Le nouveau PS est arrivé ! Sa nouvelle direction du moins, à la fois « résolument de gauche » et « rénovée », c’est-à-dire dans le langage du socialisme français contemporain à la fois rajeunie (moins de quarante ans), féminisée (la parité) et « diversifiée » (du point de vue ethno-racial pour parler comme les Américains). Cette nouvelle direction du PS a donc une apparence : une liste de noms et de visages dont beaucoup sont inconnus du grand public. Mais elle a aussi une réalité : celle d’un aréopage de professionnels de la profession politique, vieux routiers des combines de courants et de congrès, « jeunes » anciens responsables des mouvements de jeunesse du parti et « rénovateurs » permanents passés de courant en courant. Il s’agit donc davantage d’une rénovation de façade que d’un nouveau cours de l’histoire socialiste. On verra certes à l’usage mais l’entame n’est guère convaincante ne serait-ce qu’au regard des objectifs annoncés.
Ce n’est pas tant d’ailleurs que l’exclusion de Ségolène Royal et de ses amis de la direction y soit pour grand-chose. Les contours de l’équipe que l’on a vu poindre derrière elle pendant le congrès de Reims ne sont finalement pas très différents de celle qui vient de s’installer rue de Solferino. La manière aurait certainement été autre et l’ouverture du parti à de nouveaux venus sans doute plus large. Mais ce n’est pas l’essentiel. La coupure en deux du PS à l’occasion de la désignation de son nouveau chef n’étant de toute manière pas définitive puisque certains des soutiens de Royal ont d’ores et déjà montré qu’ils goûtaient peu la situation de minoritaire du parti. A l’exemple de ces grands élus qui tentaient désespérément de ne pas insulter l’avenir tandis que certains de leurs petits camarades jetaient imprudemment de l’huile judiciaire sur les braises de la division.
La composition de la nouvelle équipe dirigeante témoigne d’un mal plus profond du socialisme français de ce début de siècle : le poids démesuré pris par les élus dans le parti. Non tant que l’on puisse se satisfaire d’un parti sans élus ou qu’il ne faille pas reconnaître leur dévouement et leur compétence. Il s’agit plutôt ici de la conception du parti qu’entraîne chez eux un contrôle aussi massif et sans contrepoids militant notamment. Les élus socialistes sont devenus, suite à l’élargissement de la décentralisation et à leurs victoires répétées aux élections locales, non seulement le cœur du PS mais surtout sa masse de manœuvre principale. Ce sont eux, directement ou par l’intermédiaire de leurs entourages qui font désormais toute la décision. Et leur intérêt premier, compréhensible, afin de préserver le système qui les a faits rois, est de ne surtout pas ouvrir le parti ni à de nouveaux adhérents (c’est le point principal d’achoppement avec Ségolène Royal) ni à de nouvelles pratiques. Le système devant rester celui qui permet sa stricte reproduction, et au passage de ne pas menacer le cumul des mandats, à l’origine d’un statut social que leur refuse la loi : cooptation, corporatisme et long apprentissage comme voie unique de formation. La quasi-totalité des « nouveaux » visages que l’on nous présente aujourd’hui, qu’ils soient jeunes, féminins ou « issus de la diversité » – voire les trois à la fois comme c’est souvent le cas du fait de l’obligation paritaire –, sont passés par ce système. Et ils sont tous prêts à le reproduire dès lors qu’il consolide leur nouveau pouvoir. On peut en déceler les traces à chaque étage du nouvel édifice bâti par Martine Aubry.
Au premier rang duquel figurent d’ailleurs les « anciens ». Déjà élus, déjà ministres, déjà responsables nationaux du parti, ils constituent la colonne vertébrale de cette équipe très expérimentée. On y distingue d’abord un « noyau dur » composé à la fois des « architectes » de la victoire d’Aubry : son fidèle lieutenant François Lamy (conseiller politique et en charge de la communication) et le duo qui l’a remise en selle au sein du parti en inventant les « reconstructeurs » pour faire pièce à la fois à Ségolène Royal et à Bertrand Delanoë sous prétexte de « déprésidentialiser » le congrès de Reims. En fait pour permettre à leur champion respectif, Laurent Fabius pour Claude Bartolone, nommé aux relations extérieures, et Dominique Strauss-Kahn pour Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’Europe et à l’international, d’attendre tranquillement 2011-2012 que le ciel de la candidature se dégage. Noyau dur auquel il convient d’ajouter Arnaud Montebourg (rénovation), spécialiste ès-qualité de la rénovation justement, passé en quelques années par toutes les combinaisons possibles, Harlem Désir (chargé de la coordination), bras droit de Bertrand Delanoë et, bien sûr, le nouveau héraut de la gauche du parti, Benoît Hamon, qui retrouve sa fonction de porte-parole mais désormais en tant que responsable principal du parti derrière Martine Aubry. Ces six-là sont tous, malgré leurs différences de parcours et leurs âges respectifs, de vieux routiers de la politique et du parti, rompus aux manœuvres d’appareil. Ils se taillent la part du lion avec les responsabilités de premier plan. Ce sont d’abord eux les « nouveaux » visages du PS.
