La levÉe des grands fonds

Publié le 06 décembre 2008 par Collectifnrv

Aujourd'hui, l'Etat peut dire qu'il a fait sa B.A. (BA, souvenez-vous : ce qu'il fait à l'intérieur (de notre compte en banque) se voit à l'extérieur.

Sa B.A, disions-nous, il fit en sauvant les plus menacés par la crise : les banques, les compagnies automobiles, les chaînes de télévision privées. Et vous voulez savoir combien il a mis de sur la table, hein ? vous voulez le savoir ?
Alors maintenant, c'est à vous, les fantassins de l'économie nationale et européenne. Apres les salves d'artilleries de l'état, à vous la générosité à la baïonnette, au corps à corps. Pour vous aider à mieux comprendre le mécanisme du charity-business, voici quelques extraits du "guide pratique des animateurs du Téléthon" tel qu'il leur est exposé au cours de leurs briefings de formation.

Mettez de beaux habits, rendez vous dans un lieu tenu secret, poussez la porte, vous êtes dans le sein des seins de ceux qui savent comment pomper de l'argent à ceux qui ont le portefeuille moins grand que le coeur. Asseyez vous, fermez les yeux et… écoutez !

- Vous vous êtes spontanément portés volontaires pour participer, en tant qu’animateurs bénévoles, au Biothon 2008, le vingt-et-unième déjà d’une nouvelle ère dans l’univers de la générosité humaine qui revêt, de ce fait, une valeur symbolique forte. Nous nous en félicitons et nous vous en remercions. Mais attention, à aucun moment vous ne devrez perdre de vue qu’il s’agît d’une opération de levée de fonds. Nous sommes là pour que l’argent rentre !

Le jeune trentenaire chic en costume anthracite mèche mouvante et chaussures anglaises arpente à grands pas l’immense salle rectangulaire de partout, plafonds, dalles, fenêtres, chaises à pied de métal et sièges de stratifié avec juste une petite tablette repliable pour écrire, sur lesquelles les trente derniers sélectionnés sont assis et écoutent goulûment.

- A votre niveau, vous aurez à intervenir dans des zones de proximité telles que salles des fêtes, foyers de personnes âgées, cafés, restaurants, tabacs, qui sont partenaires de l’opération. Vous aurez à prendre la parole, à vous adresser à des gens, de braves gens, qui nous suivent, pour certains, depuis le début, qui répondent présent chaque année. Vous comprendrez donc que nous ne puissions pas prendre le risque de les… dérouter, de les démotiver, par une communication différente d’une année sur l’autre. Harmonisation des concepts que nous véhiculons, cohérence dans les termes du discours que nous tenons à tenir… sont donc impératifs. L’un des principes fondamentaux de la “quemunication” est qu’on ne change pas un message qui marche. Or le nôtre a fait ses preuves. A ce titre, sachez par ailleurs que nous détenons le record mondial des transformations de promesses en dons effectifs. Les Américains et les Canadiens ne tiennent leurs promesses qu’à 75, voire 80 % seulement. De plus, la moyenne des dons par rapport à la population place la France en tête de tous les pays du monde.

En écho aux élans triomphaliste de l’orateur spécialiste en communication charitative, une Marseillaise plaisantine monte timidement, des rires nerveux lui répondent. Chacun cherche d'un regard anxieux d’où est parti le méfait. Pas trop l'époque pour jouer avec les Symboles Eternels de la République. D'autant que le "jeune homme chic de 40 ans" à tout à fait la tête d'un tonton-cafteur.
Le regard de l’orateur n’a rien exprimé à l’instant du chahut. Il est bon - à tout le moins nécessaire - de temps en temps - de laisser le petit peuple s’amuser. On ne lui demande pas de comprendre la gravité de l’instant mais d’appliquer les consignes. Il s’éclaircit la gorge et monte légèrement le volume sur les derniers murmures.

- Je vais maintenant vous énoncer les règles fondamentales de la levée de fonds, règles qui doivent, tout au long de l’opération, soutendre vos prises de parole. A la fin de l’exposé, ceux qui ont été envoyés par leur agence pour l’emploi se signaleront à moi et je leur remettrai un formulaire qu’il rempliront sur place ce qui leur fera gagner du temps lorsqu’ils retourneront à leur ANPE chercher un emploi. Donc, voici ces règles :
- Règle N°1 : Trouvez le ton juste ! Nous ne voulons ni de misérabilisme, ni de show-bizz à outrance. La science n’est pas un spectacle! De même, évitez, autant que faire se peut, les superlatifs. Nous ne sommes pas “les meilleurs”, “les plus forts”. Nous faisons tout ce que nous pouvons, avec tout notre coeur, notre énergie et nos moyens. Certes, nous avons des résultats spectaculaires, tant financièrement que médicalement, mais nous ne voulons pas nous prétendre “les plus forts”. Ce que nous voulons, c’est durer. Pour cela, nous devons construire patiemment, sans faire d’esbrouffe. Ce ton juste, je sais que je peux compter sur vous pour le trouver. C’est notamment pour cela que vous avez été sélectionnés.

