Pourra-t-on se passer des élections cantonales ? par Patrick Jarreau du Monde.
Il est difficile d'imaginer Edouard Balladur en conspirateur ourdissant un traquenard dans l'univers paisible des collectivités locales. C'est pourtant ce que redoutent certains des 503 000 conseillers régionaux, généraux ou municipaux qui forment l'infanterie de la République. L'ancien premier ministre a accepté en effet, à la demande de Nicolas Sarkozy, de préparer une réforme qui pourrait faire disparaître le département.
Du congrès de l'Association des maires de France à celui de l'Association des régions de France, réuni cette semaine, en attendant le séminaire des cent deux présidents de conseils généraux, dans quinze jours, la refonte de l'organisation territoriale est le grand sujet d'interrogation avec celle de la fiscalité locale, qui lui est liée.
Deux débats se chevauchent. Le premier porte sur les communes, au nombre de près de 37 000, et sur les structures intercommunales dont beaucoup d'entre elles font partie, sans que les responsables de ces communautés soient élus par les citoyens eux-mêmes. Le second débat est celui qui oppose sempiternellement la région et le département depuis le référendum sur la régionalisation, perdu par le général de Gaulle en 1969.
Voilà plus de deux siècles que les Français s'identifient par la commune et le département. L'ami Bidasse, "qu'était natif d'Arras, chef-lieu du Pas-de-Calais", a disparu avec la conscription, en 1996. Son extrait de naissance va-t-il le suivre au musée des antiquités républicaines ? Il est déjà prévu que les nouvelles plaques d'immatriculation des véhicules à moteur ne comportent plus le numéro du département.
Mais l'évolution en cours ne porte pas seulement sur les symboles ou les repères. Ce sont les rapports entre les territoires qui seront changés si le département décline au profit de la région, et la commune au profit de l'agglomération. Les élus ne seront pas les seuls à se passionner pour une réforme qui a toute chance d'émouvoir beaucoup de leurs électeurs.
Le département ne pourrait être supprimé que par une révision de la Constitution. Après ce qui est arrivé à Jacques Chirac, en 2005, avec le traité constitutionnel européen, le président qui prendra le risque d'organiser un référendum sur un sujet de ce genre n'est pas encore né. Il faudrait donc passer par le Congrès, où il avait déjà été difficile d'obtenir l'accord des trois cinquièmes des parlementaires pour réviser la Constitution en juillet. La gauche ayant gagné des sièges, au Sénat, en septembre, il ne faut plus y compter.
Une loi suffit, en revanche, pour définir les compétences, l'organisation et le mode d'élection des collectivités locales. Il serait possible de réformer les régions et les communautés de communes en s'inspirant de la loi "PLM", qui régit le fonctionnement et l'élection des conseils municipaux et des conseils d'arrondissement ou de secteur à Paris, Lyon et Marseille. Les électeurs voteraient, dans chaque département, pour des listes de candidats dont les premiers seraient conseillers régionaux et généraux, les suivants n'étant que conseillers généraux. Le même système pourrait s'appliquer aux structures intercommunales, chaque commune élisant des conseillers d'agglomération et des conseillers municipaux.
Le département subsisterait donc, à la fois comme périmètre de services régionaux ou de services de l'Etat, et comme circonscription électorale. Ce qui s'effacerait totalement, c'est le canton, puisque les conseillers généraux seraient élus au scrutin de liste dans le cadre départemental. Un département sans cantons et sans élections cantonales ne serait plus qu'une subdivision administrative de la région.
Patrick Jarreau
Article paru dans l'édition du 06.12.08.