La vengeance du pied fourchu : 35

Publié le 08 décembre 2008 par Porky

Martin n’en revenait pas : il se retrouvait devant la cabane d’Asphodèle, étendu par terre, à l’endroit exact où… Sa mémoire refusait d’aller plus loin. Il se souvenait de la montée avec Missia vers le repaire de la sorcière, de la découverte du collier… et puis plus rien. Simplement l’impression extrêmement vague que Missia avait dû lui serrer la main et qu’il s’était retrouvé sur la plate-forme, en compagnie de Philippe et Arnaud, tous trois prisonniers du rêve du Pied Fourchu.

Il se releva péniblement. La tête lui tournait un peu mais ce n’était pas important, ce malaise allait sans doute rapidement disparaître. Retrouver Missia, et les autres. C’était cela à présent qui comptait. Il fit quelques pas vers le tas de pierres noires, celles dont s’était servie Asphodèle pour conjurer l’esprit du Rêveur de l’Enfer. Rien n’avait changé dans leur disposition. Il frissonna ; un petit vent frais balayait l’esplanade et si la journée allait être belle, ce matin n’avait pour l’instant rien de bien enchanteur dans sa lumière blafarde et morose.

Alors qu’il allait emprunter le chemin qui descendait vers la vallée, il entendit non loin de lui un bêlement. Il se tourna du côté d’où venait le bruit. Surgissant de derrière un rocher, il vit apparaître un agneau qui, le voyant, s’arrêta net et le regarda avec curiosité. Puis il bêla de nouveau et s’approcha lentement du jeune homme. Stupéfait, Martin reconnut un des agneaux de son troupeau à la marque noire qu’il portait à l’oreille gauche. Qu’est-ce que cette bestiole faisait ici ? Il avait dû s’échapper de son enclos… A moins que… Martin réfléchissait à toute vitesse : il n’avait pas eu le temps de conduire les moutons à l’alpage ; la fausse Missia l’avait entraîné la nuit même de son départ vers les cimes obscures de la montagne, là où il était tombé dans son piège. Qui avait bien pu se charger de mener le troupeau dans son pâturage d’été ?

L’agneau le regardait toujours, d’un air aussi bête que confiant. Puis il fit demi-tour et partit en direction du sommet. Sans hésiter, Martin lui emboita le pas. Il fallait résoudre ce mystère, savoir qui exactement s’était emparé de son rôle de berger. Alors qu’il venait de franchir un passage dangereux et s’était arrêté pour reprendre sa respiration, il sentit tout à coup les battements de son cœur s’emballer ; la peur et la surprise le firent reculer et il faillit tomber dans le trou qu’il venait d’éviter. Devant ses yeux se dressait sa propre silhouette ; c’était lui, c’était son visage, son corps, ses habits. L’autre le regardait fixement, presque aussi étonné que lui. Mais il fut plus prompt à se reprendre. Le bâton qu’il tenait à la main vola tout à coup dans les airs et vint frapper Martin à la tête. Il s’effondra sans un mot. En quelques enjambées, le faux Martin fut près de son sosie ; ayant récupéré son bâton, il poussa du pied le corps du jeune homme et le fit rouler au fond de la crevasse rocheuse.

Rien n’avait bougé dans la maison. Elle était toujours sombre et silencieuse, et, autant qu’ils pouvaient en juger, nul esprit malin n’avait pénétré à l’intérieur. « Je crois que l’aventure est bientôt finie, dit Sigrid en frottant son vêtement afin d’en faire disparaître les dernières traces de l’enfer. Il ne nous reste plus grand-chose à faire. » « Sinon remettre un peu d’ordre dans la pagaille qu’il a semée », répliqua Louis d’une voix enjouée. Ils s’étaient dirigés vers l’escalier et le gravissaient lentement. « J’avoue que je prendrai bien un peu de repos, murmura Sigrid. Ces enveloppes humaines ne sont guère résistantes. » Ils étaient parvenus sur le palier du premier étage. Ils se dirigèrent vers la chambre du fond. « Comment avertir les Protecteurs que leur mission est terminée ? » demanda Sigrid. Louis se baissa. Aucune lumière verte ne filtrait sous la porte ou par le trou de la serrure. « Ils l’ont su bien avant que nous le leur disions, répondit-il. Ils sont partis. A nous de jouer, à présent. »

La chambre était effectivement plongée dans l’obscurité. Nul visage vert n’entourait le lit où reposaient Catherine et Marie. Dans le fauteuil, Rosette dormait paisiblement, la tête appuyée sur son épaule droite. « Encore un effort, dit Louis. Nous devons les ramener chez elles, effacer toute trace de leur aventure de leur mémoire et les rendre invulnérables aux tentatives de Satan. » « Et les autres ? » s’enquit Sigrid qui avait posé sa main sur le front de Marie, puis caressait à présent celui de Catherine. Le Pied Fourchu ne leur avait effectivement joué aucun tour de sa façon : chaque corps était habité de son esprit et tout était redevenu normal. « Plus tard, dit Louis. Il nous faudra agir prudemment avec eux, car ils ne seront pas endormis comme elles. Pour l’instant, ils ne risquent rien, l’ennemi est vaincu. » Sigrid hocha lentement la tête. « J’ai un mauvais pressentiment, chuchota-t-elle. La victoire a été trop rapide, trop facile. N’oublie pas qu’il reste le double de Martin et qu’il n’a pas été vaincu, lui. » « Je ne l’oublie pas, rétorqua Louis. Raison de plus pour nous dépêcher d’achever cette partie de notre travail. »

Lorsque Marie ouvrit les yeux, elle constata avec stupéfaction qu’il était grand jour, que le soleil brillait haut et clair et qu’elle était allongée toute habillée sur son lit. Elle se redressa puis se leva en maugréant. Elle se sentait parfaitement bien, à part le fait qu’elle ne se souvenait absolument pas des raisons qui l’avaient poussée à s’étendre en pleine journée sur son lit. Peut-être était-elle trop fatiguée. Ou bien un malaise. Marie n’était pas une femme très imaginative. Son domaine de prédilection était le concret, les choses matérielles et tangibles. Et si elle se fiait à l’horloge posée sur la cheminée et qui indiquait presque midi, elle avait perdu un temps précieux à se reposer alors que les tâches ménagères l’attendaient. Elle sortit de sa chambre en chantonnant, bien décidée à rattraper le temps perdu.

Catherine n’avait guère plus d’imagination que sa mère mais ses préoccupations essentielles étaient autres. A peine fut-elle réveillée que son souci premier lui revint en mémoire : le collier. Le collier avait disparu, et on ne l’avait toujours pas retrouvé. Et Philippe qui avait piqué une colère noire en apprenant la nouvelle ! Seigneur, ce qui lui était arrivé était horrible, elle allait en mourir, c’était certain. Pendant que Madame la Mairesse, totalement inconsciente de ce qui lui était arrivé, pleurnichait sur la perte de son bijou adoré, Rosette continuait de dormir tranquillement dans son lit, sa mère ayant admis une bonne fois pour toutes que sa fille était une fainéante inutile et qu’à tout prendre, il valait mieux la laisser dormir plutôt que subir ses idioties.

Au même moment, Missia, Arnaud et Philippe gravissaient la montagne en direction du repaire d’Asphodèle, espérant bien y trouver Martin…

(A suivre)