Parmi les « anciens », on trouve aussi des personnalités moins exposées mais tout aussi expérimentées, chacune dans son domaine de compétence. Ce sont les « cadres » en quelque sorte de cette nouvelle équipe. Ils viennent de plusieurs horizons : des anciens collègues de gouvernement de Martine Aubry tels que Michel Sapin (économie), Elisabeth Guigou (réforme de l’Etat et collectivités territoriales), Marylise Lebranchu (« forum des territoires »), ou Christian Paul (« laboratoire des idées ») ; des députés déjà connus pour la qualité de leur travail parlementaire, à l’image d’André Vallini (Justice), de Germinal Peiro (ruralité et mer), de Philippe Martin (échanges et pratiques des territoires) ou de Didier Migaud (finances et fiscalité) ; ainsi que des habitués de longue date du secrétariat national, véritables piliers de la maison socialiste, tels qu’Alain Bergounioux (fondations et revues) ou Alain Vidalies (travail et emploi).
On notera aussi, entre expérience et nouveauté, l’importante présence de femmes à la fois encore « jeunes » (quarantenaires…) mais déjà élues depuis des années, dont le parcours est le témoignage direct des effets de la parité sur le PS puisqu’elles ont pu s’installer, quelque soit leur courant d’appartenance, dans le paysage partisan en occupant progressivement telle ou telle responsabilité nationale : Marisol Touraine (sécurité), Laurence Rossignol (environnement), Sylvie Robert (culture), Marie-Pierre de la Gontrie (libertés publiques et audiovisuel), Laurence Dumont (formation), Lucile Schmid (« laboratoire d’idées ») ou encore Clotilde Valter (défense).
Viennent ensuite les véritables « petits nouveaux » de l’équipe. Ce sont des trentenaires (parfois à peine) qui accèdent pour la première fois à une responsabilité nationale importante en faisant pleinement partie de la majorité du parti. Ils ont deux caractéristiques principales. Ils sont tous issus du même moule : le syndicalisme étudiant proche du parti (l’UNEF) ou son organisation de jeunesse, le MJS ; et ils sont tous d’ores et déjà des professionnels de la politique ainsi qu’en témoignent des CV entièrement bâtis sur des fonctions successives dans l’entourage d’élus avant d’être eux-mêmes élus… Ils s’inscrivent ainsi dans le sillage de celui qui est à la fois leur chef et leur modèle, Benoît Hamon. On mentionnera dans ce groupe conséquent : Pouria Amirshahi (droits de l’Homme) et Bruno Julliard (éducation) qui ont été présidents de l’UNEF ; ainsi que de Charlotte Brun (personnes âgées, handicap et dépendances), Razzy Hammadi (service public) et Régis Juanico (trésorerie) qui ont dirigé le MJS ; ou encore certains cadres de ces mouvements de jeunesse comme Olivier Dussopt (vice-président du « forum des territoires » ou Mireille le Corre (santé et sécurité sociale).
Des personnalités encore « jeunes » mais néanmoins déjà expérimentées, venus d’autres courants de la majorité, complètent ce véritable casting de la rénovation, à l’image des fabiusiens Guillaume Bachelay (industrie et NTIC) ou Pascale Boistard (organisation et adhésions), des proches de Cambadélis tels que Sandrine Mazetier (immigration) ou Christophe Borgel (élections, vie des fédérations) ou encore d’Henri Emmanuelli comme Emmanuel Maurel (université permanente et d’été). Ils devront veiller tout particulièrement à ce que la rénovation par l’âge ne passe pas uniquement par le canal Hamon.
On trouve enfin dans cette nouvelle direction du PS quelques personnalités qui n’ont pas un profil aussi classique que ceux évoqués précédemment : responsables associatifs (Bertrand Monthubert, président de « Sauvons la recherche » est nommé à l’enseignement supérieur et à la recherche, Sibeth N’Diaye, « militante mutualiste » s’occupera de la petite enfance) ou étrangers (Ziat Gurmaï, socialiste hongroise responsable du PSE femmes nommée aux droits des femmes). On soulignera simplement qu’ils étaient déjà engagés de longue date auprès du PS.
Au PS, la sclérose est devenue telle (un parti recroquevillé sur lui-même, à l’effectif militant particulièrement faible, composé principalement d’élus et de leurs affidés, très majoritairement masculin, âgé et « blanc », à la sociologie ancrée dans le secteur public et parmi les CSP moyennes et supérieures) que la seule voie de rénovation envisageable a finalement été de s’assurer de la reproduction de son système de pouvoir à travers le triptyque médiatique mais illusoire : « jeunesse, parité, diversité ». Seule voie à même de faire émerger des « nouveaux » conformes aux besoins de l’organisation, en clair qui respecteront par leurs parcours, leurs pratiques et leurs comportements, des habitudes dictées par les « anciens », ceux précisément qui font leur carrière. Le renouvellement par l’ouverture à une « société civile » qui ne soit pas a priori socialiste ou par l’élargissement socioprofessionnel (vers des salariés du privé ou dont la politique n’est pas le métier…) par exemple, et surtout par les idées ; ce renouvellement-là, on l’attend toujours de la part du PS et on risque de l’attendre encore un bon moment.
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