- Règle N°2 : Incitez les gens à appeler tout de suite, à céder à leur impulsion. Une personne sur deux qui, en toute bonne foi, avait envisagé de donner, si elle ne téléphone pas tout de suite, ne donnera rien. Le lendemain, l’émotion est retombée, elle n’a rien promis à personne, elle ne reçoit aucune lettre de remerciements… et elle passe à autre chose. Alors, terminez le maximum de phrases par : “vous voulez faire quelque chose ? alors, n’attendez pas, appelez dès maintenant…” et vous rappelez le numéro. Ou encore, pour ceux qui auront un micro et devront s’exprimer devant des dizaines, voire des centaines de personnes : “appelez maintenant, n’attendez pas, avant de vous coucher, ce soir, passez-nous un petit coup de fil et dites-nous : je suis avec vous! C’est important pour nous de le savoir et c’est important aussi, surtout, pour ces enfants que vous sauverez. Chacun donne selon son coeur. Si, aujourd’hui, le sort de ces enfants qui sont là, sur les écrans de télévision, devant vous, vous touche, c’est aujourd’hui, c’est maintenant qu’il faut donner.”

- Dites que c’est fa-cile ! Faire une promesse de don, c’est facile.
- Règle N°4 : Vous aurez des enfants présents avec vous. Personnalisez-les! c’est pour ces enfants là, qu’ils donnent. Certains, ils les connaissent depuis douze ans. Essayez de vous souvenir de leurs prénoms et de les rappeler afins que ces enfants ne soient pas seulement des “petits malades anonymes en fauteuil”. C'est pour Edouard, Vincent, Christopher, pour le petit Rémi qui est si mignon qu'ils vont donner. Faites de même avec les enfants interviewés sur les plateaux télé. Dites : “Vous avez entendu le petit Cyprien. Il a une formidable confiance en l’avenir et une formidable confiance en vous. Tous ces enfants, vous leur avez rendu l’espoir. Continuez ! C’est notre défi commun !”
- Règle N°5 : Ceux qui veulent faire quelque chose forment une communauté, sont inclus dans un grand courant général. Nous sommes une “communauté”, un “club de la solidarité”. Ce n’est pas nous qui lançons un défi aux Français, ce sont les Français, tous ensemble, qui se le lancent à eux-mêmes. Vous même, les animateurs, je vous le rappelle, vous faites, vous aussi, partie de ce “club de la solidarité”, vous aussi, vous êtes actifs, vous faites quelque chose.
- Règle N°6 : Insistez également sur le fait que donner est un geste symbolique qui fait participer à une fabuleuse aventure. Dites : “Appeler pour donner, c’est votre façon d’agir, de montrer que vous voulez vraiment faire changer les choses. Aujourd’hui, vous avez ce pouvoir. Nous, nous ne sommes que vos porte-parole.” “En téléphonant maintenant, vous nous aidez à changer le monde. Vous participez à l’une des plus grandes aventures de ce siècle.” Voilà, est-ce que quelqu’un a des questions ?
Quelqu’un a.
- Si on nous donne de l’argent, on en fait quoi ?
L’orateur specialiste en communication a un petit sourire qui se veut peut-être rassurant.
- N’ayez crainte, personne ne vous donnera d’argent…
Voila, des règles, préceptes et conseils avisés, il y en une vingtaine d'autres dont les plus délicieusement attachantes sont:
Règle N°7 : Insistez sur le fait que ce merveilleux geste est, de plus, formidablement efficace.
Règle N°9 : Rappelez que les comptes sont parfaitement transparents.
Règle N°10 : N'oubliez pas qu'il y a des enfants qui vous regardent derrière leur poste mais attention, il ya une interdiction morale évidente de demander aux enfants de nous donner de l'argent ou de demander à leurs parents, mais donnez des exemples : « Le petit cyril a cassé sa tirelire et a apporté 20 euros au Centre de promesse ».
Règle N°11 : Elevez le montant "psychologique" du don : « si vous pouvez donner entre 50 et 100 euros »

Règle N°12 : Incitez les familles à se regrouper pour faire des dons plus importants.

Règle N°19 : Déculpabilisez les petits dons : « il n'y a pas de don mineur, chaque euro compte, l'océan est fait de millions de gouttes d'eau »

Ainsi va la pêche au télé-thon, qu'il soit rouge ou germon, qui comme chacun sait est une espèce en voie de disparition

Et si, pour aider la recherche qui en a particulièrement besoin en ce moment puisque le gouvernement la démantèle allègrement, vous n'avez pas assez d'argent, empruntez-en à votre banquier, lui, en ce moment, il en a, c'est vous qui lui avez prêté.

Robert HUMBLEY