Emeline Bravo est une écrivaine que peu de gens connaissent. Alors que tout le monde connait Claude Sarraute, comme quoi la vie est mal faite. (Non j’ai dit Claude, je parle bien de la fille et non de sa talentueuse de mère, Nathalie, dont je vous conseille de lire l’autobiographie Enfance.) Beaucoup se plaignent, à raison parfois, que les auteurs français d’aujourd’hui nous parlent en phrases courtes et avec un français approximatif de l’heure où ils vont se brosser les dents et de leur rapport sexuel à leur portable. Je ne vais pas donner les noms tout de suite, j’ai horreur qu’on vienne me déranger à mon domicile dès potron minet et les menottes ne m’excitent qu’à partir d’une certaine heure. Quand j’ai découvert son blog j’ai cru à une farce. J’ai pensé à un écrivain connu qui tenait un blog anonyme. Je savais que ce n’était pas Labro, il n’allait pas nous faire le comique de répétition avec Des cornichons au chocolat. J'y lis régulièrement des extraits de ses textes qui m’évoquent Joyce Carol Oates ou Marguerite Duras mais pas écrits « à la manière de ». Emeline Bravo a son style et je luis souhaite une longue carrière avec de nombreuses publications. L’éditeur du Filaplomb sait lire lui aussi, car il a publié récemment une de ses nouvelles, L’ombre de ton chat. La nouvelle est un format assez périlleux. Ce n’est ni un mini roman, ni une bonne rédaction, ni un entrainement d’écrivain débutant avant le pavé de trois cent pages.
Dans ce texte, l’écrivaine aborde le sujet de l’absence et du manque, de la vie après l’autre avec pudeur, sans commettre l’erreur courante de la démonstration psychologique ni faire se gratter les plaies devant les lecteurs à son personnage principal. Son pouvoir d’évocation est magnifique, sa maîtrise du texte nous dévoile des informations avec parcimonie et dans un déroulement qui arrive à nous surprendre par sa chute.
Je vous propose quelques extraits en amuse-bouche :
« J’ai songé à ma mère, vivante, en assez bonne forme. Je n’avais jamais imaginé monnayer sa vie contre la tienne. Mais quelqu’un l’a sûrement déjà fait, ai-je admis. Il est certain que chacune des personnes âgées qui nous entourent porte sur ses frêles épaules le regret d’une autre existence achevée prématurément. »
« La neige tombe enfin, après plusieurs jours d’un ciel blanc, tendu comme un drap sur un fil. »
« Je suis plus glacée que le givre et je refuse de voir des larmes de pluie ramper sur mes vitres. »
Vous pouvez vous procurer cette nouvelle directement aux éditions Filaplomb. (clic)