Entre Avignon et Strasbourg, entre les travaux de la Présidence du Conseil de l’Union Européenne et la seconde réunion concernant le projet d’itinéraire des Roms au Conseil de l’Europe, il n’y a peut-être qu’une question d’époques dans la naissance des Institutions et de divergences philosophiques de leurs origines. A chaque Institution la manière dont elle a pris en compte la culture et la définition qu’elle en donne, quand il s’agit de travailler sur l’unité et la diversité.
Catherine Lalumière, le premier jour du colloque d’Avignon, insistait lourdement, mais avec un juste sentiment des choses, sur le fait que lors de la naissance de la Communauté du Charbon et de l’Acier et dans les Traités de Rome, la culture n’était pas présente, et encore moins l’idée d’une compétence patrimoniale de nature supranationale.
A chaque pays son identité…et pour ne pas dire, dès la fin des années soixante, à chaque région, son identité.
A son sens, la culture, même si elle avait été considérée comme une essence de la réconciliation voulue par les Pères de l’Europe, était restée, en route, de l’ordre de l’individuel et de l’intime, au mieux une place pour un début de dialogue entre des nations que les cultures nationalistes avaient justement opposées. Jumelages, rencontres, échanges. Autrement dit, la citoyenneté s’est incarnée très tôt dans la pratique, avant de tenter une analyse de ses fondements.
Mais dans la formulation même des Traités, c’est de l’économie que naîtrait la cohérence, puisque l’économie voulait dire l’enrichissement, donc l’amélioration du niveau de vie et de la qualité de la vie.
Autrement dit, un début de mise en perspective de sentiments destructeurs à partir de leurs sources culturelles, vite résolu par la conception du marché unique.
Le paradoxe de la construction de l’Europe, sans la construction de la citoyenneté européenne est donc bien originel. Un péché originel, pour le dire ainsi ?Toute la question est bien de savoir si c’est de ce péché là dont nous souffrons le plus aujourd’hui et si, après le travail très concret des itinéraires culturels, le Label du Patrimoine européen constituera un vrai cadre de pratique citoyenne. Pour l’instant, je ne le crois pas. Mais je reste optimiste en ce qui concerne le travail d’analyse à venir !
Et ce péché devient d’autant plus fort au moment où le tout économique à fait la preuve de ses limites et de son épuisement, que l’enrichissement “avant tout” a produit des inégalités difficiles à accepter, et que la recherche de la qualité de la vie, qui se nomme maintenant “développement durable”, fait retour vers l’horizon d’une ruralité qu’on croyait disparue, ou du moins transformée elle-même en patrimoine, comme le montre avec pertinence le dernier film de Raymond Depardon « La vie moderne ».
Nostalgie, ou prise de conscience que les paysans sont les acteurs d’un conservatoire dont nous avons furieusement besoin avant qu’il ne disparaisse, pour faire renaître le lien entre individus, leur patrimoine oral, leur patrimoine savant et leur patrimoine matériel ? Du local à l’européen !
Catherine Lalumière a exprimé – je veux dire martelé, comme à son habitude de grande dame de la clarté politique – plusieurs craintes et elles ne sont pas mineures :Savons-nous vraiment ce qu’est l’identité européenne ? Ne risquons nous pas d’avoir une conception très passéiste du label en privilégiant le passé ? Qu’en est-il de la diversité et des divergences ? Et que faire avec la peur du métissage et la nostalgie de la pureté ?
Et enfin, au nom de l’identité européenne, ne risquons-nous pas d’éliminer tout ce qui ne correspond pas à un modèle ?
J’aimerais revenir encore une fois sur les textes proposés dans la liste des sites retenus, mais je souhaite surtout mettre face à face les fondements supposés de ce label et le fait de travailler par ailleurs sur un itinéraire des Roms.
Les Roms des Européens ? Avec quelle identité nationale ou locale ? Et avec quel patrimoine à labelliser ? Sommes-nous là dans l’esprit des limites de la définition et dans le paradoxe ?
Je fais vraiment un métier passionnant.
Photographie extraite du film de Raymond Depardon