Le pere noel est vraiment une ordure

Publié le 08 décembre 2008 par Lalouve

Voilà c’est bientôt Noël...

Je sais pas vous, moi c’est une période qui m’angoisse. Et particulièrement en ce moment.

Je ne suis pas catholique, donc le sens religieux de la fête m’échappe complètement (pour ne pas dire plus).

Il me reste donc "la tradition" - notion avec laquelle je ne suis pas complètement "à l’aise".

"La culture".

Bof.

Il me restait, à une époque, la famille, les retrouvailles familiales, ce qu’on appelle le bonheur d’être en famille.

Hélas, comme pour nombre d’entre nous, de ce côté, ce n’est pas la joie - entre les décès, les divorces, les maladies, les engueulades, l’éloignement, les problèmes des uns et des autres... Sans compter que, comme vous le savez peut être vous mêmes, depuis mai 2007, certaines relations se sont considérablement dégradées depuis que les uns ont voté Sarkozy et les autres... pas...

Le cousin Hector ne veut plus voir la grand-mère Hortense, la nièce Gudule part en vacances dans la famille de son mari, les enfants de Michèle sont chez leur père cette année, l’Oncle Albert est mort il y a 15 jours, Jean Paul et Marie seraient bien venus, eux, mais "tu comprends, il faut faire 600 km avec 3 gosses depuis que Jean Paul a du déménager pour son boulot", et nous ,et bien nous , dans notre 3 pièces de 50 m2, on ne peut pas les loger, bref, ils n’ont pas les moyens ("est ce que ce ne serait pas plus simple que vous veniez vous?") - et nous non plus...

"On laisse tomber alors? L’année prochaine?..."

Bon...Ok, on laisse tomber.

La dernière chose que je vois pour me motiver, ce sont les enfants, pour qui Noël, c’est... le Père Noël, et sa hotte de cadeaux, le sapin etc.

Ça, ça va. C’est vrai , c’est plaisant. Ils sont tout excités, leurs grands yeux brillent, on a du mal à les tenir en place...Il y a toute la préparation, les boules, les guirlandes, les dessins sur les vitres, les chansons, la fameuse lettre au Père Noël etc...

Seulement voilà, moi ; ça m’angoisse à mort. Et cette année, allez savoir pourquoi, ça m’angoisse encore plus.

Je pense à ma bourse. Je regarde mon compte bancaire.Je fais une fixation sur les dépenses. Ce que va coûter la "bonne bouffe" (même revue à la baisse) ; ce que vont coûter les cadeaux... Je suis frappée par le contraste saisissant entre la platitude ladite bourse (y’a que les impôts des riches et nos salaires qui ont diminué cette année me semble...), et le remplissage des vitrines, la débauche d’appels à la grand’ messe annuelle de la (sur)consommation...

Une énorme boule est en train de cheminer de mon estomac vers ma gorge.

Alors, donc, il n’y aura plus de réunion de famille - c’est la merde depuis que le patriarche est mort, en gros... - bon. (C’est quand même triste, même si une année sur deux, la tante Alberte s’engueulait copieusement avec tous ses frères et sœurs, et que ça tournait à la séance de psychanalyse collective...En fait, ça a du toujours être comme ça, même du vivant du grand-père, sauf que j’étais enfant et je ne le voyais pas.)

Revenons-en aux enfants. Aux vitrines. Aux "courses de Noël". (Rien que le mot m"angoisse dites donc...)

Je ne peux pas m’empêcher de mesurer ce que représentent ces achats : un diktat du système, un appel pressant de la société de consommation à remplir des poches (pas les nôtres) déjà atrocement garnies, en pleien crise du capitalisme, la futilité de la possession de ces quelques trucs pour être plus beau, plus fort, plus séduisant, plus quoi encore? Plus heureux?

Non. Bien sûr.

Inévitablement, je vois le fossé immense entre toutes celles et ceux qui n’ont rien, n’auront rien, et les "autres", que ces autres soient comme moi, (qu’ils peuvent encore un peu) ou qu’ils soient ceux qui ne comptent qu’en milliers d’euros.

