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Bonum vinum…

Publié le 06 décembre 2008 par Savatier

 Le temps est loin où un scientifique comme Louis Pasteur pouvait affirmer « le vin est le breuvage le plus sain et le plus hygiénique qui soit » sans provoquer un tollé des groupes de pression hygiénistes. Aussi loin, celui où le peintre Raoul Dufy illustrait de belles aquarelles l’ouvrage de Gaston Derys, Mon Docteur le vin (Draeger, 1936) dans lequel dix-neuf médecins éminents, parmi lesquels des membres de l’Académie de médecine, évoquaient les bienfaits du vin sur la santé, suivant ainsi une voie déjà explorée par Montaigne. La mode est aujourd’hui aux campagnes dirigées contre l’alcool, à grand renfort de messages visant à la diabolisation d’un produit pris dans son ensemble, alcools forts comme vin, sans aucun discernement.

Si le vin se trouve cité dans la Bible 441 fois (notamment Genèse IX, 20-23 au sujet de Noé, pensons aussi aux Noces de Cana et à la Cène), une morale hostile au plaisir a toujours tenté de se dresser contre sa consommation, sous couvert de bons sentiments. Ce n’est probablement pas un hasard si, en dépit de son idéologie de « retour à la terre », le régime de Vichy, dès sa fondation, rendit le vin partiellement responsable de la défaite militaire de 1940 et s’attacha à dissuader les Français d’en boire. Aujourd’hui, certaines communautés chrétiennes intégristes américaines pratiquent la communion au jus de framboise, le vin étant considéré comme un breuvage du Diable, au mépris des Textes et de toute symbolique religieuse. A ces délires, on opposerait volontiers ce mot de Baudelaire : « Si le vin disparaissait de la production humaine, il se ferait dans la santé et dans l’intelligence un vide, une absence plus affreuse que tous les excès dont on le rend coupable. »

Dans l’introduction de son passionnant ouvrage, L’Orgasme en occident, une histoire du plaisir du XVIe siècle à nos jours (Le Seuil, 382 pages, 23 €), un universitaire, Robert Muchembled, raconte cet amusant épisode, vécu lors de son arrivée à la cantine de l’université de Princeton où il était venu travailler quelques mois :

« Qui n’a pas vu trente-neuf paires d’yeux se poser alternativement sur son verre de vin et sur les trente-neuf autres remplis d’eau pure ne peut comprendre la force des autocontrôles personnels sous le poids des contraintes sociales ! Rentrer dans le rang devient une joie, pour le moins un soulagement. »

L’anecdote est significative de la croissance du puritanisme aux Etats-Unis et, comme les phénomènes de mode traversent l’Atlantique d’Ouest en Est pour imposer leurs standards en Europe (des sodas aux hamburgers, la gastronomie paie largement son tribut), il est devenu de bon ton d’affirmer que l’alcool – vin inclus, puisqu’on se garde d’établir une différence – est nuisible à la santé. A l’Est comme à l’Ouest, le vœu caché de faire rentrer tout un chacun dans le rang n’est pas étranger à la démarche… La véritable question concerne l’abus : boire de l’alcool en trop grande quantité produit évidemment des effets désastreux, tout comme la consommation immodérée… des célèbres sodas venus d’Outre-Atlantique, même si l’on n’en parle moins.

Dans un tel contexte, où les pouvoirs publics, les intégristes de l’hygiénisme et les esprits chagrins jouent sur l’unique registre des peurs, sans nuancer à quelque moment que ce soit leurs propos, il est réjouissant de lire, sous la plume d’une professionnelle de santé, un article qui s’efforce d’apporter un regard serein sur la question du vin et de ses bienfaits sur le corps. Je recommande vivement la lecture de cet article, publié sur un blog ami. L’imposante bibliographie médicale qui le conclut montre le sérieux avec lequel il a été écrit.

Le vin, dégusté avec discernement et comme un vecteur de plaisir, ne présente donc pas

les dangers dont on voudrait nous effrayer. On s’en doutait un peu. J’avais, dans un article précédent, rendu compte du jubilatoire et très érudit Dictionnaire de la langue du vin de Martine Coutier. Un autre livre réjouira les amateurs, débutants comme confirmés, Le Vin mode d’emploi, de Jacques Vivet (Bartillat, 325 pages, 20 €). Se présentant comme un « petit traité de dégustation », cet ouvrage se lit facilement ; l’auteur, écrit de la plume alerte des vrais pédagogues et, non sans humour, il avertit le lecteur dès la première page :

« Mais attention ! la joie du vin, véritable fil rouge de cet ouvrage, c’est autre chose que le petit – le grand, ou les multiples – verre(s) de rouge avalé(s) au quotidien par toute une population. Un monde sépare le buveur de gros rouge qui tache, de bière à 8 degré ou de boissons alcoolisées de l’amateur de chinon, de montravel ou de pessac-léognan. Sachez-le, suivre un mode de dégustation vous engagera forcément sur de nouvelles voies, et votre vie risque fort de s’en trouver modifiée ! Une fois que vous aurez dégusté quelques crus à forte personnalité, bon nombre de vins médiocres qui hier vous satisfaisaient n’auront plus grâce à vos yeux. »

Voilà un message tel qu’on aimerait en entendre plus souvent, non pas moralisateur, mais résolument éthique. Après avoir tordu le cou à certaines idées reçues, Jacques Vinet dresse brièvement l’état du paysage viticole mondial ; il livre une méthode de dégustation, n’hésitant pas à inviter quelques écrivains autour d’un verre pour appuyer son propos, de Huysmans à Balzac, de Frédéric Dard à Voltaire. Les vins sont classés par profils, il nous raconte leur histoire, en détaille les cépages, donne des conseils pertinents pour les servir, les conserver en cave, les harmoniser avec les plats.

Certains mariages, qui sembleraient au premier abord des apparentements terribles, réservent de très heureuses surprises. Je conserve en mémoire le choix d’un caviste auquel j’avais demandé un vin destiné à accompagner un très vieux comté ; il m’avait orienté sur un Coteaux du Vendômois gris. Devant la robe si pale de ce rosé, j’étais resté incrédule, et j’avais bien tort. Etrangement neutre sur un chèvre comme le Pouligny-Saint-Pierre, ce vin issu du pineau d’Aunis (cépage qu’évoquait déjà Rabelais), provoquait une explosion de saveurs, une fois dégusté avec le comté. C’est à ce type d’heureuses surprises que nous invite Le Vin mode d’emploi. Illustré de cartes des vins d’Europe, ce guide comporte cent-dix fiches de dégustation qui s’étendent à quelques vins du nouveau monde. Peut-être n’est-il pas facile de se procurer certains d’entre eux (cela dit, les adresses des viticulteurs sont indiquées), mais ces fiches n’en constituent pas moins des feuilles de route appréciables pour leurs points de repère. A noter encore quelques annexes utiles, un glossaire et une bibliographie. Après avoir lu ce livre, on comprend mieux la signification d’une phrase sibylline de Salvador Dali : « Qui sait déguster ne boit plus jamais de vin, mais goûte des secrets. »

Illustrations : Raoul Dufy, aquarelle pour illustrer Mon docteur le vin - Vermeer, La Jeune fille au verre de vin 


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