Les mauvais jours sont revenus. On a plus parlé des vacances, ni des marchés, ni de l’Angleterre… Notre vitrail a bourdonné sous les averses, notre galerie s’est refermée sur l’odeur aigre des passants, des petits chiens à la traîne…
C’était l’Automne…
J’ai repris des beignes à la volée pour vouloir jouer au lieu d’apprendre. Je comprenais pas grand-chose en classe. Mon père, il a redécouvert que j’étais vraiment un crétin. La mer ça m’avait fait grandir, mais rendu encore plus inerte. Je me perdais dans la distraction…
Il a piqué des crises terribles. Il m’accusait de vachardise. Maman s’est remise à gémir.
Son commerce devenait impossible, les modes arrêtaient pas de changer. On est revenu aus “batistes”, on a ressorti les “fonds de bonnet”. Il a fallu que les clientes s’en posent plein les tétons, dans les cheveux, en ronds de serviettes.
Au passage des Bérésinas, dans les étalages, partout, y avait des nombreux changements depuis que j’étais parti. On se donnait au “Modern Style”, aux couleurs lilas et oranges… C’était justement la grande mode, les volubilis, les iris… Ça grimpait le long des vitrines… en moulures, en bois ciselé…
Un projet était à l’étude pour amener l’électricité dans toutes les boutiques du Passage! On supprimerait alors le gaz qui sifflait dès quatre heures du soir, par ses trois cent vingt becs, et qui puait si fortement dans tout notre air confiné que certaines dames, vers sept heures, arrivaient à s’en trouver mal…
Ah! Mais c’était pas des bruits sérieux, c’était plutôt des balivernes, des racontars de prisonniers. Cloches … Sous cloche qu’on était ! sous cloche qu’il fallait demeurer ! Toujours et quand même ! Un point c’était tout !… C’était la loi du plus fort…
(…)
A peine qu’on était entré, elle referme la lourde, elle boucle tout, en plus elle met les deux loquets… Elle me précède, elle passe dans la chambre… Elle me fait signe aussi de venir… Je me rapproche… Je me demande ce qui arrive… Elle se met à me faire des papouilles… Elle me souffle dans le nez… “Ah ! Ah !” qu’elle me fait. Ca l’émoustille. Je la tripote un peu aussi.
Elle se redresse, elle m’embrasse encore. Elle enlève tout… Corsage, corset, liquette… Alors je la vois comme ça toute nue… La motte si volumineuse… ça s’étale partout… C’est trop… Ca me débecte quand même… Elle m’agraffe par les oreilles… elle me force à me courber, à me baisser jusqu’à sa craquouse… Elle me plie fort… Elle me met le nez dedans… C’est rouge, ça bave, ça jute, j’en ai plein les yeux… Elle me fait lécher… Ça remue sous la langue… Ça suinte… Ça fait comme une gueule d’un chien…
“Mords un peu, mon chien joli !… Mords dedans ! Va !” qu’elle me stimule… Elle s’en fout des crampes de ruer ! Elle pousse des petits cris-cris… Ça cocotte la merde et l’oeuf dans le fond, là où je plonge… Je suis étranglé par mon col… Le celluloïd… Elle me tire la tête des décombres… Je remonte au jour… J’ai comme un enduit sur les châsses, je suis visqueux jusqu’aux sourcils…
“Va ! Déshabille-toi ! qu’elle me commande, enlève-moi tout ça ! Que je voye ton beau corps mignon ! Vite ! Vite ! Tu vas voir mon petit coquin !… T’es donc puceau? Dis, mon trésor? Tu vas voir comme je vais bien t’aimer… Oh ! le petit gros dégueulasse… il regardera plus par les trous!…”
(L-F Céline, Mort à crédit - passage Choiseul, le 6 décembre)