Mais pourquoi je flippe comme ça, bon sang de bois? J’ai (encore) un travail et un bon salaire pourtant. J’ai comme tout le monde (moins que certains) des difficultés de fin de mois, mais bon, franchement, ça va...

Je dois bien me l’avouer finalement, l’effet "armée de réserve" et "c’est la ccccrrriisssse" est en train de jouer sur moi aussi, damned !

- Noël est donc, surtout cette année, une période qui me rappelle salement combien j’ai peur de devenir.... pauvre.

Je dis bien, peur de devenir pauvre.

Pas "peur de devenir ouvrière", ou "chômeur" mais peur de devenir pauvre.

Peur de crever la dalle, d’avoir froid, de voir mes gosses chialer de misère. Peur de ne plus pouvoir payer mon loyer...(Ceci pour dire que je ne confonds pas pauvre et prolétaire, mais cependant, vous remarquerez comme moi que, bizarrement, il n’y a pas de pauvres chez les bourgeois...)

Pourquoi avoir peur comme ça (surtout si on tient compte du fait que je n’ai jamais rien tenté non plus pour devenir riche, et que ça ne me traverse même pas l’esprit)?

Je crois que c’est parce que la pauvreté , son souvenir, sa trace, se transmettent de façon quasi héréditaire.

Je pense que c’est ainsi parce que mon père était pauvre.

Moi non, mais lui, oui. Et bien en plus.

Il nous a donc refilé le virus de l’angoisse de la pauvreté.

Son seul objectif dans sa vie, ça a été de nous mettre à l’abri. A l’abri du besoin. Den e plus être "un pauvre".

Il y a consacré l’essentiel de ses forces et de son énergie depuis qu’il a eu 9 ans, à peu près.

Complètement raté.

Après avoir cru dans la Trinité de la méritocratie républicaine (qui en fait ,n’avait pas marché, puisque les sacrifices qu’il a du consentir pour échapper à un destin tout tracé d’ouvrier agricole étaient sans proportion avec ceux que devaient fournir les "non-pauvres", et aussi, qu’ils ont immédiatement hypothéqué sa construction psychique de futur adulte) ; après avoir investi ses forces dans la construction d’une notabilité de faux bourgeois (ah, la revanche sociale du fils de paysans) , il a eu foi dans le Saint Graal du marché, et il a joué tout ce qu’il avait acquis en travaillant (et surtout ce qu’il n’avait pas) en Bourse.

C’est con.

Encore 10 ans, et c’était la quille dans des conditions potables.

Je ne vous raconte pas l ’histoire en détails, au fond, elle est très triste.

Parce qu’elle est très" bête".

Il a tout perdu. On lui a tout pris.

Tout. Plus un sou. Plus de maison. Plus RIEN.

J’en ai déduit qu’on reste un pauvre toute sa vie, même si on se frotte à la "bourgeoisie", même si on acquiert un certain vernis. Même si on peut gagner plus que bien sa vie, au prix d’innombrables efforts, sacrifices...

- Une fille qui était en fac avec moi, enfant, elle, de grands bourgeois, et d’une longue lignée de "Cachemire-Guerlain-Collier de perles", me l’avait déjà fait remarquer, en me disant perfidement un jour ,après avoir rencontré mon père justement, que "waow, je m’en tirais bien"... - Traduction : "Pour quelqu’un qui, manifestement, a la tare de ne pas être de notre classe, tu n’es pas trop nulle, tu es quand même avec nous !".

J’ai laissé pissé, j’avais pris l’habitude qu’on se foute de la gueule de mon père chez les vrais bourges parce qu’il portait des chaussettes blanches dans ses chaussures de ville. (Ben oui - vous savez pas? Ça fait partie des codes ! Ça ne se fait pas. C’est un truc de "plouc". Comme les chaussettes "Mickey". Ou la chaussette de sport en grosse bouclette. La chaussette signe votre appartenance sociale, votre appartenance de classe même. Comme la chaussure d’ailleurs. Si vous avez la chaussure, et pas la chaussette, z’êtes mort).

