Putain, tu te dis, merde, où les ai-je fourrées ? Nous pourrions penser, à te regarder, que c'est un objet, que tu as égaré. Des lunettes, par exemple. Une pièce de monnaie. Les clés de ta voiture. Une boussole. Un globe. Nous pourrions le penser, car tu as le cheveu en bataille, la bouille déconfite, l'habit débraillé. Tu ne fais pas franchement savant fou, ni jeune chiot, tu aimantes plutôt grise mine. Voilà. C'est ça. Hirsute. Exactement ça. Grise mine. Tu as bien raison.
Putain, tu te dis, merde, où les ai-je fourrées ? Tu ajoutes même : c'est quoi ce bordel ?
Tu es dans ta langue intérieure, celle qui tourne mille fois dans ta bouche. Bordel est le bon mot. Le pire est que tu n'oses en parler à personne. Il reste en toi, ce langage. Ni emprisonné ni prisonnier. Sentinelle, plutôt. Bride abattue. Tu te dis ces mots-là croyant être le seul à les emprunter mais tu ne peux rien en faire. Ils sont là, criants et muets. Tu es comme ça. Nous le savons bien. Respectueux d'autrui. Alors tu te barricades, en nous croyant dupes derrière les je n'ai pas envie d'emmerder les autres avec ça. Tu le sais, pourtant. Pas deux secondes ça ne tient la route. Cela demande tellement d'aller vers les autres, tant d'énergie, que les mains dans les poches et les pognes tendues vers demain, tu racles les fonds de tiroirs et fronce les sourcils, en te demandant si ce ne seraient pas tes poches qui seraient trouées. Finalement. Au bout du compte. Les poches trouées.
Putain, tu te dis, merde, où les ai-je fourrés ?
Tu repenses à ce morceau de Pascal Comelade. The sad Skinhead. Tu sais, c'est celui qui commence par le fameux : Allez, cherche pas, ça change rien de toutes façons. Une voix, juste une voix, et puis aussitôt, la musique qui démarre et qui pam ! s'installe. Les notes s'égrainent et mettent en musique tout ce que tu dégages. Ca cause tout le temps et tu ne comprends rien. Comme toi. Comme nous, le sais-tu ? Tu te sens compris et à la fois, vaguement vexé. Percé, on va dire. Toi qui est si pointilleux pour que rien ne se voit, et nous aussi nous le savons bien : rien ne se perd. Dénudés, comme les fils de satan. Ou de Dieu. Ou d'un autre, peu importe. Une grotte, une étoile, un sémaphore. Alors c'est sûrement pour ça que tu continues à chercher. Encore et encore. Et tu sais, comme nous, que ce que tu cherches, ce sont ces secondes et ces minutes d'avant. Toutes ces secondes et ces minutes devant, les toutes proches comme les plus lointaines, ces moments qui ont précédé les instants de vie, les bousillant parfois, les ensorcelant ou les magnifiant, toutes ces minutes et ces secondes, éparpillées et qui jonchent, désormais. Quand viendras-tu au monde ?