STÉPHANE BERN CROQUE LE GRATIN
Esprit Grand Siècle
Qu’est-ce que l’esprit
Grand Siècle aujourd’hui? C’est la question que se posent chaque année
les membres du Jury du Prix Grand-Siècle LaurentPerrier créé en 1965
par Bernard de Nonancourt. Depuis quarante-quatre ans, le Prix Grand
Siècle baptisé du nom de la cuvée de la maison (et doté de trente mille
euros) récompense des personnalités exemplaires dans leur domaine et
qui rayonnent à travers le monde. Pour l’édition 2008, les vingt
membres du jury – parmi lesquels Hélène Carrère d’ Encausse, Anny
Duperey, Didier Van Cauwelaert, Florian Zeller, Jean-Michel Wilmotte,
Françoise Chandernagor, Franz-Olivier Giesbert – n’ont pas eu loin à
chercher. Ils ont voulu honorer la présidente sortante du jury, Jeanne
Moreau. Lors d’une soirée la semaine dernière au pavillon d’
Armenonville, s’est déroulée la remise du Prix Grand Siècle dont
l’objectif est de «ressusciter l’esprit festif et munificent de la cour
du Roi-Soleil». Robes du soir, smoking de rigueur, service à la
française sur musique de Lully entrecoupée des chansons de Jeanne
Moreau, voilà pour le décor. Les listes d’invités ont visiblement été
rajeunies
même si la chanson
J’ai la mémoire qui flanche
nous ferait presque regretter les dinosaures
d’autrefois.
Mais attention, l’esprit Grand Siècle n’est pas le «m’-astu- vu» bling bling, ni l’indécent
étalage
mercantile des soirées commerciales.
La soirée a gardé le parfum désuet qui fait son charme.
D’ailleurs, quelle assemblée peut aujourd’hui supporter vingt minutes
d’hommage rendu par Jérôme Clément à la divine Jeanne Moreau sans
prétexter une cigarette à fumer dehors? Silence religieux dans les
rangs où se mélangeaient le Prix Goncourt Atiq Rahimi, la princesse
Chantal de France, Nana Mouskouri, le prince Laurent de Belgique et les
cinéastes Pierre Schoendorffer et François Ozon tandis que Dominique
Besnehard avait abandonné sa Ségolène pour jouer les chevaliers
servants de la récipiendaire. Tout se passa bien jusqu’à ce que l’on
perçoive un rien d’agacement chez la grande dame iconoclaste, non
qu’elle boudât son bonheur de succéder à Lord Mountbatten,
Rostropovitch, Lino Ventura, Jean Marais, Charles Trenet, ou Simone
Veil, mais elle ne s’attendait pas à ce que la nouvelle présidente du
jury, Claudie Haigneré, rajoute un couplet sur ses mérites. Chacun
supposa qu’à force d’avoir fréquenté les étoiles, les retrouvailles de
l’astronaute avec cette star du cinéma laissaient supposer qu’elle
n’était pas redescendue sur terre. A moins que ce ne fût le champagne!
Quant à Jeanne Moreau, elle chut littéralement sous le poids des fleurs
qui achevaient
de l’ensevelir. Elle s’éclipsa au plus vite, fidèle au portrait que
brossa son ami Jean-Claude Brialy. «Jeanne est l’image de la vie,
intelligente, solitaire, elle est fille
de la terre.»
Stéphane Bern
www.tdg.ch du 08.12.2008