Bref.

Alors, on est pauvre toute sa vie? Ou plutôt, on reste un pauvre (ne serait ce que dans sa tête) toute sa vie? Moi je le pense... Mais il faut nuancer...

Le tout dépend de comment on le vit, comment on l’a vécu. Comment on l’analyse, comment on le transcende.

Comment on affronte cet état de fait : être pauvre?

Et ne vous méprenez pas, je ne parle pas de quelqu’un qui gagne 1.500 euros par mois, je parle bien de vraie pauvreté.

Je parle de ce que mon père me hurlait dans ses délires quand on ne travaillait pas assez bien à l’école, mes frères et moi, et qu’il nous disait qu’on était vraiment comme des cochons à qui on donnait de la confiture...

Je parle de porter les mêmes godasses pendant des années. Je parle de ne pouvoir continuer des études qu’en acceptant de partir, à 8 ans, à l’école militaire, à 500 km de chez soi, et de ne revenir à la maison qu’à l’été et à Noël parfois, justement. Je parle de ne pas toujours pouvoir manger à sa faim. De ne pas pouvoir se chauffer. D’être privé, bien sur, du superflu mais souvent du nécessaire. De devoir toujours faire dix fois plus d’efforts que les autres...De ne pas partir en vacances...Évidemment.

"LA" pauvreté, quoi.

Pourtant, en vieillissant, comme on dit, j’ai rencontré des pauvres, comme lui donc. J’en ai rencontré de plus en plus. Des "anciens pauvres", des toujours pauvres.

Mais ils n’avaient pas forcément la même vie que la sienne pourtant.

Certains avaient payé chèrement le fait de pouvoir conserver ce qu’ils avaient acquis par leur travail (travail et abnégation en général impressionnants...on ne passe pas impunément de la pauvreté au confort matériel... Les contraintes que l’individu s’est imposées, affectivement, psychiquement, physiquement... le marquent à vie et souvent , l’handicapent).

Mais "au moins" l’avaient ils conservé, ce relatif confort.

A cette occasion, certains renient ce qu’ils furent, d’où ils viennent.Ils gomment avec acharnement tout ce qui pourrait leur rappeler leur passé de pauvres.

D’autres ont conservé une fidélité à leurs racines, ils sont "à l’aise" avec leurs origines.

Pourquoi les uns se vendent au diable capitaliste et pas les autres? Dur de le comprendre ,au fond, et d’en tirer une règle absolue...

Certains, aussi, ont "mal tourné", comme on dit. Criminalité, prison, etc.

D’autres, encore, ont choisi rapidement de ne pas entrer dans ce jeu de dupes.

De refuser cette logique hypocrite et marchande qui transforme l’individu en être apeuré et égoïste.

Ils ont choisi de rester pauvres, ou plus exactement, ils ont choisi de refuser de courir après cette chimère du "devenir riches". Parmi eux, beaucoup ont choisi en même temps, le combat communiste. Et ce n’est pas un hasard.

Retournant contre leurs expéditeurs les regards compatissants ou méprisants dont ils étaient l’objet à l’école, dans le tramway, ils ont décidé, réfléchi, compris, que les esclaves, c’étaient les autres.

Tous ces prolétaires qui voulaient "péter plus haut que leur cul" et qui refusaient le combat contre la vraie racine du mal.

Ils ont décidé qu’ils étaient plus libres, et plus beaux aussi, avec leur pantalon acheté 3 francs chez Emmaüs, que tous les larbins aux chaussures impeccables qui trimaient et s’endettaient pour paraître ne pas être ce qu’ils étaient.

Ils ont décidé qu’apprendre à comprendre et à aimer une femme était un bien plus beau présent pour elle qu’une bague de diamants. Ils ont choisi de transmettre (au moins d’essayer) à leurs enfants d’autres valeurs que la peur , l’angoisse, la course au haricot.

