D’autant plus nécessaire à vrai dire que l’Etat est censé veiller au grain, et quand on sait le nombre d’institutions publiques penchées sur le dossier, que cela soit l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA), la Direction Générale de l’alimentation (DGAL), l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA), l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement (AFSSE), l’Observatoire des Résidus de Pesticides (ORP), on peut se dire que les vaches et surtout les cultures doivent être bien gardées…
Seulement voilà, l’histoire est souvent plus facétieuse que la version officielle où chacun serait bien à sa place, l’industrie faisant des affaires avec des produits dûment testés, les instances publiques contrôlant efficacement ce beau monde, et les consommateurs épargnés de toute exposition malheureuse.
C’est cette histoire que les auteurs de ce livre se sont efforcées de retracer au long de trois années de travail d’investigation salué et récompensé (2).
Sans se rendre compte qu’ils servaient de pur alibi à l’industrie qui sait pousser à la roue, et qui sera capable par la suite d’employer en toute connaissance de cause des agents de communication comme Marcel Valtat. Ce dernier s’était déjà illustré de triste mémoire pour défendre coûte que coûte les intérêts des industriels de l’amiante.
A travers leur positionnement sur la question des pesticides, cette histoire de flirts incestueux à ce grand mérite de présenter une radiographie de nos diverses institutions publiques, et de l’état de notre démocratie en arrière plan.
On y découvre le soutien sans faille de la DGAL, un des bras les plus armés du ministère de l’agriculture, l’inexistence concrète de l’ORP, véritable mirage sans moyen ni personnel, les limites de l’AFSSA « qui n’a pas les moyens de vérifier si ces décisions sont bien appliquées, ni même la capacité de les définir de manière opérationnelle. C’est extrêmement regrettable » comme le déplore Lucien Abendhaim, directeur général de la santé jusqu’en 2003, ou encore le dévoiement et l’impuissance de l’AFSSE, avoués dans une tirade d’anthologie par son président et ancien patron de l’INRA Guy Paillotin.
Ceci permet de mieux comprendre pourquoi l’inertie est de mise alors que de rares mais courageux chercheurs tirent la sonnette d’alarme à répétition depuis des décennies parfois, comme c’est le cas de Jean-Claude Lefeuvre, professeur émérite du Museum d’Histoire Naturelle et président de l’institut français de la biodiversité, à propos du degré de contaminations des eaux et rivières, ou du toxicologue siégeant à l’AFSSA Jean-François Narbonne :
« Dans le domaine des pesticides, que je connais depuis trente ans, nous dit-il, c’est le règne de l’omerta. Les entreprises du secteur bloquent tout, tout. Très souvent, les professionnels, comme dans les fruits et légumes, ne savent même pas ce qu’ils utilisent. Je le sais de source certaine, croyez-moi. Et vous savez quoi ? Je vous ai parlé de ces vingt-deux laboratoires [d’évaluation de la toxicité] que nous avions pu réunir en 1977. Eh bien, il y a deux ans, nous avons dû faire un constat très dérangeant. Ils ont tous été fermés ou leur activité a été réorientée. Vous trouvez ça normal ? ».
Quand on vous disait qu’il fallait être courageux…
Mais on apprend tout de même de bonnes surprises, comme le revirement apparent de l’INRA depuis son rapport de 2005 « pesticides, agriculture et environnement. Réduire l’utilisation des pesticides et en limiter les impacts environnementaux ». Revirement confirmé d’ailleurs comme nous l’apprend le canard enchaîné en soulignant le soutien de l’INRA à l’agriculture biologique (3).
Des choses bougent donc, tout ne serait pas complètement noyauté, même si l’industrie des pesticides s’avère en mesure de faire sa loi dans bien des domaines, comme dans celui qui régit le poste clé de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de ses produits, par le biais de la commission d’études de la toxicité (« la Comtox ») et le comité d’homologation, truffés de scientifiques très proches de l’industrie et de l’Union des Industries de Protection des Plantes (UIPP) notamment, le lobby des industries de pesticides.
D’après le rapport de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques cité par le livre, on peut penser que ce lobbying est plutôt efficace « les freins, les dissimulations et les opérations de diversion n’auront donc pas réussi à empêcher que les problèmes graves que recelaient ces deux dossiers [ceux du Gaucho et du Régent, deux pesticides bien connus des apiculteurs] soient enfin traités plus normalement. Il a fallu, en ce qui concerne le Gaucho, deux annulations successives par le Conseil d’Etat et l’ouverture d’enquêtes judiciaires pour apporter une lumière crue sur des mécanismes administratifs qui ont d’évidence besoin d’être réformés. »
Heureusement que des livres comme celui-ci arrivent dans l’arènepour nous livrer leur éclairage argumentéet nous permettre d’avoir une vision plus juste des acteurs en jeu,histoire d’être un peu moins dupe de ce qui se joue à nos dépensdans les coulisses des industriels des pesticides et des agences publiques censées les contrôler (4).
(1) http://www.pesticides-non-merci.com/
(2) http://www.pesticides-lelivre.com/ Prix du meilleur essai 2007 au 5° Festival du livre Nature et Environnement ‘Chapitre Nature’ : http://chapitrenature.fol36.org/accueil.html(3) rapport de l’INRA « Agriculture et biodiversité », voir le Canard Enchaîné du 13 août 2008(4) pour une autre critique du livre : http://amapduperelachaise.free.fr/IMG/jpg/canard-enchaine-pesticide-2.jpgPlus d’informations ici.