Ils sont nombreux les écrivains dont j'ai entendu parler sans jamais en lire aucune ligne (comme BUKOSWKI à l'époque, ou encore Jean d'ORMESSON). Eh bien, le mal est réparé en ce qui concerne Thomas PYNCHON. Je ne reviendrai pas sur le personnage qui se plaît à entretenir le mystère (aucune photo si ce n'est une vieille qui date de son service dans la NAVY ; aucun interview, si ce n'est un entretient audio et une apparition dans les Simpsons, mais avec un sac sur la tête...). On ne sait rien de lui, si ce n'est qu'il a écrit 5 ou 6 livres, avec une véritable volonté littéraire de produire un univers, de garder une cohérence, sans se soucier de courir après la production frénétique (comme une ANGOT ou une NOTHOMB, par exemple). Et, une fois n'est pas coutume, j'ai commencé par sa première œuvre, au titre si énigmatique : V.
Enigmatique car c'est bien là tout l'enjeu du livre pour Stencil : savoir qui se cache derrière cette lettre, depuis qu'il a retrouvé cette phrase intrigante dans le carnet de son père : « Il y a plus derrière V. et dans V. qu’aucun de nous n’a jamais soupçonné ». Serait-ce ce mystérieux pays imaginaire, Vheissu, dans lequel a séjourné l'aventurier Godolphin ? Ou ne serait-ce pas plutôt cette troublante Vera Manganèse aux multiples visages qu'on retrouve toujours aussi jeune à travers les décennies mais de plus en plus rafistolée ?
Mais reprenons depuis le début. L'histoire commence avec les aventures de Benny Profane, jocrisse de son état, et de ses compères (marins pour la plupart) la veille du nouvel an 1955. Lui n'a jamais entendu parler de V ni de Godolphin, ni de Stencil. Il se contente de vivoter avec des petits boulots de-ci de-là et des petites poupées à droite à gauche. Peut-être pas la belle vie, mais ça lui va de ne pas trop se soucier du lendemain. Il avance donc sans trop se poser de question, jusqu'au jour où il se met à la chasse aux alligators dans les égouts de Nueva-York pour gagner sa croute...
Attention, voilà une œuvre coup de poing qui ne peut laisser indifférent (à l'image du Voyage, même si le thème est autrement moins sensible ici). En premier lieu à cause de la forme : près de 700 pages (format poche) pour un premier bouquin ! Ça change de ce qu'on tente de nous vendre ici (autres temps, autres moeurs m'objectera-t-on ; mais c'était y'a même pas une cinquantaine d'années !), et qui laisse d'autant plus songeur que l'histoire est dense et les ramifications nombreuses (à tel point qu'on s'y perd parfois ; un conseil donc : lisez le d'une traite sinon vous n'en viendrez jamais à bout (vous risquez d'être rebuté d'avoir trop perdu le fil de l'histoire si vous vous amusez à reprendre de semaine en semaine...).
Première œuvre audacieuse dans laquelle on suit les destins parallèles de Benny Profane (qui jouit de l'instant présent) et de Stencil (qui est obnubilé par V, et reste dans le passé). S'il n'y avait que ça (la structure), mais l'auteur nous fait voyager, avec talent, dans le temps et dans l'espace et mêle habilement l'imaginaire à la véracité des faits historiques : si l'histoire débute aux Etats-Unis au milieu des années 50, on se retrouve très vite à la fin du XIXème siècle en Egypte en pleine crise de Fachoda, mais également en Afrique du sud-ouest au début du XXème siècle avec les précurseurs des atrocités nazies, ou encore à Malte bombardée pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais aussi à Venise avec quelques conspirateurs venezueliens...
Destins parallèles qui, comme on peut s'en douter, finiront par se croiser (ce qui est possible dans la géométrie riemanienne, qui semble être un thème abordé dans le dernier roman : A contre-jour)
On pourra, toutefois, être un peu rebuté par les phrases longues, toute proustiennes dirai-je, et la surabondance des points-virgules, qui fait qu'on se perd plus souvent qu'à son tour dans les méandres de la pensée de l'auteur... On pourra également être dérouté par le foisonnement de personnages plus ou moins secondaires mais nécessaires à la compréhension de l'histoire (ce qui est une des caractéristiques des « livres-mondes » comme savent si bien les écrire les Anglo-saxons ; qui a un peu lu de SF (fantasy) ou encore des fresques littéraires du XIXeme siecle ne devrait pas se trouver trop en difficulté). Rajouter à cela une érudition déroutante pour le commun des mortels, et un vocabulaire recherché (de jocrisse, terme qu'on n'utilise guère plus à apochérie que l'auteur n'hésite pas à forger pour faire comprendre sa vision de la vie de Benny Profane entre autres). Sans compter que ça va souvent dans tous les sens : à coté des beuveries, il est également question de chirurgie esthétique ou encore de psychanalyse dentaire...
Bref, un bouquin époustébourrifante qui marque ! Pour ma part, je n'ai plus qu'une envie : lire les suivantes !
Il en parle beaucoup mieux que moi : Nebal. Et si vous aimez la S.-F., vous devriez trouver votre bonheur parmi les bouquins qu'il chronique.