Ils ne sont pas dans une démarche utopique de "vie en autarcie" ou de "décroissance " etc. Non. Ils sont pour prendre ce qu’ils peuvent prendre sans se sentir diminués de ce qu’ils n’ont pas. Ils sont pour le recul, la distance, ils ont choisi "être" plutôt "qu’avoir".

Pas par abnégation ni renoncement catho, ni ascétisme... Non.

Ils ont fait ce choix pour préserver leur liberté et donc, leurs forces, dans la bataille à livrer contre le capitalisme.

Eux ils ont choisi la révolte.Et la forme de liberté qui va nécessairement avec.

Et dans leurs regards par rapport aux "pauvres comme eux" qui ont choisi ou qui subissent la voie de la soumission aux dogmes capitalistes, je vois plus de compassion que de haine.

J’entends encore plus de révolte contre le système de voir "leurs frères de galère" se suicider à petit feu pour de l’argent à avoir ou qu’on n’a pas.

Eux, ils hurlent quand ils voient à la télé un reportage sur ce ménage de deux enfants, qui vient de s’endetter sur 25 ans pour s’acheter un pavillon grâce au "prêt à taux zéro" mais qui utilise l’argent économisé avec ces prêts pour se payer "en plus" une cusine préfabriquée toute neuve et sans doute assez chère.

Ils trouvent ça dégueulasse qu’on fasse croire aux gens qu’ils sont "propriétaires" alors que c’est la banque qui l’est tant que ton crédit n’est pas payé.

Seulement voilà, une telle force de caractère, une telle capacité d’analyse, n’est pas donnée à tout le monde. Une telle vision des choses n’est pas possible pour tout le monde. Ce n’est pas si simple. Il y a aussi sans doute une question d’éduication, et peut être que celles et ceux qui ont eu "la chance d’avoir des parents communistes" sont plus armés pour cela.

J’ai compris récemment que je devais plaindre mon père et tous les pauvres, prolétaires, paysans, ouvriers.... comme lui, qui avaient subi, qui subissaient encore, non seulement , l’injustice de la pauvreté, mais encore la honte d’être pauvres.

Celles et ceux qui, pour des tas de raisons, (ce n’est pas à moi de juger), vivaient comme une punition le fait d’être nés pauvres. Et qui étaient prêts à toutes les bassesses, à toutes les lâchetés, à toutes les stupidités, à tous les crimes, parfois, pour ne plus l’être, pour l’être moins.

Les plaindre oui, c’ets à dire "prendre conscience de ", mais pas seulement. Se battre aussi. Se révolter. Amener tous ces gens à adopter un autre regard. Une autre façon de réfléchir, de vivre.

Ce n’est pas normal, ni juste que , du fait de la pauvreté, réelle ou redoutée, ou agitée comme une menace, la majorité des êtres humains soit anéantie ou maintenue dans les fers.

Ce n’est pas normal ni juste que cette pauvreté existe exclusivement parce que quelques milliers d’hommes sur Terre courent après un fric dont ils n’ont absolument pas besoin pour vivre.

Et Noël dans tout ça me direz-vous?

Et bien à chacun ses miracles.

En réfléchissant à tout cela, il apparaît que la vie est un combat de chaque instant, à commencer contre soi même.

Moi, pour cette année qui finit, et celle qui débute, j’ai décidé d’intensifier mon combat contre moi-même. J’ai décidé de ne pas laisser la peur de la pauvreté guider mes émotions ni ma vie. J’ai décidé de ne pas céder au chantage des patrons et des propriétaires.

D’un point de vue pratique, les enfants, les parents, les amis, auront des cadeaux, mais ce seront des cadeaux inhabituels. Récupérés, d’occasion. On va faire un gros sac avec tous les bons joujoux, pour le donner au Secours Populaire.

On va essayer de faire en sorte d’adopter de nouvelles habitudes.

Et surtout, on va continuer de se battre, se battre pour changer de monde.

Parce qu’une boule pendue à un sapin, c’est plus normal qu’un homme pendu à un plafond.

A cause du fric.