Anne-Marie Filaire, après ses photos du Mur (Enfermement, dit-elle; apartheid, annexion ou honte, disent d’autres), est partie à Phnom Penh (à la galerie Eric Dupont jusqu’au 19 décembre), elle est passée d’une plaie ouverte à une cicatrice, d’un conflit colonial récurrent aux séquelles d’une guerre civile, mais surtout elle est passée d’un paysage minéral, sec, lumineux à une ville tropicale, humide, embrumée. Elle qui vient des paysages se retrouve en ville, et pas n’importe quelle ville : une ville meurtrie, détruite, vidée de ses habitants, martyrisée et qui se repeuple, se rebâtit avec l’énergie des survivants.
Peu d’êtres humains dans ses photos, ils restent à l’arrière-plan, dans l’ombre. On ne voit que leurs traces, pots, bidons, ordures.
Ce tas d’ordures est un tableau, une nature morte, où les morceaux de tissus pendouillant sont comme des touches, des empreintes, des marques humaines. Le seul portrait de l’exposition paraît banal malgré son élégance à côté de ces compositions décaties, et pourtant si vivantes. Quelque chose ici dérange plus qu’ailleurs, non point tant le sujet, mais plutôt le rendu, la forme, la photo elle-même. Et cette sensation est bien plus forte, plus essentielle qu’un pathos face aux souffrances.Michel Poivert s’entretiendra avec Anne-Marie Filaire à la Maison Européenne de la Photographie le 7 janvier à 18h.
Photos courtoisie de la galerie.