vous puissiez rejoindre la foule nombreuse des mécontents et à votre tour vous insurger et désobéir.
Car lorsque la loi est enfreinte, pour ne plus être complice de l’injustice, devenir « désobéisseur » est un devoir.
Patricia PILLEUL-MARY
Mes Petites Fables

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