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"Paranoia Agent"

Publié le 08 décembre 2008 par Jb
paranoia_agent.jpg Note : 9/10
En 2004 le réalisateur de films d'animation japonais Satoshi Kon s'est essayé à une série animée de 13 épisodes d'environ 22 minutes chacun. Cette série, qui a obtenu un succès critique important, a pour titre Paranoia Agent. Je me suis enfin décidé à la visionner en DVD et je dois dire que je n'ai pas été déçu !
Le meilleur film d'animation de Satoshi Kon reste, selon moi, son premier : Perfect Blue (1997), mettant en scène une jeune chanteuse pop (comme seul le Japon sait en offrir) qui décide de tenter sa chance dans le cinéma et la télé. Sauf que tout va de travers : harcelée par un fan obsédé qui refuse de voir son idole corrompre son image, en proie à de gros troubles de la personnalité qui l'amènent à la frontière de la paranoïa et de la psychose schizophrénique, Mima symbolise le "pétage de plombs" des starlettes surmédiatisées à qui tout arrive trop tôt et trop vite (dans la vraie vie : confer Britney Spears !).
Après cette réussite totale qu'est Perfect Blue, Kon réalise Millennium Actress (2002), un film poétique et nostalgique qui reprend cette thématique de la confusion entre rêve et réalité (sans le croisement avec l'enquête policière et la violence), puis Tokyo Godfathers (2003) qui rompt avec ces leitmotive et livre une intrigue plus décalée et satirique, finalement plus "conventionnelle".
Avec Paranoia Agent, Satoshi Kon renoue à l'évidence avec l'univers de Perfect Blue. En effet les grands schémas structurants sont tous présents : 1/ l'adulation populaire ("de masse" allais-je dire) pour des êtres ou des objets de la pop culture (ici : la petite peluche tellement kawaï Maromi, sortie de l'imagination de la jeune Tsukiko Sagi) ; 2/ l'intrigue policière qui sème le doute et finit par égarer le spectateur (ici : Tsukiko est agressée par "le garçon à la batte", un ado en rollers qui fracasse le crâne de ses victimes avec une batte de baseball tordue. Cette agression initiale n'est que le début d'une longue série mais le coupable est-il celui qu'on croit ?) ; 3/ la réflexion quasi-clinique autour des troubles mentaux divers et variés (dépression, paranoïa, schizophrénie, hallucination et délire, violence physique, sadisme, meurtre, suicide…) qui finissent par détruire psychiquement les êtres en déformant totalement leur perception de la réalité.
Au fil de ces 13 histoires, la maîtrise dans le traitement du sujet saute aux yeux : tout en proposant des épisodes assez variés et différents les uns des autres (dont certains d'ailleurs n'ont plus rien de "réalistes" et délirent vers la parodie d'heroïc fantasy), Kon parvient néanmoins à maintenir une unité, une cohérence et un fil directeur qui font bel et bien de Paranoia Agent une série à suites. Le challenge n'était pas facile à relever, d'ailleurs certaines séquences sont à la limite du juste équilibre, pourtant l'intrigue finit toujours par retomber sur ses pattes et jamais le lien n'est rompu.
Sur grand comme sur petit écran, Satoshi Kon excelle ainsi à mettre en scène une cartographie des maladies mentales contemporaines, de la plus légère à la plus grave, mais aussi à creuser et représenter les grands archétypes (comme dirait Jung) de l'esprit humain. Se croisent alors des pathologies très ancrées dans l'époque contemporaine (dues au stress et au rythme de vie toujours plus rapide, à la médiatisation, à l'emprise des technologies…) et les éternelles structures psychiques conscientes et inconscientes (le besoin d'être aimé et reconnu, le besoin de s'inventer des mondes et/ou des personnalités alternatifs, le besoin d'exprimer sa violence malgré la répression des pulsions par la civilisation…).
Il est du reste très singulier que le choix de concentrer toutes ces réflexions et ambiguïtés se soit porté sur le personnage de Tsukiko, jeune fille parallèlement créative et introvertie, et sur sa créature, la peluche Maromi, déclinée dans toutes les couleurs de l’arc-en-ciel du merchandising et devenue icône populaire.
Le glissement progressif de ces personnages (a priori complètement inoffensifs, purs et innocents) vers une dimension beaucoup plus trouble, voire carrément malfaisante, constitue à mon avis la réussite majeure de Paranoia Agent. Kon évite le manichéisme et les simplismes (les gentils sont toujours gentils, les méchants sont toujours méchants), il procure au spectateur un sentiment d’ébranlement et de flottement, l’amenant à s’interroger et remettre en cause sa propre identité.
Une énième œuvre qui prouve, s’il en était encore besoin, à quel point le Japon est à la pointe et original pour tout ce qui touche à l’animation.

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