"Les bains égyptiens étaient les plus beaux d’Orient, les plus commodes et les mieux disposés". Abd el Latif, célèbre médecin irakien du XIIe siècle.
Neuf siècles plus tard, ils sont les plus délaissés, les plus délabrés de tout le monde arabo-musulman. Les hammams du Caire se meurent inéluctablement dans une indifférence quasi générale. Pour certains d’entre eux d’ailleurs, seul le nom d’une rue rappelle leur mémoire…
Sous les Mamelouks, on dit qu’il y avait 365 hammams au Caire. Un pour chaque jour de l’année. Aujourd’hui, moins d’une dizaine de ces "temples du corps"» perdure. La clientèle se fait de plus en plus rare : concurrence de la salle de bain privée, manque de temps, abandon des traditions…Les jeunes générations ne savent même plus ce que le mot hammam veut dire.
Et le gouvernement, pourtant censé défendre ces bains publics, les ferme les uns après les autres. Raison officielle : la pollution (certains bains utiliseraient les détritus comme combustible).
Bien entendu, les véritables explications sont ailleurs…
Les hammams sont des lieux qui échappent à tout contrôle (ouverts 24/24 h). Ils sont connus pour abriter des RDV d’opposants politiques, accueillir la communauté gay et être le dernier espace de liberté des femmes.
Se souvenir qu’une des premières mesures des Talibans en Afghanistan a été de fermer les bains publics.
Les bains sont pratiquement tous classés patrimoine historique et comble du paradoxe, cette initiative, à priori salutaire, interdit la moindre restauration.
Les couches de peinture destinées "à rafraîchir" se superposent depuis des décennies. On cache un temps la misère. Curieusement, cette vétusté se change en charme. Les murs décatis confèrent à ces établissements une atmosphère unique de faste oriental délavé.
Certains patrons de bains se battent pour redynamiser cette pratique ancestrale. Mais le manque de moyens et les lourdeurs administratives découragent les plus motivés.
Les hammams sont désormais fréquentés par une clientèle très pauvre, qui les utilise plutôt comme abri de fortune.
Pourtant, dans le quartier populaire de Boulaq, Okal et Mishmish, deux propriétaires audacieux, ont trouvé un subterfuge : redonner à ces lieux une touche de sociabilité et de convivialité. Un billard, des chaises longues, une télévision, des aquariums et même des appareils de fitness "made in Egypt" : tout est bon pour attirer de nouveaux clients.
Et ça marche ! Deux hammams espoirs, modèles pour les autres patrons qui font un peu figure de "derniers
des Mohicans".
Ce livre de photographies de Pascal Meunier, avec les textes d'Eve Gandossi et May Telmissany, "Les derniers bains du Caire" paraît en décembre 2008 aux Editions Le Bec en l'Air. Il est consacré exclusivement aux bains publics du Caire qui disparaissent dans une totale indifférence.
C'est la suite du travail entamé avec "Hammams, les bains magiciens" ( Editions Dakota, 2001) et puis "Hammams" ( Editions Dakota, 2005).